Dans l’immense cuisine du Berceau des sens, restaurant d’application de l’École hôtelière de Lausanne (EHL), on la cherche des yeux. Habillée et toquée de blanc comme tous les membres de la brigade, pros ou étudiants, Lucrèce Lacchio n’est pas facile à trouver. Mais il suffit qu’elle se retourne, souriante et directe du haut de son petit mètre cinquante-sept, pour qu’on la repère.
Depuis le début du mois de septembre dernier, c’est elle qui dirige la brigade de cette table gastro pas tout à fait comme les autres. Premier restaurant d’application d’une école hôtelière à avoir obtenu une étoile au guide Michelin et la note de 16/20 au Gault & Millau grâce à son prédécesseur, le chef Cédric Bourassin, le Berceau des Sens relève le pari de proposer une cuisine d’excellence. Tout en comptant une large proportion de non professionnels parmi son personnel de cuisine et de salle.
Lorsqu’on l’interroge sur la difficulté de manager des équipes si jeunes et sans cesse différentes tout en gardant la qualité, la jeune femme lève les épaules: «Il faut simplement repenser la manière de fonctionner, apprendre à déléguer davantage et bien faire comprendre ce que l’on veut.»
En cuisine, les jeunes étudiants d’année préparatoire sont issus de 120 nations différentes. La plupart n'ont jamais mis les pieds dans un restaurant gastronomique. Secondée par une équipe de cuisiniers professionnels, Lucrèce apprécie de pouvoir transmettre ce qu’elle-même a appris lors de son parcours: «J’aime vraiment ce côté pédagogique, humain, je crois que c’est aussi ce que je cherchais dans la cuisine. Et qui me manquait peut-être dans les restaurants traditionnels dans lesquels j’ai travaillé.»
Les sauces, c'est plus facile à la pipette
Le pedigree de Lucrèce Lacchio est impeccable. Une étoile et un 15/20 au Flacon à Genève, après avoir été sous-cheffe au Là-Haut à Chardonne (VD). La jeune cheffe fait partie de cette nouvelle génération qui privilégie la communication au style troisième bataillon. «Ici, quand quelqu’un ne comprend pas quelque chose, il lève la main et on explique. Le but est aussi de faire évoluer ces étudiants. On travaille dans un esprit très famille. C’est la philosophie du lieu qui veut ça.»
Pour que la qualité soit au rendez-vous malgré les contraintes de l’école, le travail se fait plus important en amont. Chaque recette est largement détaillée, expliquée. Et le dressage fait l’objet d’une vidéo. Devant le passe, un tableau sur lequel sont aimantées les photos de chaque référence du menu fait office de dernier pense-bête: «Pour rendre la chose plus simple, on privilégie par exemple les sauces ajoutées à la pipette plutôt que tracées sur l’assiette, une technique qui demande plus d'expérience. Chaque assiette qui arrive en salle est dressée par un étudiant. Et on jette un coup d'œil, car la confiance n’exclut pas le contrôle», ajoute la cheffe.
Le service pour les nuls
Côté salle, là aussi, le challenge est quotidien. Durant le briefing d’avant service, la quinzaine d’étudiants qui officiera ce jour-là tente de retenir toutes les consignes, un dossier détaillant chaque plat à la main. À ceux qui conseilleront et serviront les vins, on explique les origines, les notes de dégustation, les anecdotes sur chaque cru. On insiste aussi sur la manière de tourner la bouteille pour éviter les taches sur la nappe ou sur la quantité de liquide à verser.
Côté fromages, l’enseignante détaille les origines, les saveurs, la taille des portions à découper selon le nombre de morceaux choisis. Quant à ceux qui se chargeront du service des assiettes, Thomas Fefin, restaurant manager et Meilleur ouvrier de France en arts de la table, leur distille les dernières consignes incontournables.
Assiettes fruitées
Au menu de cette journée d’automne, car on est aussi venu vérifier que le ramage est à la hauteur du plumage, le voile d’encornet, textures de figue et lard de Colonnata qui trône en tête des quatre entrées proposées me fait de l'œil.
Il faut dire qu’en bonne fille du sud, tout plat qui contient de l’encornet, de la sèche ou des supions suffit à me mettre des papillons dans le ventre. Sur cette entrée un peu trop copieuse, un étonnant voile blanc cache de fines lamelles de calmar cuisinées avec des sections de figues croquantes et fondantes à la fois, et agrémentées du fondant du lard. Belle entrée en matière, même si j’avoue préférer l’encornet en version plus brute.
Le plat, des médaillons de chevreuil, suprêmes de pamplemousse et coulis de céleri à la verveine est un exemple parfait du style de cuisine qu’affectionne Lucrèce Lacchio. Et plus particulièrement de sa délicieuse manie de marier les fruits à toutes les sauces: «C’est étonnant, car les fruits, je n’aime pas spécialement ça, je n’en mange jamais. Mais en cuisine, ils stimulent mon imagination, je trouve qu’ils font souvent des condiments hyper intéressants.»
Viande cuite à la perfection et accord salé-sucré réveillé par la fraîcheur de la verveine font aimer ce plat de chasse plein de légèreté. Enfin, un peu joueuse, j’ai opté pour le soufflé au chocolat et sa glace à l'armagnac en dessert, histoire de voir si ce dessert de chef allait tenir ses promesses jusqu’à ma table. Pari réussi pour cet appareil aérien bien chocolaté et pas trop sucré.
Avec comme ingrédient inédit un joli soupçon de pédagogie, cette rencontre avec Lucrèce Lacchio était du genre réussie! Reste à voir si les inspecteurs du Guide Michelin seront de cet avis, car la cheffe a la lourde tache de conserver ce macaron. Réponse à l'automne prochain.