Le chiffre provoque toujours une petite surprise, parfois même un murmure d’admiration. Un quart des séries israéliennes s’exporte ou s’adapte à travers le monde. En l’espace d’une quinzaine d’années, Israël s’est hissé dans le top 10 des exportateurs mondiaux de ce type de contenus. On retrouve des pépites nationales un peu partout.
«Fauda», qui met en scène des espions israéliens infiltrés dans la bande de Gaza, a été achetée par Netflix. La plateforme a également connu le succès grâce à «Shtisel», l’histoire d’une famille de juifs ultra orthodoxes. L’enquête sur le meurtre d’un enfant palestinien dans «Our Boys» a passionné les spectateurs de Canal +. Quant aux remakes, vous en avez forcément entendu parler. De «Homeland» à «Euphoria», en passant par «Hostages» ou «In Treatment», ils réunissent des millions de sériephiles à travers le monde.
Mais comment expliquer qu’un pays de moins de 10 millions d’habitants soit aussi prolifique, au point d’inspirer les plus grosses productions américaines? Exploit d’autant plus remarquable que la télévision ne s’y est réellement développée que très tard, dans les années 1990. David Ben Gourion, fondateur de l’État d’Israël et Premier ministre jusqu’en 1963, fustigeait cette «boîte stupide» qu’il ne jugeait «pas culturelle» et assimilait à une «perte de temps». La plupart des showrunners et producteurs israéliens actuels n’ont donc pas grandi avec cette culture du feuilleton.
Une longue tradition littéraire et cinématographique
Ils sont en revanche les héritiers d’une longue tradition littéraire. «Il y a dans le pays un goût très marqué pour les histoires et les récits, explique Shayna Weiss, directrice associée au centre d’études israéliennes de Brandeis University, dans un documentaire consacré au sujet, «Israël terre de séries». Les Israéliens adorent la littérature, ils sont parmi les plus gros lecteurs du monde.» Le storytelling, cet art de raconter un événement, que l’on pourrait faire remonter jusqu’aux textes religieux, est donc très valorisé dans la culture israélienne… et bien utile quand il s’agit d’inventer une série.
Israël est également une nation de cinéma, ce qui a fortement porté la création sérielle. En 2017, le pays comptait par exemple plus d’une quinzaine d’écoles pour les réalisateurs et scénaristes. Les conditions de production des séries se sont calquées sur celles du septième art, qui est principalement un cinéma d’auteur, sans grands moyens. Cette faiblesse des budgets est une véritable contrainte, qui oblige à beaucoup de créativité dans l’écriture.
Hagai Levi, le créateur de «BeTipul» et l’un des principaux showrunners israéliens contemporains, l’a toujours dit. S’il a imaginé cette série se déroulant entièrement dans le cabinet d’un psychanalyste, c’est aussi parce qu’elle ne coûterait pas cher et qu’il aurait donc toute liberté pour raconter son histoire. Le résultat, c’est «une géniale invention narrative», nous confiait le scénariste Vincent Poymiro en 2021, au moment de la sortie d’«En Thérapie», l’adaptation française de «BeTipul» qu’il a coécrite. «Hagai a inventé une forme sérielle spécifique. On a repris cette forme-là, en inventant des personnages très français.»
Le conflit israélo-palestinien nourrit les scénarios
Mais c’est bien sûr aussi l’Histoire, la grande, qui explique la créativité d’Israël. Le conflit est un formidable carburant pour écrire des scénarios, et le pays n’en manque pas. Avant de devenir «Homeland» aux États-Unis, la série israélienne «Hatufim» racontait les difficultés de deux soldats israéliens enlevés au Liban, détenus pendant 17 ans par des islamistes, puis libérés. «False Flag», devenue «Suspicion» en version américaine, imaginait quant à elle l’enlèvement du ministre iranien de la Défense à Moscou, et le soupçon pesant sur cinq citoyens israéliens suspectés d’agir pour le Mossad. Dans «Our Boys», l’enquête sur le meurtre d’un jeune palestinien commis par des juifs ultra orthodoxes est l’occasion de s’interroger sur la violence inhérente à la société israélienne, biberonnée aux attaques du Hamas et au service militaire obligatoire.
Bien souvent, la géopolitique complexe de la région inspire donc des intrigues fouillées, que les producteurs étrangers vont adapter dans les remakes. Mais il y a déjà fort à faire avec les lignes de fracture intérieures de la société israélienne. «Shtisel», série qui suit les déboires d’une famille ultra orthodoxe après la mort de sa matriarche, montre une communauté peu représentée à l’écran jusqu’ici, dont les membres sont déchirés entre principes religieux traditionnels et aspirations contemporaines. Lorsqu’elle a écrit «On the Spectrum», la scénariste Dana Idisis s’est inspirée de son frère autiste. Le résultat était d’une telle authenticité qu’il a immédiatement résonné avec l’expérience de l’Américain Jason Katims, dont le propre fils est autiste. Il en a tiré un remake, «As we see it».
C’est d’ailleurs parce qu’elles parlent de bien d’autres choses que de la géopolitique locale que ces fictions israéliennes trouvent un écho à l’international. Au-delà de leurs rites religieux spécifiques, les «Shtisel» ont des problèmes familiaux universels. Le basculement de la jeunesse dans la violence décrit dans «Our Boys» parle aussi bien aux Israéliens qu’aux Américains. Et les émois de l’adolescence étant les mêmes ou presque partout sur la planète, il n’est pas étonnant que la série «Euphoria» ait été adaptée, sous le même titre, aux Etats-Unis. L’exemple parfait reste celui de «BeTipul», symbole de l’universalité des séries israéliennes. De la Serbie au Royaume-Uni, de la Russie à l’Argentine, vingt pays ont aujourd’hui proposé leur version.
Cinq adaptations de séries israéliennes à (re) découvrir
Greenhouse Academy (Netflix)
Lorsqu’Alex et Hayley intègrent la Greenhouse Academy, école prestigieuse, ils sont loin de se douter qu’ils vont enquêter sur un complot international. Cette série pour ados, adaptée par le scénariste de la version originale israélienne, Giora Chamizer, a le mérite d’offrir un ton différent et une intrigue bien ficelée.
Suspicion (AppleTV +)
Le remake américain de «False Flag» reprend le même principe: quatre personnes a priori sans histoire sont accusées d’avoir organisé un enlèvement. Dans «False Flag», c’était celui du ministre iranien de la Défense. Dans «Suspicion», il s’agit du fils de l’influente patronne d’une entreprise américaine de communication. Le sous-texte politique est moins marqué dans cette adaptation mais le mélange de thriller kafkaïen et de polar d’espionnage questionne efficacement les obsessions sécuritaires de nos sociétés modernes.
Your Honor (Canal +)
Le jour où le juge Michael Desiato apprend que son fils Adam a renversé et tué le rejeton d’un mafieux local dans un accident de voiture, le voilà tenté d’enfreindre toutes les lois qu’il est habitué à défendre. Bryan Cranston, la star de Breaking Bad, brille dans ce remake qui explore les origines de la violence.
As we see it (Prime Video)
Diffusée depuis la fin janvier, cette adaptation d’«On the Spectrum» met en scène la colocation de Jack, Harrison et Violet. Trouver un emploi, des amis, l’amour ou un programme télé qui convienne à tout le monde… leur vie quotidienne est celle de millions de jeunes gens. À une exception près: eux sont atteints de troubles du spectre autistique. Drôle, touchante et délicate, «As we see it» sonne aussi vrai que ses trois interprètes principaux, eux-mêmes neuroatypiques.
En thérapie (Disney +)
La série «BeTipul» d’Hagai Levi, qui suit des séances de psychanalyse, a été adaptée dans pas moins de 20 pays. Et si la version américaine «In Treatment» connaît un succès mérité, c’est bien la française «En Thérapie» qui a pris tout le monde de court. Transposant l’histoire dans la période post-attentat du 13 novembre 2015, elle explore, à travers les failles intimes de ses personnages, celles de tout un pays. Magnifique.