Depuis ce mardi, certaines encres de tatouage sont interdites dans l'Union européenne, un peu plus d'un an après l'entrée en vigueur d'un règlement établissant une liste des substances prohibées ou restreintes. Vingt-cinq encres sont concernées, dont les pigments rouges, jaunes et oranges. Le bleu et le vert ne seront bannis qu'à partir du 4 janvier 2023.
Concrètement, les substances et colorants concernés peuvent être cancérigènes, entraîner des mutations génétiques, affecter les les capacités reproductrices, causer des allergies cutanées ou d'autres effets nocifs pour la santé, a fait savoir la commission européenne.
«Étant donné que les produits chimiques utilisés dans les encres de tatouage et le maquillage permanent peuvent rester dans l'organisme toute la vie, il existe un risque d'exposition à long terme aux ingrédients potentiellement dangereux», a précisé l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA).
L'Agence a aussi expliqué que selon elle, les pigments d'encre peuvent «migrer de la peau vers différents organes, tels que les ganglions lymphatiques et le foie» et a souligné que les produits chimiques nocifs contenus dans les encres peuvent se répandre dans l'organisme à l'occasion d'un retrait du tatouage au laser, qui «décompose les pigments et autres substances en plus petites particules».
Et en Suisse?
Ce sérieux tour de vis fait trembler les tatoueurs suisses. Seront-ils bientôt soumis eux aussi à une restriction plus sévère? Pour l'heure, ils peuvent souffler. L'Office fédéral de la sécurité alimentaire, compétent en la matière, s'est limité à une mise en garde sur son site internet.
«Les couleurs de tatouage, de maquillage permanent ainsi que les piercings ne sont pas soumis à autorisation. Certains critères de sécurité sont réglementés dans l’ordonnance sur les objets destinés à entrer en contact avec le corps humain. Il n’existe à l’heure actuelle aucune liste positive des pigments inoffensifs. Mais une chose est sûre: les produits ne doivent pas être dangereux pour la santé. La sécurité des produits relève de la responsabilité du fabricant», peut-on y lire.
En octobre dernier, le dermatologue du CHUV Olivier Gaide voyait d'un bon oeil l'éventualité d'une législation plus sévère. «C’est une bonne nouvelle qu’une régulation se mette en place autour des encres des tattoos, bien qu’on ne dispose pas encore d’études solides établissant un lien avéré entre tatouage et cancer, on sait que de nombreux composés sont classés dans les cancérigènes. Il s’agit là d’un juste principe de précaution», expliquait-il au «Matin Dimanche».
«On risque de revenir à un métier illégal»
Même si la loi ne change pas, les professionnels helvétiques ont du souci à se faire: ils sont nombreux à avoir des fournisseurs européens, donc soumis à la nouvelle régulation. Tatoueur lausannois exilé en Belgique, Christophe Mettraux n'est pas tendre avec la nouvelle donne venue de... Bruxelles: «C'est du bullshit!»
Le tatoueur étaie sa position: «Oui, il y a de grandes boîtes de fournisseurs d’encres qui cherchent de nouvelles solutions. Mais ce dont on a peur, c’est que l’on a aucun recul sur ces nouveaux pigments, leur qualité en tant que couleurs, leur tenue dans le temps, ni leur toxicité, alors qu’avec les anciennes encres utilisées depuis des décennies, il n’y a jamais eu de problèmes de cancer avéré liés à l’acte du tatouage».
Ces mesures risquent de nuire encore plus à une profession déjà marginalisée, s'inquiète le spécialiste de l'art coloré. «Le tatouage, c’est un milieu qui est depuis toujours un peu undergound. En agissant comme ça, au lieu d’accompagner la profession et de discuter avec nous pour créer un lien de confiance, cela va ouvrir une voie à des aspirants ou des tatoueurs peu scrupuleux sans aucune conscience des nombreux aspects sanitaire de cette profession. Ceux-ci risquent de commencer à se fournir en Chine à des prix low cost pour des encres non testées donc potentiellement bien plus dangereuses».
Un autre tatoueur bien installé de la scène romande explique: «Avant, le tatouage était illégal. Avec ce genre de décisions, cela pourrait le redevenir.» Avec de tels propos, notre interlocuteur ne souhaite pas que son nom apparaisse. «Comme la profession est difficilement contrôlable, l’État préfère passer à des interdictions. Et ce même si cela implique des décisions sur une problématique qui n’existe pas — à ma connaissance, il n’y a pas de cas avéré de cancer».
Même son de cloche pour Philippe Aillaud, organisateurs des conventions de tatouage de Montreux, Lausanne et Fribourg. «Que l’on surveille, c’est bien. Que l’on réglemente, c’est bien — mais là, on interdit alors que personne n’arrive à citer un seul cas d’un malade grave suite à un tatouage.»
Des espoirs dans l'innovation
Le spécialiste du secteur tente de rester positif malgré cette sanction «beaucoup trop stricte pour un principe de précaution disproportionné»: «Si la Suisse suit ces interdictions, cela nous mettrait des bâtons dans les roues alors même que certaines encres existent depuis 2500 ans. Mais on essaiera de trouver des solutions avec les artistes, car on est solidaires avec eux.»
Dans les années à venir, l'encre noire pourrait elle aussi être menacée. Mais tous les acteurs s'accordent à espérer que les fabricants vont trouver une solution miracle pour poursuivre cet art ancestral.
En attendant, une pétition officielle lancée par le syndicat national des artistes tatoueurs est toujours ouverte.