Commentaire de Myret Zaki
Le libéralisme «à la tronçonneuse», cette méga-supercherie à la mode

Incarné par Javier Milei, un certain libéralisme radical se vend comme l'antidote aux maux du socialisme. Or ce libéralisme qui vomit l'Etat doit sa survie à l'Etat. Ce faux libéralisme biberonné aux aides étatiques doit être débunké, selon notre journaliste Myret Zaki.
Publié: 15:56 heures
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Dernière mise à jour: 17:52 heures
Javier Milei a fait sen
Photo: keystone-sda.ch
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Myret ZakiJournaliste spécialisée économie

Une idéologie extrémiste et fallacieuse se propage, incarnée par Javier Milei. Encore plus décomplexé cette année, dopé par le soutien de Musk et Trump, le président argentin a monté les enjeux d’un cran à Davos: dans son discours du 23 janvier, il s’est posé en idéologue mondial d’une vision totalitaire de l’économie de marché. Une vision mensongère, surtout, qu’il est urgent de débunker, car ses théories ne résistent à l’épreuve d’aucun fait. La droite qu’il défend est irresponsable, tricheuse, ingrate et fleure le Far West mal vieilli. Elle n'a pas grand-chose à voir avec le vrai libéralisme. Cherchant à faire émerger une alliance mondiale de ceux qui ne s’excusent pas, «qui disent les choses comme elles sont», Javier Milei met le déclin de l’Occident sur le compte du «socialisme». 

Le «socialisme» a sauvé l'économie de marché

Mais voilà: la réalité désagréable, c’est que l’économie de marché a profité plus que quiconque du «socialisme», ces dernières années, et dans des proportions sans précédent. Javier Milei ment quand il nous sert ce discours après deux décennies de soutien étatique massif à l’économie de marché. 

D’abord en 2008, suite au krach du marché subprime américain. Les Etats ont sauvé les banques et le système financier avec l’argent du contribuable. Aucune banque ou manager n’a rien payé. C’est le gouvernement qui s'est endetté pour tout éponger. Des banques qui auraient dû faire faillite ont été fusionnées, des masses de chômeurs et propriétaires floués ont été indemnisés. Personne n’a été sanctionné ou n’est allé en prison. Le «socialisme» a récompensé l’échec du marché. Seule Lehman Brothers a fait faillite, pour le symbole.

Des marchés assistés par les banques centrales

Puis rebelote en 2010-2012, lors de la crise de l’euro : les contribuables ont payé d’une austérité extrême les dégâts causés par les spéculateurs, qui ont empoché des milliards en attaquant les dettes souveraines de la zone euro. La Banque centrale européenne (BCE) a sauvé tout le système financier.

Depuis 17 ans, la Réserve fédérale américaine a fait sauter tous ses verrous pour intervenir massivement, à partir de 2009, en vue de faire remonter la Bourse américaine via l’achat de titres, ce qui a doublé les gains des investisseurs au fil des ans. C’est ainsi que les indices boursiers doivent la moitié de leur hausse à ces interventions. Un système financier aussi assisté, cela est difficile à imaginer en Occident. C’est pourtant une réalité.

Pourtant ce 23 janvier, Javier Milei a déclaré à Davos que «le marché ne peut pas échouer». Il a même attribué les seules faillites du marché à l’intervention de l’Etat. Des propos fort trompeurs et confus. Car il est vrai que les libertariens ne veulent aucune intervention étatique. Ni à la hausse, ni à la baisse. Ils sont contre les banques centrales. 

Mutisme quand l'Etat renfloue

Mais dans ce cas, Javier Milei aurait dû commencer par dénoncer toutes les aides et sauvetages reçus depuis 20 ans. Or, il ne l’a jamais fait. Où est-il quand l’économie privée vit sous perfusion de l’Etat? Pourquoi n'a-t-il jamais pipé un mot à ce sujet? Rester muet quand l’Etat donne à une économie à terre, puis piétiner l’Etat quand tout va bien: est-ce la nouvelle vision de ce faux libéralisme « qui ne s’excuse pas », et qui est surtout dénué de toute responsabilité?

De même, les subventions ne sont jamais dénoncées par Milei et ses adeptes. Or son ami Elon Musk a reçu 5 milliards à la création de Tesla. Quant à Apple et Google, ainsi que Pfizer, Moderna, AstraZeneca et BionTech, ils ont bénéficié de milliards étatiques sans lesquels ils n’auraient jamais pu innover dans ces proportions, ni croître et enrichir autant leurs actionnaires.

Bref, cet Etat que vomit le nouveau libéralisme « à la tronçonneuse », l’économie de marché lui doit tout. La supercherie de Milei se situe là. Lui qui dépeint un Etat qui coûte, et une économie qui rapporte, nous désinforme sur toute la ligne. 

Liberté ne va pas sans responsabilité

L’économie libérale n’a jamais pu créer de la valeur sans en détruire. Laissée à elle-même, sans argent public, elle ne serait qu’une fraction de ce qu’elle est aujourd’hui. L’évidence est là. Le libéralisme de marché n'arrive pas à survivre seul, et à éponger seul ses excès. Il compte sur la collectivité pour cela. Un Javier Milei qui élude ce fait n'a aucune crédibilité.

Pas plus que ceux qui défendent l'aide de l'Etat pour tout ce qui leur coûte, et qui rejettent l'Etat pour tout ce qui leur rapporte. Le libéralisme a échoué dès le moment où chacune de ses pertes a été comblée par l'argent public. Avec une économie libérale qui n'a jamais assumé en totalité ses risques, qui peut croire à Javier Milei ou à d'autres faussaires du libéralisme?

Le libéralisme, c’est la liberté d'entreprendre sans limites, qui correspond à la liberté de perdre sans limites, ce qui revient à assumer l'entier de ses gains, et par conséquent l'entier de ses pertes. Au risque de gagner, correspond un risque symétrique de perdre. Liberté et responsabilité ont toujours été de pair. Oublier ce point essentiel, c’est violer le contrat même du libéralisme. Et commettre une désinformation crasse.

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