«La Kebaberie à Colombier décroche le label 'Fait Maison' de GastroSuisse.» Après avoir analysé de long en large la gentrification du kebab à Genève, impossible pour moi de rester indifférente à cet e-mail qui m’est parvenu la semaine dernière et qui semblait suivre la théorie selon laquelle le kebab peut devenir sophistiqué, peut-être un peu snob – voire bobo. Théorie qui ne doit pas éclipser la plus fondamentale des interrogations: ces kebabs gourmets préparés non loin de Neuchâtel sont-ils bons?
Un kebab approuvé par GastroSuisse, une première
Intriguée par cette nouvelle proposition upscale d’un kebab, c’est donc avec enthousiasme que je jeûne toute une journée avant de me rendre sur place pour goûter les kebabs artisanaux heureux lauréats du label de GastroSuisse. Pour la fédération gastronomique, un plat est considéré comme «Fait Maison» s’il est cuisiné entièrement sur place à partir de produits bruts ou traditionnellement utilisés en cuisine. Derrière cet exploit, on retrouve Serkan Adiyaman, gérant de la kebaberie depuis 2015, et qui a atterri à Colombier «par un heureux hasard».
À la tête d’une équipe de 10 personnes dont 4 employés à plein temps, il a depuis le début du projet l’ambition de rendre ses lettres de noblesse au kebab: «Ce qui me fait mal, c’est que le kebab est un héritage, mais en trente ans on l’a amené plus bas que la malbouffe», me dit-il dès le début de la discussion. Intéressant, ce renversement de point de vue. Faire un kebab de bonne qualité ne serait donc pas upgrader le kebab mais le remettre à son juste niveau? «Pourquoi est-ce qu’un kebab serait salade tomate oignons? La base, c’est la viande et pour le reste, il s’agit d’être créatif.»
Des frites au goût de patate
Et créatifs, Serkan et son équipe le sont. Kebab de Noël au foie gras avec sauce à l’orange, kebab chasse avec du cerf, kebab raclette qui fait le buzz sur internet (du fromage dans un kebab?!) ou encore kebab du mois guacamole fraise (qu’il considère comme sa plus grande réussite à ce jour), les recettes sont plus inventives les unes que les autres. Alors quel accueil pour ces kebabs originaux? «Au début, ça n’a pas toujours été facile, me confie le gérant. Les réactions ont été parfois mitigées, surtout pour des mélanges inhabituels. Mais maintenant, les gens me font confiance et certains font des grands détours pour venir les goûter!» Je lui demande si une réaction en particulier l’a marqué. «Un jour, j’ai commencé à faire mes frites maison. Un adolescent m’a demandé pourquoi ça avait le goût de patate… Ça, ça m’a choqué.» Au niveau des autres kebabs, Serkan donne volontiers ses conseils à ceux qui aimeraient améliorer la qualité de leurs produits, mais «envoie sur les roses ceux qui veulent faire de la basse qualité à tout petit prix».
Et enfin… la dégustation
Au fur et à mesure de l’interview, il m’est de plus en plus difficile de me concentrer. Mon estomac gargouille à l’évocation de toutes ces recettes. Enfin, Serkan Adiyaman me lance: «Je peux vous faire goûter les falafels maison?» Aussitôt, je me retrouve attablée devant ces boulettes faites de pois chiches, poivrons et herbes aromatiques. L’extérieur est croquant, l’intérieur fond. Même sans sauce, les saveurs explosent en bouche et la texture est incomparable. Devant moi, une sauce algérienne, une sauce à l’ail et une sauce au yaourt, que je teste suivant l’ordre conseillé par mon hôte.
Avant que j’aie pu dire un mot, il me demande si j’aime le vin, puis me sert un bon décilitre de pinot noir du domaine de Chambleau. «Pourquoi ne pourrait-on pas boire un bon rouge avec un kebab, comme on le fait maintenant avec les burgers dans des grands restaurants?» Argument imparable, je m’incline et poursuis ma dégustation avec un kebab du mois au guacamole et au lard et un sandwich Milvignes aux légumes, qui tient son nom de la commune qui accueille les créations de Serkan depuis ses débuts. Le kebab du mois a une touche originale et fondante grâce à l’avocat, sublimé par les oignons et le goût du lard fumé qui envahit le palais, saveur inattendue dans ce sandwich traditionnel. Le sandwich Milvignes laisse une impression plus légère grâce à ses légumes (aubergines, courgettes, poivrons). Le pain croustille et je termine mon assiette sans même y faire attention. Mon hôte me propose également de goûter ses nuggets maison, faits avec des filets de poulet non hachés et enveloppés dans une croûte croustillante, qui sont à la hauteur du reste des plats.
Des kebabs et de l’ambition
Repue, je le questionne sur la démarche qu’il a faite auprès de GastroSuisse. «L’idée de demander le label est venue durant le premier confinement», me confie Serkan. Si les équipes de la Kebaberie réalisaient déjà tous leurs produits maison, il a fallu s’adapter au cahier des charges exhaustif de GastroSuisse afin d’obtenir le précieux sésame. Les inspecteurs ont fait le tour du restaurant, ont goûté les produits puis ont fait leurs retours, que Serkan a implémentés. En février, la Kebaberie est officiellement devenue le premier kebab suisse certifié «Fait maison» par la fédération gastronomique.
Mais quelle suite à cette consécration? Le gérant, soudainement timide, me glisse: «Mon rêve, c’est de faire un pas vers le Gault et Millau. En attendant, j’essaie de toujours améliorer la qualité de mes produits et j’aimerais apprendre à faire ma viande tout seul.»
Si vous voulez découvrir la Kebaberie, elle organise ce samedi un workshop gratuit de confection et de dégustation de kebabs, dans ses cuisines au centre de Colombier pour fêter l’obtention du label, sur le thème champagne, caviar, kebab.
La Kebaberie
Rue du Château 10
2013 Milvignes