«Encore un paquet? C’est le combientième cette semaine?» Voilà comment m’a accueillie mon fiancé alors que je rentrais d’une journée de travail particulièrement intense. Deux questions anodines qui m’ont pourtant piquée au vif, sûrement même un peu plus que de raison. Et pour cause, je dois vous faire un aveu: mon compagnon – qui a érigé la raillerie en 6ᵉ langage de l’amour – a raison, je suis effectivement plutôt dépensière et encore plus pendant les périodes de rentrée où j'ai tendance à me créer des besoins. Un travers dont j’ai conscience et qui explique sûrement ma réaction à base d'yeux au ciel et de répartie cinglante (je le rappelle, j’étais fatiguée…)
Plus tard, en repensant à cet échange, j’ai eu envie d’en savoir plus sur les mécanismes de l’addiction aux achats, ses symptômes, les moyens pour les personnes concernées de s’en sortir, mais aussi de vous proposer des conseils de spécialistes afin de vous aider à garder le contrôle de vos finances personnelles si comme moi, vous avez parfois tendance à vous faire un peu trop plaisir.
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Panier percé ou dépendant?
Également appelé oniomanie, le trouble lié aux achats compulsifs est considérée par les professionnels de santé comme une addiction à part entière, au même titre par exemple que la dépendance au jeu ou aux substances. Selon Cédric d'Epagnier, psychologue et psychothérapeute FSP au sein de la Fondation Phénix à Genève spécialisée dans la lutte contre les addictions, un certain nombre de critères permettent de reconnaitre l’oniomanie et de la différencier du cas d’une personne «juste» dépensière: «On parle de trouble lorsque les comportements d’achat impactent négativement la qualité de vie de la personne, par exemple en l’exposant à des difficultés financières.
On retrouve aussi une dimension impulsive où celle-ci, même si elle s’est juré de ne plus rien acheter ou l’a promis à ses proches, ne peut tout simplement pas s’en empêcher». Et le thérapeute de poursuivre: «Comme son nom l’indique, la personne concernée agit en outre de manière compulsive, c'est-à-dire qu’il lui est impossible de se contenter d’un seul achat. En magasin ou sur internet, elle va donc multiplier les dépenses en dépit des possibles conséquences négatives».
En outre, les personnes souffrant d’une dépendance aux achats ne font le plus souvent aucun usage des objets qu’ils accumulent, comme le précise Cédric d’Epanier qui donne l’exemple de dizaines d’appareils photo encore dans leur emballage d’origine scellé ou de sacs entiers de vêtement encore étiquetés qui ne seront jamais portés.
D’où vient ce trouble?
Selon Cédric d’Epanier, le besoin irrépressible de multiplier les achats, quitte à risquer de tomber dans la spirale de l’endettement, constitue généralement la manifestation visible d’un mal-être plus profond: «Le plus souvent, l’addiction aux achats tire son origine de problèmes tels qu’une faible image de soi ou encore d’une difficulté à gérer ses émotions. La personne pourra alors chercher à compenser ce mal-être et ce manque de confiance par l’apparence ou par la possession de biens matériels».
À l’heure où il est possible de se faire livrer à peu près n’importe quoi en quelques clics et où les réseaux sociaux ne sont pas en reste lorsqu’il s’agit de nous faire croire que l’on a absolument besoin de tel ou tel objet, observe-t-on une augmentation des cas de troubles liés aux achats compulsifs ou de leur intensité?
Cédric d’Epagnier nuance: «Les réseaux sociaux comme TikTok ou Instagram, mais aussi les publicités ciblées et plus généralement le shopping online facilitent l’achat de plus grandes quantités sans sortir de chez soi, ce qui peut encourager les dépenses chez les personnes de type 'panier percé'. En revanche, celles qui souffrent d’une réelle addiction n’ont pas besoin de ce genre d’incitations pour réaliser des achats irraisonnés et en grande quantité».
Thérapie et plan désendettement
Comment faire pour briser le cercle vicieux des achats compulsifs ? Dans sa pratique, Cédric d’Epagnier préconise habituellement le recours à une psychothérapie d’inspiration cognitivo-comportementale (TCC). Bien qu’il n’existe à ce jour pas de traitement médicamenteux permettant d’inhiber l’impulsivité, le spécialiste précise que les molécules telles que les antidépresseurs ou encore les anxiolytiques peuvent être prescrits en cas de troubles connexes, par exemple un état dépressif causé par une situation d’endettement.
À ce sujet, le psychologue évoque également les cas où la mise en place d’un plan de désendettement auprès d’organismes comme Caritas ou d’autres structures cantonales comme la Fondation genevoise de Désendettement s’avère nécessaire.
Cinq pistes pour éviter de perdre le contrôle
Si vous vous inquiétez de votre tendance à un peu trop facilement dégainer votre carte de crédit en ce moment, ces cinq conseils qui vous aideront à resserrer la bride de vos finances:
Ne pas se précipiter
Avant un achat non-nécessaire (typiquement, ce sèche-cheveux couleur parme repéré sur TikTok qui ne fait pas de bruit et sèche les cheveux cinq fois plus vite…), Cédric d’Epagnier conseille tout d’abord de «regarder le film jusqu’à la fin», autrement dit, de déterminer si l’objet en question vous sera vraiment utile ou si vous avez seulement envie d’acheter quelque chose. Dans cette optique, le spécialiste conseille par ailleurs d’instaurer un délai de réflexion. Si vous attendez une semaine, vous rappellerez-vous seulement l’existence de ce sèche-cheveux qui vous apparait si désirable à cet instant?
Penser long terme
Afin d’utiliser votre argent à meilleur escient, mais aussi ne pas céder à la fièvre acheteuse, Cédric d’Epagnier propose de définir des objectifs financiers plus intéressants et valorisants sur le long terme. En effet, peut-être aurez-vous plus de plaisir à vous promener sur une plage l’été prochain, les cheveux dans le vent, qu’à tester la nouvelle technique de brushing lisse permise par le sèche-cheveux de TikTok cité au point précédent?
Remiser sa carte de crédit
Afin de ne pas risquer de dépenser plus que ce que l’on a à disposition, mais aussi pour rajouter une étape entre l’envie d’acheter quelque chose et l’achat effectif, Cédric d’Epagnier conseille d’utiliser une carte de débit ou mieux encore, de se créer un compte du type PayPal à approvisionner avant chaque dépense.
Se rajouter des barrières psychologiques
Toujours afin de se protéger de l’effet «tunnel de vente», le psychologue suggère de systématiquement décocher l’option «rester connecté» des sites de vente en ligne mais également de se désabonner des emails publicitaires et de bannir les options du type «achetez maintenant, payez plus tard».
Demander de l’aide
Si vos habitudes de consommation vous inquiètent, que vous avez l’impression de vous reconnaitre dans certaines parties de cet article ou encore de perdre le contrôle une fois que vous avez commencé à mettre des objets dans votre panier réel ou virtuel, Cédric d’Epagnier préconise de ne pas attendre et de consulter un professionnel de santé à qui vous pourrez faire part de vos craintes et bénéficier du soutien que vous méritez.