Que ce soit lors de l’arrivée d’un enfant, d’une séparation ou simplement de l’opportunité d’emménager dans un logement plus grand ou mieux situé, les événements de la vie font que de nombreux locataires sont amenés à résilier leur contrat de bail avant le terme convenu. Une possibilité offerte par le droit suisse qui prévoit à l’article 264 alinéa 1 du Code des Obligations que le locataire sortant se voit libéré de ses obligations envers le bailleur lorsque celui-ci lui présente un nouveau locataire solvable et disposé à reprendre le bail aux mêmes conditions.
Afin d’éviter les tracas liés à un éventuel désistement, Igor* et Kalista*, jeunes actifs souhaitant quitter leur appartement, ont proposé deux candidatures solvables à leur bailleur, une régie romande de premier plan, qui a accepté l’un d’eux. Fin de l’histoire? Pas vraiment. En effet, dans le courrier leur confirmant la reprise du bail, Igor et Kalista découvrent avec stupeur que la gérance leur réclame la somme de 162.- à titre de «frais de résiliation anticipée».
Des frais illégaux
Si la pratique ne concerne de loin pas uniquement la régie de nos deux trentenaires, elle n’en demeure pas moins totalement illégale et a même fait l’objet en 2015 d’un arrêt du Tribunal Fédéral (TF), la plus haute juridiction du pays.
Pas de quoi cependant refroidir les ardeurs de certaines régies qui persistent aujourd’hui encore à réclamer de tels émoluments, notamment en inscrivant des clauses allant dans ce sens dans les contrats signés par les locataires: «De nombreux contrats de bail mentionnent le fait qu’un montant forfaitaire est dû par le locataire en cas de résiliation anticipée. Or ces clauses n’ont aucune valeur juridique!», tonne Jessica Jaccoud, avocate spécialiste du droit du bail et conseillère nationale socialiste (VD).
Manque de contrôle et rapports de force inégaux
Dès lors, on est légitimement en droit de se demander pourquoi les gérances continuent de (tenter de) réclamer ces sommes indues aux locataires? Selon Jessica Jaccoud, deux facteurs principaux permettent d’expliquer une telle situation, à savoir un contrôle quasi absent des pratiques des régies ainsi qu’une importante asymétrie des forces entre locataires et propriétaires: «On est dans un système où le droit proscrit certains comportements, mais où la charge du contrôle revient au locataire. Or, dans la pratique, seule une infime minorité d’entre eux franchissent ce pas, soit par manque d’information, soit par peur des représailles.»
En effet, pas question pour l’avocate de culpabiliser celles et ceux qui renoncent à risquer de se retrouver au tribunal pour quelques centaines de francs: «On est clairement dans une dynamique de David contre Goliath avec un marché immobilier ultra tendu, des régies qui font la pluie et le beau temps et qui n’hésitent pas à intimider les locataires souhaitant faire valoir leurs droits, par exemple en les menaçant de ne pas leur restituer leur garantie de loyer tant qu’ils ne se seront pas acquittés de ces frais de résiliation anticipée», dénonce la parlementaire socialiste qui appelle de ses vœux la mise en place d’un organe de contrôle des gérances immobilières sur le modèle de la FINMA, qui régule notamment le secteur bancaire en Suisse.
Que faire si votre régie vous réclame de tels frais?
Comment faut-il s’y prendre pour ne pas avoir à payer ces émoluments indus? Jessica Jaccoud conseille dans un premier temps de ne simplement pas donner suite au courrier de votre régie: «Le plus souvent, ils essaient mais n’insistent pas en cas de non-réponse.» Dans le cas, plus rare, où la gérance vous enverrait un rappel, la femme de loi préconise alors de rédiger un courrier recommandé en s’aidant d’un modèle de lettre comme celui mis à disposition par la protection juridique de l’assureur Generali sur son site internet.
Des conseils suivis par Igor et Kalista qui ont tout d’abord ignoré la demande de leur régie. Visiblement peu encline à lâcher le morceau, cette dernière n’a cependant pas tardé à contrattaquer au moyen d’un courrier intitulé «premier rappel» et au ton nettement plus menaçant les enjoignant à régulariser leur situation dans les dix jours et auquel, cerise sur le gâteau, viennent s’ajouter des frais de rappel.
Las d’être importunés de la sorte par leur ancien bailleur, les deux amis se fendent finalement d’un courrier dans lequel ils contestent formellement devoir une telle somme et mentionnent le jugement du TF. Quelques phrases aux allures de formule magique qui poussent la régie à leur signifier l’annulation de la facture litigieuse «par gain de paix et afin de [leur] être agréables». Une formule qui n’a pas manqué de faire sourire Jessica Jaccoud: «C’est bien la preuve qu’ils savent pertinemment qu’ils n’ont pas le droit de réclamer de tels frais!» Contactée par Blick, la régie concernée n'a pas répondu à nos sollicitations.
*Les prénoms ont été modifiés