Les jeunes Suisses peuvent passer des heures à comparer les prix des opérateurs téléphoniques, des assurances maladie ou des pompes à essence pour économiser quelques centaines de francs. Mais ils sont mal informés concernant les économies à réaliser en matière d'impôts et de caisses de pension, permettant pourtant des gains substantiels à long terme bien plus conséquents.
C'est ce qui ressort de l'enquête menée en 2023 en Suisse auprès de 1052 personnes âgées de 18 à 65 ans par la banque Raiffeisen pour son baromètre annuel de la prévoyance, réalisée en collaboration avec la Haute école de sciences appliquées de Zurich (ZHAW). L'étude vise à définir les habitudes de la population en matière de prévoyance vieillesse à travers quelques questions précises.
Un exemple? Les placements en titres dans le pilier 3a permettent-ils d’atteindre à long terme un capital final plus bas, identique ou plus élevé que sur une solution de compte 3a? 61,2% des participants ont correctement mentionné un «capital final plus élevé». Mais le taux de réponses justes à cette question dans la tranche des 18-30 ans était seulement de 55,6%.
La retraite, un horizon lointain
Le manque de connaissances ou de curiosité pour la prévoyance dans cette tranche d’âge s’explique par plusieurs facteurs. «Quand on est jeune, la retraite représente un horizon lointain, rappelle Caroline Henchoz, professeure ordinaire à la Haute école de travail social de Lausanne (HETSL). C’est quand on est installé professionnellement, mais aussi sur le plan personnel, quand on fonde une famille notamment, qu’on va commencer à voir un peu plus loin.»
C’est donc plutôt à partir de 40 ans que les Suisses s’intéressent à la prévoyance et aux meilleures solutions qui s’offrent à eux. Avant cela, ils privilégient des dépenses plus immédiates: celles d’aménager son logement quand on prend son indépendance, puis celles liées aux frais des enfants. Autre facteur évident expliquant le résultat de l'enquête: pour mettre de l’argent de côté, il faut en avoir suffisamment – ce qui est rarement le cas avec les salaires des premiers emplois.
Remplir une déclaration d’impôts, choisir le type de compte en banque le plus approprié pour l’avenir, tout cela ne s’apprend pas à l’école. «Même les étudiants qui choisissent une filière en économie vont apprendre ce qui a trait à la macro- ou à la micro-économie, mais pas aborder ces aspects du quotidien», poursuit la chercheuse. Une idée est en discussion actuellement, liée aux problèmes d’endettement qui touchent particulièrement les jeunes: celle d’intégrer cette instruction économique de base à l’école obligatoire.
À l'échelle suisse, il existe malgré tout déjà une offre de formation, proposée par la Banque nationale suisse (BNS): Iconomix. Elle s’adresse aux étudiants de gymnases et d’écoles professionnelles et peut être intégrée dans des cours d’économie ou de culture générale. Mais elle dépend de la volonté de chaque enseignant de l’utiliser ou non.
L’argent, toujours tabou
Aborder les questions de fiscalité et de prévoyance à l’école obligatoire serait en ce sens la solution la plus démocratique. Car parler d’argent dans le cadre familial est très inégalement répandu. «Même au sein du couple, le sujet reste assez peu abordé», estime Caroline Henchoz.
L'experte poursuit: «Ainsi, certaines personnes ne connaissent pas le revenu de leur conjointe ou conjoint, et les jeunes n’ont parfois aucune idée du revenu de leurs parents. Ils ne savent ainsi pas ce que représente le budget d’une famille. Les parents les plus vulnérables financièrement en particulier, vont avoir tendance à cacher leur situation économique à leurs enfants. Dans une famille, on parle d’argent de poche, mais les connaissances qui seraient utiles quand on entre dans la vie adulte ne sont pas toujours transmises.»
Le rôle d’informer sur les solutions existantes en matière de prévoyance peut aussi être assuré par les conseillers bancaires eux-mêmes. La plupart des grandes banques suisses disposent d’ailleurs de solutions (comptes courants, d’épargne ou de prévoyance) destinées aux jeunes.
Le hic, c’est que ces solutions s’adressent finalement surtout à ceux issus de la classe moyenne, voire supérieure. Car tous n’ont pas de compte en banque, un fait observé notamment dans les milieux les plus précaires.
Les plateformes digitales, de bons outils de gestion
Dans le cadre de son étude Jeunes et économie numérique, Caroline Henchoz a en revanche observé que les applications digitales proposées par la plupart des banques constituent un bon moyen de familiarisation à la gestion des finances. «Certains ont témoigné avoir essayé d’accéder à leur compte en ligne depuis leur ordinateur et trouvaient cela compliqué. Les applications sur smartphone permettent un accès plus direct et facilité. On observe qu’avec ces outils, ils suivent beaucoup plus l’évolution de leur compte et de leurs dépenses.»
Finalement, si les 18-30 ans sont les plus mauvais élèves en matière de connaissances liées à la prévoyance, c’est surtout parce qu’ils ont d’autres priorités. Mais l’idée de mettre de l’argent de côté reste un objectif important en Suisse, et ce, à tout âge. «Dans le cadre d’une autre étude, nous avons mené des entretiens avec des jeunes qui étaient à l’aide sociale, donc qui avaient très peu les moyens d’épargner, explique Caroline Henchoz. Malgré tout, leur objectif était de réussir à mettre de côté, ce qui était vraiment pour eux le garant de stabilité financière.»
La Suisse se place d’ailleurs parmi les leaders mondiaux des peuples les plus prévoyants, si l’on considère le taux d’épargne des ménages. Ce taux s’élevait à 23,8% en 2022, contre 17,2% pour la France et 14,5% pour l’Union européenne. «On ne fait pas forcément tout de suite un 3e pilier en entrant dans la vie active, mais on voit que même chez les jeunes, le rapport à l’épargne est très important.»
En collaboration avec Large Network