Constatons d’abord le lien invariable entre taux d’intérêt et marché des actions. Nous avons connu plus d’une décennie de «politique monétaire accommodante», c’est-à-dire que les banques centrales ont décidé de garder les taux d’intérêt très bas en Europe et aux USA.
Dans la zone euro, les taux d’intérêt sont restés sous les 1% entre 2012 et cette année. Sur la période, les actions européennes ont doublé de valeur. Plus spectaculaire encore, les taux d’intérêt américains sont restés sous les 1% durant quasi 15 ans (à l’exception de 2017-2019), et sur la période, les actions américaines ont été multipliées quasiment par 7.
Annonce de hausse des taux = déclin des actions
Mais cette année, pour la première fois depuis tout ce temps, les banques centrales ont annoncé qu’elles relèveraient les taux d’intérêt. But: lutter contre l’inflation, en rendant l’argent cher à nouveau.
Dès qu’elles ont annoncé le début du relèvement des taux (qu’on appelle aussi «resserrement monétaire»), les marchés ont commencé à chuter. On voit sur ce graphique le retournement de tendance qui s’est produit entre 2021 et 2022 sur les marchés européen et américain dès qu’il a été clair que les banques centrales allaient remonter les taux.
Taux 0% = explosion de la dette financière
L’explication est simple. Quand les taux sont très bas pendant très longtemps, il y a des conséquences. La principale est que les marchés financiers, comme les consommateurs, s’endettent. Avec un loyer de l’argent à 0%, la première idée qui vient aux acteurs de la bourse (traders, fonds spéculatifs, banques…) est d’emprunter à bon marché pour investir massivement, sans devoir engager leurs propres fonds.
S’il est possible d’emprunter de l’argent gratuitement, même ceux qui n’ont pas de fonds propres peuvent se mettre à spéculer sur les actions, sur les dérivés, sur les cryptomonnaies… C’est alors l’euphorie sur les marchés. Une très grande part de l’argent placé en bourse devient alors du crédit.
Taux qui remontent = urgence de se désendetter
Mais quand une remontée des taux est annoncée, c’est la fin de la récréation. Les acteurs financiers comprennent vite que le coût de leur dette va considérablement augmenter. Et qu’il va donc falloir se désendetter au plus vite s’ils veulent éviter l’insolvabilité. Pour rembourser les crédits, il leur faut souvent liquider des placements existants, ce qui libère le cash nécessaire au désendettement. Ces ventes de titres liées au besoin d’assurer sa solvabilité expliquent la baisse subie par le marché à l’annonce d’une hausse des taux.
Cette baisse de la valeur des actions a des conséquences à son tour: beaucoup de crédits sont gagés sur des portefeuilles d’actions. Quand ces actions baissent, la dette contractée n’est plus suffisamment couverte par le collatéral, à savoir les actions en garantie. Ce qui amène d’autres liquidations de titres.
Les banques centrales savent que le marché doit se désendetter. C’est pourquoi elles ont attendu plusieurs mois entre l’annonce de la hausse des taux, au printemps dernier et le passage à l’acte, cet été, afin de laisser aux spéculateurs le temps de se retourner.
Resserrement monétaire = baisse de la dette sur marge
Le graphique ci-dessous montre, en rouge, la dette sur marge, c’est-à-dire le montant que les gens empruntent pour acheter des actions. Comme expliqué plus haut, cette dette est généralement obtenue en échange d’une garantie en actions. On voit comment cette dette a augmenté sur la période des taux zéro, en même temps que l’indice S&P 500 (actions américaines). Et comment ce volume de dette a fortement chuté depuis l’annonce de hausse des taux.
Moins de placements à crédit = moins de surévaluation
C’est ainsi que, quand le marché se désendette, le niveau des indices baisse. Avec moins de spéculateurs prêts à emprunter à 0% pour investir, il ne reste dans le marché que ceux qui disposent de capitaux relativement solides. La masse des spéculateurs à découvert se retire et le marché retrouve des niveaux plus normaux (ou moins spéculatifs).
Par ailleurs, la baisse des actions s’explique aussi par la baisse de leur attractivité relativement aux obligations: ces dernières rapportent en effet des intérêts à l’investisseur. Avec la remontée des taux d’intérêt, leur rémunération (ou coupon) augmente. Une partie des investisseurs va donc vendre des actions pour leur préférer les placements à taux fixe que sont les obligations.
En conclusion, la remontée des taux d’intérêt est un processus qui fait certes peur aux acteurs de la bourse, mais qui s’avère bénéfique, car il assainit le marché d’un excès de dette et de spéculation.