Popularisé il y a 10 ans, le «crowdfunding» est devenu un outil reconnu pour lever des fonds en ligne. Il s’agit d’un don d’argent, de pair à pair, qui permet à des entreprises, individus ou organisations de se financer sans passer par les banques. En 2021, 1867 campagnes ont donné lieu à des levées de fonds près de 40 millions de francs en Suisse, sous la forme de donations avec ou sans contreparties (produits ou services), selon le Crowdfunding Monitor 2022 de la Haute école de Lucerne.
Si l’on ajoute l’activité élargie, qui inclut les prêts (avec ou sans intérêt) et les investissements participatifs, ce sont au total 800 millions qui ont été levés sous ces différentes formes de financement participatif, par 250'000 personnes, à travers 28 plateformes basées en Suisse, dont WeMakeIt, Kickstarter, ou I Believe In You. Mais de quoi faut-il tenir compte, en particulier lorsqu’on sollicite des donations en ligne, et qu’est-ce qui fonctionne vraiment dans ce domaine en évolution rapide? Témoignages de quelques acteurs et actrices de Suisse romande.
Il faut assurer sa promo soi-même
L’un des constats les plus évidents, est que les plateformes de crowdfunding ne font pas votre communication pour vous. C’est sur vous, la personne qui porte le projet, que repose un gros travail de communication. Comme l’a appris Laura Tocmacov, directrice de la Fondation Impactia, qui vient de terminer un crowdfunding mené du 25 mars au 10 mai: «On a choisi une petite plateforme, KissKissBankBank, pour lever 15'000 francs, et on a fini par lever 17'000 francs.»
Mais cela ne s’est pas fait tout seul. Au fil de l’expérience, elle et son équipe ont appris à créer de nombreux posts pour les réseaux sociaux, à personnaliser les mails, à utiliser le potentiel de LinkedIn, qui leur a ramené beaucoup de donateurs. «C’est beaucoup de stress. On nous a dit que 80% des fonds de campagne arrivent les deux derniers jours. Au final, nous avons eu les 50% les sept derniers jours. Il nous a fallu mettre un coup d’accélérateur en termes de promotion, et c’est ainsi qu’on a dépassé le montant.»
Ce qu’elle a appris: c’est qu’il faut fortement solliciter son réseau, demander à ses contacts de relayer, mais sans les culpabiliser. Et cela n’est pas toujours très agréable: «Pour mieux se préparer à la campagne, il faut avoir 40-60 jours de contenus prêts à poster avant de la lancer. Il faut également des vidéos explicatives, qu’il s’agit de préparer en avance, pas pendant le rush de la campagne.» Bref, un crowdfunding est un véritable crush course en communication.
Le jeune entrepreneur lausannois Yaël Peccatus a eu recours à WeMakeIt, la plateforme de crowdfunding la plus connue de Suisse, pour lever 25'000 francs. Lui et son associé, Bahrom Khoury, avaient besoin de cet argent pour lancer Memories Store, leur magasin de streetwear au Flon. «Nous avons réussi à récolter les 25'000 francs en deux-trois mois, ce qui est rapide, note Yaël. Mais nous le devons surtout à notre propre réseau de connaissances.»
Là aussi, Yaël Peccatus fait le constat qu’avoir un projet sur un site de crowdfunding ne suffit pas pour faire largement connaître le projet, et qu’il faut diffuser soi-même intensivement l’information auprès de ses contacts: «Si j’ai un conseil à donner, c’est de bien communiquer sur le projet, de poster des stories sur Instagram fréquemment. Au départ, nous ne l’avions pas fait et cela ne décollait pas vraiment. Mais dès le moment où nous avons partagé l’info auprès de nos réseaux, ça a décollé.»
Simon Berthoud, responsable de la levée de fonds d’Agissons, s’est occupé du crowdfunding de la dernière campagne politique de ce jeune mouvement créé dans le canton de Vaud: «La levée de fonds est un outil essentiel pour notre mouvement, car nous n’avons pas l’argent des lobbyistes et des multinationales, et avons forcément besoin de l’aide d’un maximum de personnes. Le crowdfunding nous a permis de lever 52'600 francs auprès de plus de 400 personnes».
Il fait également le constat que rien ne vaut le carnet d’adresses du porteur du projet. Les plateformes mènent certes une communication des projets auprès de leur communauté, mais Simon Berthoud estime que 95% des donateurs sont venus via le réseau d’Agissons. Une grande plateforme comme WeMakeIt, par exemple, diffuse les projets dans sa newsletter qui touche de nombreux abonnés (sa communauté atteint 500'000 personnes au total). Mais suivant le type de projet, le succès sera très variable auprès des abonnés, qui sont en moyenne plus âgés que les demandeurs de fonds et ne s’enthousiasmeront pas toujours pour des projets trop jeunes ou trop spécifiques. De l’avis des utilisateurs interrogés, une newsletter peut mieux fonctionner pour des projets très grand public.
Préférer les plateformes locales et de niche
Au sujet des contraintes liées à la promotion, un entrepreneur local qui a tenté le crowdfunding et s’est offert un coaching à 2000 francs de la plateforme au même moment, témoigne. «On nous met une énorme pression. On nous dit: 'Bombardez, envoyez des Messenger, ne lâchez pas, appelez votre réseau'… Or dans mon cas, ce n’était pas possible, car j’avais perdu le contact avec mon réseau depuis quelques années, pour cause de maladie, et c’était délicat de revenir ainsi en les démarchant.»
Il ajoute que son concept, lié à l’épicerie fine de luxe, n’a pas été très bien accueilli par la plateforme sur laquelle il était, et qui est «adepte de graines germées et de fromageries: ils ont réagi curieusement, surtout les coaches de Zurich.» Aujourd’hui, il préfère les plateformes de crowdfunding locales, comme Sig-impact, pour les produits du terroir. «C’est le futur», selon lui.
Faire appel aux dons soi-même
Les utilisateurs s’accordent à dire que les plateformes offrent généralement une excellente expérience technique, lorsqu’il s’agit de publier l’annonce, des photos et des vidéos. On évoque une bonne ergonomie, une grande fluidité de transactions et, le cas échéant, une équipe réactive qui donne des retours utiles en termes d’améliorations à apporter.
Mais autant Yaël Peccatus que Simon Berthoud préféreraient passer par leur propre site pour faire appel aux dons, à l’avenir. S’il n’est pas possible de lancer une activité de crowdfunding soi-même sans autorisation du régulateur, il est en revanche possible de faire appel à des dons via un site d’entreprise. «À l’avenir, on aimerait faire cela sur notre propre plateforme, témoigne Simon Berthoud. Nous visons des donations plus récurrentes, mensuelles. Nous avons déjà une plateforme de dons sur le site d’Agissons, qui nous a permis de lever 1400 fr. de dons, avec zéro frais.»
De son côté, Laura Tocmacov reconnaît les mérites d’une plateforme de crowdfunding, qui peut gérer professionnellement les entrées, mais aussi les sorties de fonds. En effet, si le montant n’est pas atteint en crowdfunding, la plateforme doit reverser l’argent donné sur le compte des donateurs, dans les deux jours.
Par ailleurs, sur une plateforme de crowdfunding professionnelle, celle-ci vérifie l’identité de ceux qui sont inscrits comme donateurs réguliers, pour des raisons de réglementation anti-blanchiment. Cela diffère des simples appels aux dons, pour lesquels les sites des entreprises ou organisations n’ont pas besoin de faire des vérifications anti-blanchiment.
Les frais des plateformes peuvent être élevés
Sur WeMakeIt, les frais atteignent 10% du montant récolté, soit 5000 francs sur 50’000. «C’est assez élevé étant donné qu’on a surtout récolté les fonds grâce à notre communauté, estime Yaël Peccatus. Si l’on a une importante communauté, on peut passer par ses propres canaux.» Sur KissKissBankBank, les frais atteignent 6%, ou 12% si l’on souhaite un accompagnement. «Pour des projets de quelques milliers de francs, ils prennent 0 frais, ce que j’ai trouvé respectable», souligne Laura Tocmacov, qui a payé 6% de frais.
Penser à donner des contreparties
Sans contrepartie, les levées de fonds fonctionnent moins bien. Dans le dernier rapport sur le crowdfunding cité plus haut, on observe qu’en 2021, le soutien aux causes caritatives sans contrepartie et les dons pour des projets culturels ont reculé. Les 38 millions de francs indiqués plus haut représentent en effet une baisse de 16% par rapport à 2020.
Pour Simon Berthoud, il ne faut pas sous-estimer l’effet des contreparties: «Lors de notre levée de fonds, nous avons constaté que donner des entrées à un spectacle ou des services, cela fonctionne mieux.» Même des places de théâtre proposées à 100 francs, alors qu’elles sont en réalité à 15 francs, seront appréciées: «Les trois sont parties en une demi-journée».