Le facteur peur joue un rôle central
Pourquoi le taux de change euro-franc suisse baisse et monte-t-il?

La question du taux de change est compliquée. L'inflation, le différentiel de taux d'intérêt et le statut de valeur refuge sont les principaux facteurs qui influencent la valeur du franc. Mais pas seulement.
Publié: 17.06.2024 à 10:05 heures
La direction de la BNS avec le président Thomas Jordan au premier plan: la politique monétaire prudente de la Banque nationale a contribué à ce que le franc soit perçu comme une valeur refuge.
Photo: Keystone
Peter Rohner

Cet été, les touristes suisses feront une agréable expérience dans les pays voisins. Les prix en euros sont plus ou moins des prix en francs, avec toutefois un petit rabais: la pizza à 10 euros ne revient qu'à 9,70 francs sur le compte en banque.

C'est certes un peu plus qu'au début de l'année, mais nettement moins que les années précédentes. Pendant longtemps, il fallait compter avec des taux compris entre 1,10 et 1,20. Avant la crise de la dette de l'euro en 2011 et 2012, le rapport était encore de 1,50 ou plus: la pizza à 10 euros chargeait le porte-monnaie de 15 francs, la conversion était donc plus compliquée.

Les taux de change peuvent bouleverser violemment l'établissement du budget des vacances. Mais comment ces mouvements se produisent-ils, pourquoi les monnaies sont-elles parfois fortes, puis plutôt faibles? Et quels sont les moteurs spécifiques derrière les hauts et les bas du taux de change euro-franc?

La force du franc est aussi la faiblesse de l'euro

La réponse est à la fois triviale et compliquée, parce que dans un système de taux de change flexibles, les prix des monnaies sont déterminés par l'offre et la demande, comme pour les actions ou les contrats à terme sur les matières premières. Si tout le monde veut des francs, leur valeur augmente. Si une banque centrale imprime de l'argent à grande échelle, la monnaie est mise sous pression lorsque la demande est aussi forte.

La situation est encore un peu plus complexe, car les devises ne peuvent jamais être considérées isolément. Enfin, le taux de change est le prix d'une monnaie en unités de l'autre. Autrement dit, tout est relatif. La force du franc est en même temps la faiblesse de l'euro. C'est différent pour les actions: il ne vient à l'idée de personne de parler d'une appréciation de la monnaie lorsque les cours baissent.

La question des taux de change est également compliquée parce qu'elle implique des économies nationales entières. Et comme il n'existe pas d'expériences de laboratoire pour les économies nationales, les modèles et les théories doivent être utilisés pour comprendre les relations.

Les différences de prix sont compensées

Parmi les théories éprouvées figure celle de la parité relative des pouvoirs d'achat. L'idée est que les taux de change devraient compenser l'évolution différente des prix de deux économies nationales. Si ce n'était pas le cas, il serait théoriquement intéressant d'importer les produits du pays où l'inflation est la plus faible et de les vendre dans le pays où l'inflation est la plus élevée. Mais ce gain d'arbitrage ne serait possible que jusqu'à ce que la demande supplémentaire de la monnaie à faible inflation ait fait remonter son cours.

Le lien entre le différentiel d'inflation et le taux de change est bien illustré par l'exemple de l'euro et du franc. Depuis l'introduction de l'euro, les prix ont augmenté de plus de 50% dans la zone euro, alors qu'en Suisse, l'augmentation cumulée des prix n'a été que d'environ 15%. En même temps, l'euro s'est déprécié de 40% par rapport au franc. 

Selon que l'on utilise comme mesure de l'inflation les prix à la consommation ou les prix à la production, le taux de change «équitable», corrigé de la différence d'inflation, serait aujourd'hui de 1,05 ou 0,98 franc. À long terme, les taux de change s'orientent sur les différences d'inflation. Les fluctuations à court et moyen terme ne peuvent toutefois pas expliquer les prix relatifs.

Le pouvoir des taux d'intérêt

Pour cela, les taux d'intérêt et les attentes en matière de taux d'intérêt sont plus appropriés. L'effet du différentiel de taux d'intérêt sur les monnaies est certes controversé dans la littérature économique. Mais ces dernières années, un schéma s'est dégagé: les monnaies présentant un avantage en termes de taux d'intérêt sont attractives pour les investisseurs et ont donc tendance à se renforcer.

En effet, les spéculateurs exploitent la différence de taux d'intérêt à leur avantage en empruntant dans les monnaies à faible taux d'intérêt, comme le franc, pour les placer dans des titres du marché monétaire à taux d'intérêt plus élevé. Ils encaissent la différence de taux d'intérêt tout en créant une certaine pression à la dévaluation dans la monnaie de financement.

L'actualité le montre également: la dépréciation du franc par rapport à l'euro au premier trimestre 2024 a été mise en relation avec l'écart croissant entre les taux d'intérêt de la zone euro et de la Suisse. Depuis qu'il est clair que la zone euro baisserait elle aussi ses taux d'intérêt, le cours euro-franc s'est à nouveau orienté à la baisse. 

Le franc comme valeur refuge

Appliqué spécifiquement au franc, le facteur peur joue également un rôle. Près de deux siècles de stabilité politique, une politique financière prudente et une Banque nationale qui n'a pratiquement jamais autorisé l'inflation ont conféré à la Suisse et à sa monnaie le statut de havre de paix. Au moindre signe d'incertitude sur les marchés financiers, les investisseurs s'y réfugient et achètent des titres suisses.

Le mouvement de fuite pendant la crise de la dette de l'euro a été extrême. Les Suisses ont rapatrié des capitaux dans leur pays et les investisseurs étrangers ont placé des milliards sur des comptes en francs suisses sûrs. Depuis 2008, un solde de 340 milliards de francs suisses a afflué de l'étranger sur le marché suisse des actions et des obligations. De tels flux de capitaux en quête de sécurité devraient renforcer le franc.

Cet effet peut être démontré statistiquement, mais il n'est pas très fort. Selon une nouvelle étude d'UBS, les flux de capitaux expliquent moins de 5% des mouvements du taux de change. Selon les économistes de la banque, cela ne remet pas en question le statut de valeur refuge du franc. Cela relativise simplement l'importance des flux de capitaux comme indicateur de la fuite vers les valeurs refuges. Les écarts de rendement dans les pays périphériques de la zone euro ou la volatilité générale du marché des actions sont plus appropriés.

Les événements de cette semaine en sont la preuve. Après le virage à droite des élections européennes et la dissolution du Parlement français ce week-end, les bourses se sont effondrées lundi et les écarts de rendement des obligations italiennes et espagnoles ont augmenté. En miroir, l'euro s'est également quelque peu affaibli par rapport au franc.

La position économique extérieure joue un rôle

Un autre facteur économique qui joue un rôle important sur les marchés des changes est la position économique extérieure. Les pays qui exportent plus qu'ils n'importent sont confrontés à une pression constante à l'appréciation, car chaque opération d'exportation s'accompagne d'une demande correspondante pour la monnaie. Par exemple, si une entreprise turque achète une machine suisse, elle doit d'abord échanger des lires contre des francs.

Cette approche n'est toutefois pas d'une grande aide pour expliquer le cours de l'euro par rapport au franc. En effet, les deux économies nationales enregistrent depuis des années des excédents de leur balance commerciale et de leur balance des paiements courants, ce qui assure une demande constante pour leur monnaie.

Ainsi, les principaux moteurs du franc restent l'inflation, le différentiel de taux d'intérêt et la préférence des acteurs du marché financier pour les placements risqués ou sûrs. Les différents moteurs peuvent se renforcer ou se neutraliser, leur influence n'est généralement visible qu'a posteriori. C'est pourquoi les prévisions relatives aux taux de change doivent être considérées avec une grande prudence.

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