C’est un fait, la zone euro a tutoyé la récession, tandis que la Suisse y a échappé. Entre octobre et décembre, puis janvier et mars, la zone euro a connu deux trimestres de contraction de son PIB de -0,1%. Même si ces reculs sont faibles, c’est techniquement la définition d’une récession. Son moteur économique, l’Allemagne, a plombé l’ensemble, avec une croissance négative d’un semestre. La Suisse, elle, a évité de justesse le fameux mot en «r» jusqu’ici. Certes, la croissance a stagné chez nous ces derniers mois, mais elle s’est maintenue du côté positif. Que se passera-t-il ces prochains mois? À regarder les indicateurs, la récession a plus de chances d’être encore évitée en Suisse. Mais pas forcément dans la zone euro. Explications.
En 2023, le PIB suisse devrait croître faiblement, entre 0,6% et 0,8%, prévoient les experts de la Confédération. Dans la zone euro, la croissance du PIB est attendue entre 0,5% et 0,9%, selon les divers instituts. Prédire le sort de 20 pays est toutefois difficile. En réalité, tout dépendra du poids lourd, l’Allemagne. Avec une croissance attendue à 0,3% cette année, la première économie d’Europe sera tributaire des prix de l’énergie, et il ne faudrait pas grand-chose pour la voir rebasculer dans le rouge. Bref, pour la zone euro, «le redressement consécutif à cette courte et faible récession ne sera vraisemblablement ni fort, ni rapide», anticipent les analystes d’HSBC.
Pourquoi ces probabilités de récession différentes, qui semblent à l’avantage de l’Helvétie et en défaveur du grand voisin européen?
L'inflation est moins élevée en Suisse
Parce que l’un des facteurs les plus décisifs pour la croissance est l’inflation. Et celle-ci est mieux contrôlée en Suisse qu’en Europe. «L’inflation est nettement moins élevée en Suisse que dans la zone euro (2,7% contre 5,5%) grâce notamment à la vigueur du franc suisse qui a atténué la hausse des prix de l’énergie et des matières premières», explique Charles-Henry Monchau, chef économiste de la banque Syz. Elle baissera plus vite en Suisse que dans la zone euro, après avoir déjà été plus faible chez nous. Les prévisions pour l’année en cours et pour 2024 sont à 2,2% d’inflation en Suisse, selon la BNS. Dans la zone euro, elle est attendue à 5,4% cette année et à 3,0% en 2024, et ce n'est qu’en 2025 qu’on la verrait retomber à 2,2%. La croissance européenne en sera davantage freinée.
Les ménages ont accru leurs dépenses cette année
Parce que la consommation se porte mieux en Suisse qu’en Europe. C’est même le facteur qui fait la différence. En Suisse, les ménages ont accru leurs dépenses cette année. Cette vigueur de la demande intérieure a compensé le ralentissement des exportations vers la zone euro et vers la Chine. Dans la zone euro, en revanche, la faiblesse de la consommation est le talon d’Achille, l’une des causes de la récession de début d’année. «L’inflation européenne a pesé sur la consommation des ménages, qui se contracte depuis le 4ᵉ trimestre 2022», confirme Charles-Henry Monchau.
Si, à l’inverse, la consommation des ménages a soutenu la croissance en Suisse, c’est parce que le renchérissement plus modéré favorise les dépenses des particuliers. Moins affectés que leurs voisins, les Suisses ont préservé quelque pouvoir d’achat. Les dépenses des ménages suisses devraient progresser de 1,4% en 2023, selon l’OCDE. Ce n’est pas beaucoup, mais c’est assez pour sauver la Suisse de la récession. Cette robustesse de la consommation s’est d’ailleurs vue confirmée par le dernier baromètre KOF (de l’EPF de Zurich) ce 28 juillet 2023. Ainsi, le même facteur qui freine la zone euro tire l’économie suisse.
Le marché du travail suisse est l'un des plus performants
Parce que le marché du travail en Suisse se porte bien, et c’est aussi cela qui dope la consommation. Le plein emploi a même été atteint ce début d’été. Le taux de chômage est tombé à 1,9% entre avril et juin, l’un des taux les plus bas jamais enregistrés. Sur l’ensemble de 2023, il devrait s’élever à 2%, d’après les experts de la Confédération. En comparaison avec les pays de l’OCDE, le marché du travail suisse est l’un des plus performants. Sauf qu’il faut le comparer aux autres pays en utilisant le taux de chômage calculé par le BIT (Bureau international du travail), car il prend aussi en compte les demandeurs d’emploi non inscrits auprès d’un Office régional de placement (ORP). Et ce taux de chômage du BIT pour la Suisse atteignait 4,3% au 1er trimestre 2023. Il se compare à 6,5% pour la zone euro. Pour l’Europe, 6,5% est certes un plus bas historique, mais cela ne se traduit pas, comme en Suisse, par un effet positif sur la consommation, en raison du renchérissement plus élevé.
La Suisse profite du redémarrage de la croissance en Asie
Parce que la Suisse est plus largement exposée à l’économie internationale, dont les perspectives s’améliorent, et notamment l’Asie. Une croissance qui redémarre dans les principales économies asiatiques profitera à la Suisse, selon Valérie Lemaigre, cheffe économiste de la BCGE. Il reste que pour la Suisse, le principal marché d’exportation est l’Europe. Dès lors, une récession qui se prolonge en Allemagne assombrirait rapidement les perspectives pour de nos PME exportatrices.
Mais les exportations de la zone euro ont été plus fortement affectées que celles de Suisse. D’une part, le premier débouché des exportations de biens européens est la Chine, dont le ralentissement puis l’absence de réelle reprise de croissance ont eu un effet plus direct. Ensuite, la zone a été impactée par l’arrêt des exportations vers la Russie (5ᵉ principal débouché), souligne Charles-Henry Monchau. En outre, la faiblesse de la croissance au Royaume-Uni (3ᵉ débouché) n’a pas été sans effets. Ces facteurs ont pesé sur l’activité industrielle européenne et en particulier sur les économies les plus exportatrices, l’Allemagne et l’Italie.
Le taux d'intérêt est plus bas que dans la zone euro
Parce que les taux d’intérêt sont plus élevés dans la zone euro qu’en Suisse. En Europe, le taux d’intérêt de la banque centrale européenne (BCE) est à 4%, tandis qu’en Suisse, il est à 1,75%. Cela signifie que les conditions pour obtenir un crédit sont nettement plus restreintes chez nos grands voisins qu’en Suisse, ce qui affecte les investissements des entreprises.
Jusqu’ici, l’Europe a relativement bien résisté, note Charles-Henry Monchau, «mais l’effet progressif du resserrement des conditions monétaires par la BCE, avec la diminution de l’octroi de crédit aux entreprises et des taux plus élevés, font clairement peser un risque sur les perspectives de croissance de la zone euro pour la deuxième moitié d’année».
Ainsi, l’économie suisse semble moins à risque de connaître une récession dans les 12 prochains mois, convient Charles-Henry Monchau, même si le ralentissement attendu de la croissance globale, le risque d’une récession dans la zone euro voisine et l’impact du resserrement des conditions monétaires opéré par la Banque nationale suisse devraient tout de même peser sur l’activité dans notre pays et freiner la croissance du PIB de la Suisse d’ici à la fin de l’année.