La Suisse votera prochainement sur la réforme du 2ᵉ pilier, ou loi sur la prévoyance professionnelle (LPP). La réforme contient énormément d’ajustements techniques, dont le plus notoire et facile à percevoir est sans doute la baisse du taux de conversion. Derrière ce terme barbare se cache une réalité très concrète: il s’agit de la part du capital retraite accumulé tout au long de la vie professionnelle qui déterminera le montant de la rente reversée chaque année après la retraite.
D’abord fixé à 7,2% en 1985 (date de l’entrée en vigueur de la LPP), ce taux a progressivement baissé entre 2006 et 2014 pour atteindre son niveau actuel de 6,8%. Aujourd’hui, le parlement souhaite le fixer encore plus bas, à 6%. Opposés à la réforme, gauche et syndicats ont lancé un référendum. La question sera donc tranchée en votation populaire, vraisemblablement courant 2024. Concrètement, dans la situation actuelle, l’assuré qui parvient à mettre de côté 100’000 francs sur son 2ᵉ pilier, touche 6800 francs par an une fois l’âge de la retraite atteint et, si la réforme passe la rampe l’an prochain, les futurs retraités verraient cette rente annuelle tomber à 6000 francs.
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L’avenir du taux de conversion du 2ᵉ pilier n’est certes pas encore scellé, mais les défis qui attendent le financement des retraites ces prochaines décennies sont de taille. Car la pérennité de la prévoyance professionnelle dépend en grande partie de la capacité des caisses de pension à faire fructifier le capital déposé par leurs assurés tout au long de leur vie professionnelle. Sans des rendements supérieurs permettant de compenser la hausse générale des prix, le capital disponible s’effriterait et les caisses de pension se verraient dans l’impossibilité de reverser des rentes décentes aux retraités.
Heureusement, les caisses de pension s’en sortent pour l’instant plutôt bien. En 2023, même si les institutions de prévoyance ont encaissé des pertes de rendement à hauteur de 8,8%, en moyenne sur les dix dernières années, ce même rendement est demeuré positif à 3,6%, selon le rapport annuel de Swisscanto. C’est certes bien plus que les performances réalisées par l’épargne, mais cela reste insuffisant pour assurer des rentes aussi élevées qu'auparavant. «Pour maintenir le taux de conversion du 2ᵉ pilier à 6,8%, il faudrait que les rendements des caisses de prévoyance s’élèvent à environ 4,8%», estime Damien Combelles, planificateur financier chez Raiffeisen Suisse.
Au regard de ces incertitudes, les milléniaux et la génération Z, qui se retireront du marché du travail entre 2050 et 2075, peuvent difficilement ignorer le risque de baisse des prestations qu’offre la prévoyance professionnelle aujourd’hui.
Un système parfois inadapté
Pour Damien Combelles, les défis à venir devraient encourager les moins de 40 ans à prendre leur prévoyance en main en se tournant vers la prévoyance individuelle, à savoir le 3ᵉ pilier, et ce, le plus tôt possible. «Les retraités des générations précédentes pouvaient se contenter d’une rente AVS et d’un 2ᵉ pilier car la combinaison des deux permettait de couvrir jusqu’à 80% du dernier salaire. Au vu de la situation actuelle, ce taux se situe aujourd’hui plutôt autour de 60% en moyenne.» Dans un tel cas de figure, compléter ses revenus avec une prévoyance individuelle paraît toujours plus nécessaire.
D’autant que les modes de vie changent. Pour ceux qui entrent sur le marché du travail plus tard, ou ceux qui travaillent à temps partiel ou effectuent plusieurs reconversions au cours de leur vie active, la question de la prévoyance professionnelle se pose d’autant plus.
Le fonctionnement des deux premiers piliers n’a pas vraiment été pensé pour répondre à ces nouveaux schémas de vie. «Les prestations offertes et la nature des placements peuvent varier en fonction des caisses de pension. Prenons l’exemple d’un employé qui considère important que le 2ᵉ pilier offre de bonnes prestations et souhaite, en plus, que son capital retraite soit placé selon des critères de durabilité, par exemple. Si sa caisse de pension actuelle répond à ces critères, cet employé pourrait faire le choix de tout miser sur son 2e pilier, en allant jusqu’à en racheter une partie (ndlr: verser des sommes supplémentaires en plus des cotisations obligatoires pour renforcer son capital). Mais rien ne garantit que la caisse de pension de son prochain employeur offre les mêmes conditions! C’est un élément à bien garder en tête lorsqu’on prévoit de changer d’emploi.»
En plus, pour ceux qui ne travaillent qu’à temps partiel ou cumulent plusieurs emplois à temps partiel, l’exclusion de la prévoyance professionnelle constitue un véritable piège, car l’employeur ne peut ouvrir un compte LPP que pour les salariés touchant au moins 22’050 francs par an dans son entreprise. «En cela, la réforme LPP21 apporte un élément de réponse, car elle abaisse ce seuil de 10% à 19’845 francs, ce qui reviendrait à ramener les bas salaires et les temps partiels dans le giron de la LPP.»
«N’ayez pas peur d’épargner!»
Mais le 2ᵉ pilier n’est pas le seul à pouvoir réserver de mauvaises surprises. Bien qu’obligatoire à partir de 21 ans pour toute personne résidant en Suisse, le 1ᵉʳ pilier ne doit pas pour autant être considéré comme acquis. «Il arrive que certains manquent de cotiser pendant les années d’étude ou en cas de séjour prolongé à l’étranger. Or, chaque cotisation annuelle manquée ampute la rente vieillesse de 2,3%. Les personnes arrivées en Suisse plus tardivement devront, elles aussi, rattraper leurs cotisations pour obtenir une rente complète. Mais attention! Ce rattrapage ne peut se faire que dans les cinq ans suivant la cotisation manquée. Avec AVS21, toute personne continuant à travailler au-delà de 65 ans pourra combler d’éventuelles lacunes en cotisant au-delà de l’âge de la retraite.»
Une fois cette vérification effectuée, le spécialiste appelle à se pencher sur la prévoyance individuelle. Déjà adapté aux temps partiels et aux indépendants, le 3ᵉ pilier constitue, du fait des incertitudes croissantes autour des rentes de 2ᵉ pilier à l’avenir, aussi une solution tout à fait recommandable pour les salariés à plein temps. À condition de s’y prendre correctement.
Pour commencer, il est préférable de l’ouvrir dès que possible. «Le conseil que l’on donne souvent aux jeunes est de profiter des années fastes pour épargner un maximum. Pour beaucoup, l’apogée de l’épargne se fait aux alentours de 30 ou 35 ans, quand on travaille à 100% et que les éventuels frais émanant de la garde d’enfants, impliquant bien souvent une baisse du taux d’activité, ou de l’acquisition d’un logement, ne viennent pas encore peser dans les finances», observe Damien Combelles.
Chaque année, tout épargnant affilié à une caisse de pension peut placer jusqu’à 7056 francs déductibles d’impôt (35’280 pour les indépendants) dans un 3ᵉ pilier. Il ouvre la voie à un complément qui pourrait se révéler essentiel pour beaucoup. «Même ceux qui ont un coussin confortable, n’ayez pas peur d’épargner! En cas d’excédant, on peut toujours venir piocher dans ce capital le jour où l’on souhaite acheter un logement en propriété ou lancer sa propre affaire. Pour les autres, un excédent peut permettre de partir à la retraite plus tôt ou de diminuer son taux d’activité en fin de carrière. Bref, il existe plusieurs façons d’en profiter.» Face à la perspective d’une retraite trop maigre pour joindre les deux bouts, l’idée du trop-plein d’épargne apparaît au final plus alléchant. Mais attention à bien l’organiser!
Privilégier les titres
Il existe deux façons de se constituer un troisième plan d’épargne retraite: le 3e pilier lié, qui offre des avantages fiscaux, et le 3ᵉ pilier libre, qui n’est défiscalisé que dans les cantons de Genève et Fribourg et sous certaines conditions. Cependant, ce capital, déductible (lié) ou non (libre) au moment de la constitution de l’épargne, sera, lui aussi, imposé une fois retiré. «Il est néanmoins possible de se constituer plusieurs plans à la fois et de répartir les retraits sur plusieurs années pour réduire la charge fiscale», note Damien Combelles.
En outre, gare aux plans d’épargne pas assez rémunérateurs. «La conjoncture actuelle montre bien que nous ne sommes jamais à l’abri de périodes d’inflation. Mieux vaut donc s’en prémunir avec des plans de prévoyance offrant de bons rendements, de l’ordre de 3% ou 4% pour ne pas voir la valeur de son capital s’éroder. En règle générale, cela impliquera de se tourner vers des titres plutôt que des comptes épargnes.»
(En collaboration avec Large Network)