«Revenu passif». Omniprésent sur la toile, le concept a longtemps fait rêver, surtout au sommet de la bulle d’argent facile de 2010-2021. Aujourd’hui, de nombreux sites continuent de vous bombarder de conseils pour parvenir à ce graal. Instagrammeurs et youtubeurs vous assurent que, si vous trouvez le bon créneau, vous pourrez toucher de l’argent sans effort. L’argent va alors tomber à intervalles réguliers, tandis que vous aurez du temps libre rémunéré, au lieu d’être otage d’horaires de travail interminables. En d’autres termes, un effort temporaire peut vous assurer une rémunération durable, à la façon d’une rente.
De manière plus réaliste, d’autres influenceurs vous promettent de décrocher un complément d’argent chaque mois. Ces promesses sont porteuses, en cette époque où de nombreux jeunes ont un avenir professionnel incertain et aspirent à une sécurité financière. Mais surtout, les exemples d’influenceurs comme Yomi Denzel entretiennent le mythe. Ce Suisse-romand a posté en 2019 une vidéo qui a fait 3 millions de vues où il dit être passé «d’étudiant fauché, à millionnaire en un an». D’autres aux Etats-Unis ou en France se vantent aussi d’avoir gagné des millions sur YouTube ou Instagram en étant partis de rien. Tout cela entretient le fantasme d’une «rente digitale». En réalité, ces influenceurs veulent le plus souvent vendre des formations et du consulting… pour gagner leur revenu passif à eux. Qu’en est-il vraiment des promesses de revenu passif? Tour d’horizon.
Placements miracles
À l’origine, l’idée (très ancienne) de «revenu passif» est venue du monde de la finance. Un investisseur lambda place son capital dans une obligation à taux fixe, par exemple, et touche des rendements réguliers, sans travailler. Le capital fructifie tout seul et on parle alors de la «rente du capital». De même, quand un propriétaire loue son bien immobilier, et touche un loyer, c’est une autre sorte de rente. La condition, dans ces deux exemples, est de disposer au départ d’un capital à placer, assez important pour vivre de la rente.
Mais ces dernières années, une source de revenu passif a prouvé qu’il n’y avait pas besoin d’avoir beaucoup de capital pour s’enrichir: la bourse. Cette dernière a explosé à la hausse depuis 2009, grâce au soutien sans précédent des banques centrales. Ces dernières ont fait monter artificiellement les marchés boursiers, favorisant le retour des boursicoteurs et des day traders, sur fond de culture de l’argent facile, qui a marqué les jeunes générations. Nés dans ce paradigme, les jeunes ont été témoins de créations de fortunes passives grâce à la hausse quasi ininterrompue d’indices comme le Nasdaq depuis 2009, dopé par la planche à billets. Depuis fin 2021, c’est la fin de l’argent facile, alors on déchante. Le Nasdaq est 14% plus bas que son sommet historique de novembre 2021. Cet exemple montre que dans le domaine de la bourse, aucun revenu passif ne dure éternellement.
Une autre source de revenus passifs a contribué au mythe, créant une véritable frénésie: les cryptomonnaies. Soudain, le terme de «revenu passif» («passive income», en anglais), est devenu synomyme de finance décentralisée (DeFi). Entre 2017 et 2021, les plateformes de DeFi ont permis à une masse d’investisseurs de mettre leurs cryptomonnaies en gage, en échange de rendements fixes. Cette promesse a attiré ceux qui avaient peu de capital, qui se sont rués pour gager leurs quelques cryptos et toucher ces rendements passifs.
Ces rendements pouvaient être très élevés, mais aussi extrêmement risqués, car on les obtenait au prix de verrouiller ses propres cryptomonnaies dans des projets de DeFi très risqués et incertains. On donnait en location, en quelque sorte, ses cryptos à la plateforme, en échange de ce rendement, en espérant que le projet décolle. À mesure que ces plateformes captaient plus d’investisseurs, le rêve du «passive income» se propageait et la bulle grandissait. Ce marché de rentes ultra-risquées a atteint 180 milliards, avant de s’effondrer fin 2021-début 2022 dès que les taux d’intérêt américains sont remontés. On a alors vu à quel point ces rendements devaient tout à l’argent facile et à la planche à billets.
Les mirages du dropshipping
Autre source fantasmée de revenu passif, née cette fois de l’essor fulgurant du marketing digital: le dropshipping. Métier de plus en plus controversé depuis 10 ans, en raison de son modèle de vente douteux, il consiste à acquérir des produits fabriqués dans des pays comme la Chine à prix bas, et à les revendre par exemple en Suisse avec une grosse marge. Le tout, tranquillement installé chez soi dans son fauteuil.
C’est un travail d’intermédiation supposément sans risques, car on boucle la vente avant de commander le produit. «Un bon moyen de commencer à gagner de l’argent où que vous soyez, même si vous ne disposez pas d’énormément de capital», peut-on lire encore aujourd’hui sur le site Shopify, plateforme qui permet aux dropshippers de créer leur commerce en ligne en quelques minutes, en échange d’une redevance mensuelle. «L’intérêt du dropshipping est que, selon le produit que vous choisissez et votre tarification, vous pouvez gagner des revenus passifs importants tout en apprenant à gérer une entreprise d’e-commerce, vante le site. Vous n’avez pas besoin de voir physiquement les produits que vous vendez. Votre fournisseur s’occupe de tout, de la fabrication jusqu’au traitement des commandes en passant par l’emballage. Et puisque vous n’avez pas besoin d’envoyer de l’argent au fournisseur tant que vos clients n’ont pas payé, les risques financiers sont limités.»
Sauf qu’entretemps, beaucoup de jeunes en sont revenus, ayant expérimenté les pièges de ce modèle. En 2019 déjà le quotidien Le Monde mettait en garde contre «les mirages du dropshipping», soulignant qu’au final, seuls les hébergeurs comme Shopify gagnent quelque chose dans l’affaire, ou les nombreux «gourous» qui vendent des formations pour «faire fortune grâce au dropshipping».
Dans ce secteur miné par les arnaques et publicités mensongères, la concurrence est extrême pour ceux qui se lancent sans expérience commerciale en répliquant ce que font déjà des milliers d’autres. Une danger typique est celui de devoir prendre en charge trop de frais (comme les frais de port, les frais publicitaires et les frais facturés par les sites comme Shopify) et de perdre sa marge. Aujourd’hui, en raison d’un historique douteux en matière de pratiques de vente, la réputation du dropshipping est mauvaise. Les aventuriers de la première heure, qui ont compris qu’au mieux, 1% gagnent vraiment des sommes intéressantes avec cette méthode, sont nombreux à s’être reconvertis dans le e-commerce classique.
Formations en ligne
Donner des formations en ligne fait partie des moyens jugés faciles pour devenir riche rapidement. Un influenceur comme Yomi Denzel, quant à lui, capitalise sur sa notoriété pour vendre des formations sur l’e-commerce, le freelancing, ou l’investissement. Pour 1500 francs, le Romand propose 70 heures de vidéo, préenregistrées, qui vont lui permettre d’accumuler des revenus sur la durée. Des heures de travail bien investies, qui ont toutes les chances de s’avérer rentables.
D’autres démarches sont plus douteuses, comme la tendance actuelle à voir de nombreuses publicités pour des formations dans le domaine de l’intelligence artificielle ou sur ChatGPT, qui surfent sur la mode en promettant monts et merveilles. Clients sérieux s’abstenir.
Sur Instagram, on trouve même des comptes qui vous proposent une formation pour créer votre propre cours online en 5 jours grâce à l’IA, et le vendre à des dizaines de clients, en encaissant de grosses sommes, sur un sujet que vous ne maîtrisez même pas, puisque l’IA fait «90% du boulot» à votre place.
Vendre des photos en ligne
Enfin, une autre tentation d’argent facile qui permet de compléter des revenus insuffisants consiste à vendre des photos en ligne. Dans cette catégorie, on trouve des sites de photos classiques, mais peu rémunérateurs, et des sites érotiques comme OnlyFans, la plateforme de contenus exclusifs pour adultes, qui se prêtent toutefois à nombre de dérives.
Récemment, des sportifs et sportives précaires se sont laissés tenter par cette possibilité de gains pour soutenir leur carrière. Comme l’athlète mexicain Diego Balleza, qui s’est mis à vendre photos de lui sur OnlyFans pour financer ses entraînements. Il donne accès à son compte pour 15 dollars par mois et propose des forfaits trimestriels pour 40 dollars. De même, la cycliste Alexandra Ianculescu vend des photos d'elle en bikini sur cette plateforme pour financer sa participation aux Jeux olympiques de Paris 2024.
Si ces deux cas n’ont pas posé de problèmes notables, plus inquiétante est la tendance de voir des étudiantes universitaires se livrer à cette activité, au risque de mettre en péril leur avenir professionnel. Elles apprennent au final que vendre des photos sur OnlyFans ne rapporte pas plus que de travailler à la caisse d'un magasin ou faire du baby-sitting, mais comporte infiniment plus de risques.