En cette période marquée par une forte inflation, les idées pullulent pour mieux maîtriser ses dépenses. Alimentée par un succès hors norme sur les réseaux sociaux, notamment TikTok où elle comptabilise plus d’un milliard de vues, la pratique du «cash stuffing» fait des adeptes dans le monde entier.
Le principe est assez simple: retirer tout ou une partie de son revenu pour ensuite répartir les billets dans de petites enveloppes, souvent transparentes, prévues à cet effet. Chacune d’entre elles accueillera le budget accordé à un certain type de dépenses (alimentation, shopping, loisirs, etc).
«Le plus important pour démarrer une planification financière réussie est de faire le point, de connaître ses revenus, ses dépenses et la capacité d’épargne qui en résulte, explique Amir Beccarelli, conseiller en planification financière chez Swiss Life Select à Genève. Ensuite, il faut se fixer des objectifs, savoir pourquoi on souhaite épargner. Si ces conditions sont réunies, une bonne planification a toutes les chances de réussir, que ce soit en liquide ou sur un compte bancaire.»
À l’heure où les espèces paraissaient condamnées – ou du moins reléguées à l’arrière-plan – par le recours aux cartes bancaires et autres moyens de paiement comme TWINT et PayPal, ce retour en force, qui n’est pas sans rappeler les billets dissimulés sous le matelas, sonne comme un cri d’attachement aux bonnes vieilles méthodes d’économie. L’empiètement croissant du numérique sur notre mode de vie au détriment du matériel n’est pas du goût de tout le monde.
D’autant que plusieurs études pointent du doigt l’influence des méthodes de paiement numérique et sans contact sur nos comportements d’achat. Le geste de tendre de l’argent liquide pour le remettre physiquement à quelqu’un d’autre ferait mieux prendre conscience du poids de la dépense.
Quoi qu’il en soit, les spécialistes s’accordent à dire qu'accumuler des liasses ne constitue pas une méthode d’épargne efficace sur le long terme, dans la mesure où la valeur de l’argent est grignotée à hauteur d’environ 2% chaque année par l’inflation des prix. Ainsi, mieux vaut s’en remettre à des placements bancaires pour compenser cet effet.
Mais revenons au «cash stuffing». Est-il bien opportun? La réponse est oui, mais à certaines conditions.
Quels sont les réels avantages de la méthode des enveloppes?
C’est un premier pas dans la planification financière
«Tout projet d’épargne commence avec une prise de conscience. Le «cash stuffing», avec son côté ludique, semble être une très bonne porte d’entrée. La tendance est mondiale, les internautes s'échangent leurs conseils et se lancent des défis, ce qui semble non seulement induire un passage à l’action et susciter des vocations d’épargne et de gestion financière mieux maîtrisée chez certains», reconnaît Amir Beccarelli.
Vous pouvez visualiser la limite de vos ressources financières
C’est sans doute l’avantage le plus évident du «cash stuffing». Avec un budget mensuel sous forme de billets de banque soigneusement classés, impossible d’ignorer que l’on est à sec ou de détourner le regard comme on pourrait le faire avec un solde bancaire passé dans les chiffres rouges.
«L’impossibilité de crédit est effectivement un point intéressant, notamment pour ceux qui manquent de notion et de vécu en matière de gestion financière.» La méthode semble donc particulièrement adaptée aux jeunes et aux étudiants, pour qui la notion d’argent est parfois encore trouble, mais qui doivent pourtant composer avec un budget souvent serré.
Vous économisez pour de petits projets à court terme
«Pour certains, la notion d’épargne demeure relativement vague. Je constate que beaucoup prétendent épargner sur un compte dédié, pour ensuite le vider tous les six mois pour partir en voyage ou plus ponctuellement pour une grosse dépense comme l’achat d’un vélo. Dans de tels cas, l’approche du «cash stuffing» peut être intéressante, dans la mesure où l’inflation n’aura, dans un laps de temps aussi court, qu’un effet relativement limité sur la valeur de l’argent.»
En outre, la méthode peut aussi être envisageable pour se lancer dans des projets à plus long terme, mais à condition de reverser l’argent épargné vers d'autres canaux de façon périodique. «Au bout de trois ou six mois, la plupart d’entre nous peut déjà dégager les grandes lignes de ses dépenses. Les sommes épargnées peuvent alors être réinjectées vers un compte épargne ou d’autres méthodes d’investissement, selon ses objectifs et ses moyens», indique Amir Beccarelli.
Quelles sont les limites de cette méthode?
L’épargne liquide perd vite de sa valeur
Comme mentionné plus haut, l’inflation des prix a forcément un impact non négligeable sur la valeur du cash à moyen et long terme, c’est pourquoi, bien avant l’avènement du «cash stuffing», il était déjà déconseillé d’épargner sous cette forme.
«Au-delà de l’effritement de la valeur due à l’inflation, il existe aussi un grand coût d’opportunité, car les sommes économisées en espèces pourraient être investies autrement. De manière générale, nous préconisons toujours de diversifier ses placements, de façon à ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier.»
Garder de grosses sommes chez soi, un pari risqué
Le point faible le plus évident de la méthode, c’est forcément l’absence de protection et de sécurité.
«Il y a non seulement un risque de vol ou de cambriolage, mais aussi de perte, voire de détérioration de l'argent en cas de dégâts naturels, comme des inondations ou un incendie. Dans un tel cas, tout le budget et l’épargne sont bien évidemment perdus.»
Attention à l’amateurisme
L’un des points forts du «cash stuffing», à savoir son côté ludique et social, peut aussi se révéler problématique à plus longue échéance.
«Sur les réseaux, tout le monde y va de ses petits conseils – qui sont souvent parfaitement valables dans les grandes lignes – sans être professionnels. Sans vouloir prêcher pour ma paroisse, je relève que ce genre d’astuces peuvent mener à manquer de nuance et de personnalisation. Chacun a ses propres moyens et ses propres objectifs auxquels des stratégies trop générales et uniformes ne répondent que partiellement.»