Ouvrir une petite boutique, gérer un hôtel ou fonder une société de restauration: certaines activités se prêtent particulièrement bien à une gestion en duo. Au moment du choix de l’associé, le conjoint peut sembler un allié idéal. «La connaissance de l’autre peut permettre aux couples d’entrepreneurs d’affronter d’autant mieux les périodes de turbulences, mais également de se soutenir mutuellement, de réfléchir et d’innover à deux»: pour Loïc Deslarzes, psychologue du travail et président de l’Association genevoise des psychologues (AGPsy), l’amour que se portent deux associés peut se transformer en une immense force de travail et constituer un atout considérable pour la réussite d’une entreprise.
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Mais à l’instar d’un mariage, mieux vaut également anticiper le potentiel échec de sa société avant de se lancer. L’objectif étant que le projet entrepreneurial puisse perdurer indépendamment de la relation amoureuse, et vice-versa. Pour Blick, deux experts et trois couples d’entrepreneurs décryptent les cinq pièges à éviter.
Être trop optimistes
Établir les contours de l’association de manière stricte fait partie des points essentiels à régler au départ de toute aventure entrepreneuriale. Un impératif d’autant plus fondamental lorsque les partenaires forment aussi un couple à la ville. «Dans le cas d’une telle association, on met véritablement tous les œufs dans le même panier. Le risque est de se laisser éblouir par l’enthousiasme des débuts, explique Célia Salvador, experte au sein de la société de conseils Entreprendre.ch. Mais une rupture peut toujours arriver et engendre parfois des guerres d’ego et des ressentis dont l’entreprise peut grandement pâtir. Afin de se prémunir d’un double échec, le mieux consiste à établir rapidement une convention d’associés avec un avocat.» Cette étape permet notamment de décider de la répartition des parts de chacun et d’anticiper également la reprise de la direction ou un rachat des parts en cas de séparation.
Fondateurs de l’entreprise zurichoise de restauration Felfel créée en 2013 et mariés depuis six ans, Daniela et Emanuel Steiner abondent: «Nous avons discuté des valeurs ainsi que des aspirations de chacun de manière extrêmement franche. Clarifier ces points et les mettre par écrit représente une étape incontournable et cruciale.» Concernant le choix juridique de l’entreprise, le couple a opté pour une société anonyme, qui leur offre de nombreuses possibilités d'expansion, mais protège aussi le patrimoine familial et simplifie les procédures en cas de faillite ou de fermeture de l'entreprise.
Mélanger vie privée et professionnelle
La création d’une entreprise va de pair avec un changement du rapport au travail. L’engagement est souvent tel que les limites entre vie professionnelle et privée peuvent devenir poreuses.
«Si le projet est trop envahissant, le couple peut disparaître au profit de la relation de travail. Établir des règles propres à chaque duo permet de se ressourcer et de ne pas voir son conjoint uniquement comme un partenaire professionnel», explique Loïc Deslarzes.
Actifs dans le domaine de l’hôtellerie (métier de passion par excellence), Charlotte et Jean-Marc Boutilly ont dû effectuer de petits réglages afin de garantir l’équilibre familial. «Nous avions tendance à ramener les problèmes professionnels à la maison et nos enfants nous l’ont reproché. Aujourd’hui, il n’en n’est plus question», confient les directeurs du groupe Villars Alpine Resort, fondé en 2021.
Un défi que le couple Steiner a aussi su relever. «Réussir à faire la part des choses demande une certaine maturité professionnelle et émotionnelle. Désormais, nous n’avons plus besoin de raconter systématiquement à l’autre le moindre problème survenu dans la journée», résume Daniela. Ils s’accordent aussi régulièrement des soirées en amoureux.
Mal communiquer
La communication constitue une base commune aux relations humaines ainsi qu’à tout projet entrepreneurial voué à perdurer. Célia Salvador recommande cependant de dissocier la forme d’un contexte à l’autre: «Utiliser un vocabulaire différent lorsque l’on s’adresse à son partenaire de travail et non à sa moitié peut aider à créer un cadre particulier». Se fixer des horaires dédiés aux échanges professionnels permet également de poser des limites claires. «Il s’agit par ailleurs d’avoir la capacité de différer parfois sa communication. L’humour peut aussi désamorcer des situations de crise», ajoute le psychologue Loïc Deslarzes.
Un conseil validé par l’hôtelier Jean-Marc Boutilly: «Charlotte a ce don incroyable de savoir me dire les choses au bon moment. Quant à moi, mon sens de l’autodérision déride les conversations les plus sérieuses.»
Ensemble depuis bientôt sept ans, Lara Nour Wehbe et Alain Walther ont fondé la société de revente de bijoux Anour Shop en 2018 et un institut de beauté en 2021, à Courgevaux (FR). Le couple a développé une communication orientée vers la recherche de solutions dans le domaine professionnel, qui s’est répercutée de façon très positive sur la relation privée: «Afin que le projet fonctionne, il faut pouvoir se parler librement, sans que l’autre se vexe. L’entreprise nous a rendus plus flexibles et appris à mettre de côté nos egos afin de viser toujours la résolution des conflits.»
Empiéter sur la liberté de l’autre
Extrêmement prenant, le quotidien de tout entrepreneur demande un sens aigu du dévouement de la part des partenaires impliqués. Afin que chacun puisse répondre aux exigences et obligations du quotidien de manière sereine, le couple Steiner planifie ses semaines tous les vendredis. «Avec trois enfants, il est essentiel de se coordonner et de définir qui fait quoi chaque jour, tant au niveau professionnel que personnel. Ces réunions hebdomadaires constituent un vrai facteur de réussite», raconte Daniela.
Il serait par contre dangereux d’imposer son rythme à sa moitié sans la consulter. «Accepter la différence de l’autre, sa manière de travailler et lui faire confiance est indispensable», dit l’experte Célia Salvador. La mise en place de garde-fous et d’une hygiène professionnelle peut aussi se révéler utile.
«Il s’agit de déterminer des critères en amont – est-ce que l’on travaille les week-ends, les soirs et si oui, tous les week-ends, tous les soirs – qui ne doivent pas forcément être identiques pour les deux conjoints. Lorsque le couple se connaît bien, chacun peut devenir le gardien du bien-être de l’autre, en remarquant les signaux d’alerte liés au stress ou à la fatigue, par exemple», détaille le psychologue Loïc Deslarzes.
Développer une pensée unique
L’un des avantages de s’associer lorsque l’on crée une entreprise réside dans une confiance mutuelle, mais aussi dans la capacité des partenaires à confronter leurs idées et à se mettre au défi. «L’important est de garder une vision critique lorsqu’il s’agit d’évaluer les orientations stratégiques ou d’analyser une situation. Lorsqu’on a un lien affectif avec son associé, le risque peut être de développer une forme de pensée unique, et de s’auto-convaincre d’une fâcheuse décision», prévient Loïc Deslarzes.
La complémentarité des personnalités ainsi qu’une bonne répartition des rôles et des tâches constituent en ce sens l’une des clés de la réussite. «Lara est plus impulsive, mais aussi plus terre à terre, tandis que je suis plus calme et rêveur, décrit Alain Walther, d’Anour Shop. Nous avons aussi des compétences propres, pour lesquelles nous nous faisons totalement confiance. Les rares disputes proviennent d’ailleurs du seul sujet que nous maîtrisons tous les deux: la comptabilité!»
«Bien qu’ils aient évolué au fil des établissements que nous avons dirigés, nos rôles ont toujours été bien distincts, dit Jean-Marc Boutilly, du groupe Villars Alpine Resort. En termes de caractères, nous sommes les opposés: je suis le feu et ma femme, c’est l’eau. Mais cette différence participe à garantir une harmonie, un équilibre au quotidien.»
En collaboration avec LargeNetwork