Les influenceurs - qui préfèrent le terme de «créateurs de contenus» - affluent de plus en plus en Suisse romande et gagnent en notoriété. D'abord sur Instagram, puis sur TikTok voire YouTube, certains cartonnent au point d'en faire leur métier. Ils cumulent des mandats, participent à des événements prestigieux pour des marques et peuvent se targuer d'être les représentants d'une grande communauté.
Même les institutions s'y mettent. Récemment encore, la Fédération vaudoise des entrepreneurs a noué un partenariat inédit avec le jeune TikTokeur romand Bryan Slade afin de promouvoir les métiers de la construction.
Pourtant, cette profession est loin d'être de tout repos. Une réalité à double-face: derrière les strass et paillettes se cache un nombre incalculable d'heures de travail et une charge mentale mise à rude épreuve. Focus sur un métier qui demande moult réflexions avant de se lancer tête baissée.
Pour nous aider à y voir plus clair, deux créatrices et un créateur de contenus sont passés sous notre loupe. Caroline Bourquin (près de 16'000 abonnés sur Instagram) qui fait son petit bonhomme de chemin en Suisse romande, ainsi que Margaux Seydoux (234'000 followers sur Instagram et près de 670'000 sur TikTok) et Sami Loft (117'000 suivis sur Instagram, 226'000 sur YouTube et 1,2 million sur TikTok) qui vivent tous les deux de leur passion aujourd'hui.
Une charge mentale sans fin
«Être influenceur, c'est dealer en permanence avec un contrat à durée déterminée. C'est de l'entrepreneuriat à l'état pur qui nous oblige à être constamment dans l'action, annonce d'emblée Sami Loft. Je n'ai pas pris de vraies vacances depuis longtemps et c'est un risque d'en prendre, de laisser sa communauté et ses mandats sur pause le temps de quelques jours.»
Un métier mentalement épuisant donc, qui comprend une charge de travail conséquente. Si vous souhaitez vous lancer, pas le choix, vous devrez automatiquement vous soumettre aux trois points suivants:
- Rigueur et organisation. Pas question de se prélasser sur son canapé. Le réveil fait partie du quotidien. La bonne humeur aussi si vous voulez interagir avec votre communauté. Soyez méticuleux dans le planning de votre journée, faites les choses dans l'ordre et assumez tous les points essentiels du jour.
- La régularité avant tout. Tous les influenceurs s'accordent pour le dire, il faut publier du contenu au mieux tous les jours, mais minimum tous les deux, voire trois jours sur une longue durée. L'algorithme des réseaux sociaux fonctionne sur l'assiduité des utilisateurs.
- Un véritable couteau suisse. Il faut réfléchir à un concept, le créer, le tourner, jouer l'acteur, le monter, mais aussi faire de la comptabilité, parler aux marques, se faire connaître et agrandir son carnet d'adresses, gérer les emails, assurer le marketing. Et tout ça, sans être spécialiste de rien, en apprenant sur le tas. Il n'existe ni cours ni marche à suivre. Il faut se lancer et s'investir au maximum.
Une identité forte pour drainer sa communauté
Tous s'accordent pour le dire, le métier de créateur de contenus n'est pas destiné à n'importe qui. «J’ai refusé d’aller présenter ma profession dans des classes d'école, soulève Margaux Seydoux. Selon moi, ce métier n’est pas accessible à tous, c’est vendre du rêve alors que ce n’est pas forcément possible. Il faut avoir un talent caché, une personnalité marquée, des idées originales, être authentique. Sans ça, impossible d'attirer et de fidéliser une communauté.» La jeune femme, touche-à-tout et très créative, s'est démarquée par son rapport très proche à la nature. «J'habite dans une ferme, c'est le cas de peu de gens qui exercent ce métier», affirme-t-elle.
L'originalité, Sami Loft en a fait sa marque de fabrique: une personnalité atypique, décrit comme bienveillante et rassurante. «C'est impossible de plaire à tout le monde. Du coup, quitte à diviser, autant s'assumer complètement et renforcer le lien avec sa communauté, avec des abonnés qui nous ressemblent, qui s'identifient à nous.» Petit à petit, les abonnés ont l'impression de connaître réellement ces influenceurs — qu'il s'agisse de leur opinion, de leur manière de vivre — et une sorte d'amitié unilatérale se crée.
Pour y parvenir, pas le choix d'être constamment de bonne humeur. «C'est prenant, avoue Margaux Seydoux, on doit toujours donner de sa personne et véhiculer une énergie positive.» Mais cela va même au-delà et touche directement aux valeurs. «Ne collaborez qu'avec des marques qui vous correspondent, il faut être transparent et honnête avec votre activité professionnelle» insiste l'influenceuse. Selon elle, il y a de la place pour tout le monde, car ils sont encore relativement peu en Suisse à l'heure actuelle.
Acheter des likes et abonnés, la mauvaise idée
Là aussi, nos trois influenceurs sont unanimes, s'acheter de faux abonnés ou cumuler de faux likes, c'est littéralement se tirer une balle dans le pied. «Honnêtement, ça ne sert à rien. On se met des bâtons dans les roues, car les algorithmes des réseaux sociaux sont faits pour détecter les abus de ce type et ils nous 'punissent' en quelque sorte, affirme Sami Loft. Il n'y a pas de formule miracle, il faut faire des contenus de qualité pour que ça fonctionne et qu'on soit suivi.»
Margaux Seydoux renchérit: «Des logiciels permettent de voir le taux d’engagement d’une personne par rapport à un compte, des statistiques sur nos profils personnels sont accessibles en tout temps.» Caroline Bourquin mentionne, entre autres, l'application HypeAuditor qui analyse en détails le compte de chaque utilisateur.
A contrario, c'est une pratique plus courante du côté des marques d'après nos influenceurs. «Elles veulent paraître connues, donner une image de réussite. Mais elles ont beau avoir beaucoup d'abonnés, elles n’ont pas plus de likes que ça finalement», relève Sami Loft.
Savoir se renouveler
Lorsqu'elle a débuté en 2020, Margaux Seydoux réalisait de petites vidéos sur les tendances du moment avec son frère, sans prise de tête, avant tout pour s'amuser. Puis, avec le temps, elle a pris les choses plus sérieusement, s'est lancée dans des concepts plus recherchés, en se créant une véritable identité. Une sorte de virage à 180 degrés qu'elle a pris en septembre 2022. «J'ai laissé de côté les petites vidéos drôles pour basculer dans le serviciel. Je voulais aider les gens», déclare-t-elle.
Désormais, l'influenceuse propose (quasi-) quotidiennement des DIY (Do It Yourself), des recettes faciles, des vlogs lifestyle ou encore des astuces en tout genre en mettant l'accent sur son côté créatif. «Ça a fait mouche directement, ceux qui me suivaient se sont identifiés à mes contenus. L'idée est de proposer des choses reproduisibles et surtout accessibles à tous.»
Pour Sami Loft, pas le choix de se renouveler si on veut maintenir une communauté qui varie au fil du temps. Avec un penchant assidu pour la mode, il n'hésite pas à varier les formats pour divertir et informer sa communauté: présenter des looks, fournir des conseils, réaliser des vidéos inspirantes, proposer des collages photos. «La variété est la clef. Les répétitions de contenus lassent rapidement les abonnés», assure-t-il.
Un métier-passion éphémère
«Il faut avant tout que ce soit une passion. Il faut savoir être patient, constant, original et perfectionniste. Si vous vous acharnez à tout prix pour percer, ou que vous voulez devenir influenceur uniquement pour la notoriété et l'argent, vous n'y arriverez pas», assure Margaux Seydoux.
Car même lorsqu'on a percé, outre la quantité de travail, la charge mentale reste totale. «Les influenceurs bien connus gagnent généralement plus de 10'000 francs par mois, mais notre métier peut s'arrêter du jour au lendemain, soulève Sami Loft. C'est une profession à durée limitée. Je sais pertinemment que je ne vais pas faire ça toute ma vie, je dois donc penser en amont et réfléchir à la manière dont je dépense mon argent pour assurer mon avenir.»
Dernier point, et pas des moindres, l'implication corps et âme dans cette profession. «C’est un engagement complet de sa personne, d'un point de vue familial, amical, amoureux… La manière de nous habiller, ce qu'on dégage, notre comportement, tout est scruté. En fin de compte, les gens ne nous parlent plus que de ça», conclut-il.