«Coucou! C’est Nichole. J’aimerais vous parler de l’aspartame et du fait qu’en consommer, c’est un super choix, et un choix sans risque.» Voici la première phrase de la vidéo postée le 29 juin dernier sur Instagram par Nichole Andrews, diététicienne américaine qui se présente également comme une spécialiste du cancer. Sur le réseau social, où elle compte 240’000 abonnés, mais aussi sur son site internet et dans un livre, Nichole Andrews dispense des conseils mêlant santé et nutrition, avec les aliments à privilégier pour prévenir le cancer. Le problème, c’est précisément que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a, le 14 juillet dernier, classé l’aspartame comme «peut-être cancérogène pour l’homme».
Nichole Andrews n’est pas la seule diététicienne à avoir pris fait et cause pour cet édulcorant artificiel, utilisé pour sucrer des produits, notamment des boissons, à la place du sucre. Sur Instagram, Cara Harbstreet, plus de 35’000 abonnés au compteur, s’est, elle aussi, fendue d’une vidéo défendant l’aspartame le 14 juillet, soit le jour même où l’OMS a publié son avis. Sur TikTok, c’est Stéphanie Grasso, 2,2 millions d’abonnés, qui a directement ciblé la publication de l’OMS en dénonçant une «science de mauvaise qualité» simplement destinée «à faire du clic».
American Beverage, un lobby derrière des partenariats
Le point commun de toutes ces femmes? Ce sont toutes des diététiciennes très suivies, donc, qui tiennent un discours pro-aspartame et ont utilisé le même hashtag, #safetyofaspartame («l’absence de risque de l’aspartame», en bon français). Mais surtout, chacune de ces vidéos a été exécutée contre rémunération, comme le révèlent le «Washington Post» et «The Examination», un média indépendant spécialisé dans la santé. À la manœuvre: American Beverage, un lobby qui représente les boissons non-alcoolisées aux États-Unis. Parmi leurs clients, on retrouve Coca-Cola, PepsiCo et de nombreuses autres marques.
#Safetyofaspartame est une campagne coordonnée, destinée à minorer le message de l’OMS pour promouvoir les boissons allégées qui contiennent l’édulcorant. Au moins 35 posts d’une dizaine de diététiciens ont été répertoriés par le «WashingtonPost» et «The Examination». Mais ce n’est pas la seule opération du genre. Au total, les deux médias ont dénombré qu’en un an, la moitié des 68 diététiciens américains ayant plus de 10’000 abonnés sur les réseaux sociaux ont réalisé des partenariats rémunérés pour l’industrie agroalimentaire. Ils ont vanté les mérites d’aliments, boissons et compléments alimentaires, pour le compte du secteur, auprès de 11 millions de personnes.
Des compléments alimentaires pour les enfants de 6 mois
Le phénomène s’étend jusqu’au Canada, où des diététiciennes ont tourné des vidéos en train de manger de la glace, du beurre de cacahuète ou des donuts glacés, voire ont conseillé aux parents de laisser leurs enfants manger autant de bonbons qu’ils le voulaient pour Halloween. Et, cela, dans le cadre d'un partenariat rémunéré avec l'Institut Canadien du Sucre.
Les compléments alimentaires ne sont pas en reste: des diététiciens américains ont vanté contre rémunération les mérites du collagène en poudre, de thés détox et même de gélules d’oméga-3 pour «booster le cerveau» à administrer à des enfants de 6 mois. Certains de ces produits ne sont pourtant pas approuvés sur les jeunes bambins par la FDA, l’administration publique américaine qui régule le commerce de la nourriture et des médicaments.
Et ces partenariats ne sont pas toujours clairement indiqués aux abonnés. Même lorsque les vidéos sont identifiées comme étant rémunérées, il faut aller regarder les commentaires des internautes, qui réclament de savoir par qui, pour avoir la réponse. Le montant déboursé par American Beverage pour payer les diététiciens devenus influenceurs n’est pas connu. Selon les personnes interrogées par le «Washington Post», ceux avec les plus grosses communautés ont pu toucher jusqu’à plusieurs dizaines de milliers de dollars pour leur coopération.