Repousser la date de péremption des courgettes de trois semaines et celles des cerises de 4 à 5 jours en les enduisant d’un liquide protecteur: le pari a été pris en 2018 par Olga Dubey. Alors doctorante en biologie à l’UNIL, elle développe une molécule qui permet de retarder la dégradation des fruits et légumes. Le but: maximiser la durée pendant laquelle ils peuvent être consommés, sans recourir aux emballages plastiques traditionnels.
Pour commercialiser cette idée, elle cofonde AgroSustain. Installée à Renens, à quelques encablures du campus de l’UNIL dont elle est une spin-off, l'entreprise a levé plus de 10 millions de francs et emploie onze personnes.
Du deux en un
L’innovation d’AgroSustain réside dans l’efficacité du liquide protecteur comestible, composé d'huiles végétales et d'émulsifiants alimentaires, sur une période prolongée. Appliqué juste après la récolte, il permet de s’affranchir d’une protection à la cire, jusqu’ici indispensable lors du transport de certaines cultures. «Avec les solutions naturelles, une seule application suffit pour que l’effet escompté dure non seulement le temps du transport, mais aussi une fois la marchandise placée sur les étalages des supermarchés», explique la chercheuse.
Le principe est simple: l’aliment est brièvement trempé dans le liquide ou ce dernier est sprayé directement sur sa surface. Une fois appliquée, la substance agit comme un film, réduisant la respiration et l’interaction entre les aliments frais et les gaz et micro-organismes présents dans l’air. Le procédé fonctionne sur près de vingt types de cultures différentes.
Complètement invisible, inodore et insipide, le film naturel permet également de retarder la maturation du fruit, précise Olga Dubey: «L'application de cire, qui était jusqu'ici la méthode la plus courante utilisée pour conserver les aliments, entrave la respiration et empêche les pertes d'eau, mais elle se révèle inefficace à ralentir le délai de maturation des fruits.»
Réduire le gaspillage
Aujourd’hui, les spécialistes estiment qu’entre 40% et 50% des denrées alimentaires produites sont gaspillées à l’échelle mondiale, à différents stades entre la production et la consommation. Pour parvenir jusque dans nos magasins, certains produits alimentaires parcourent plusieurs milliers de kilomètres: un défi logistique lorsqu’ils sont périssables.
Exemple: une banane d’Amérique centrale met entre 2 et 3 semaines pour atteindre les points de vente en Suisse, temps pendant lequel elle sera placée dans des conteneurs réfrigérés. Mais malgré cette précaution, près de 14% des denrées sont perdues avant même d’arriver dans leur lieu de vente, selon un rapport de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Pour maximiser encore davantage la durée de conservation, les importateurs de fruits et légumes frais utilisent donc des solutions de protection. La plus problématique étant l’emballage plastique, dont l’usage est de plus en plus décrié en raison de son impact sur l’environnement.
«Comme l'effet protecteur du traitement d’AgroSustain s’étale sur plusieurs semaines, on peut espérer, en bout de chaîne, entre 3 et 5 jours de conservation supplémentaires en moyenne. Alors que près d’un aliment sur trois est jeté chez les consommateurs, repousser la péremption, même de quelques jours, peut contribuer à réduire drastiquement le gaspillage.»
Une prolongation qui permet également d’éviter les trajets en avion: «Les fruits hautement périssables, notamment la papaye et certains types de mangues, doivent être transportés par avion pour parvenir à temps à leur lieu de vente final. En prolongeant leur durée de vie, il est possible d’opter pour un trajet par voie maritime, plus lent, mais moins polluant.» Selon la société de crédit carbone 8 Billion Trees, à distance égale, le transport de marchandises par bateau émet 47 fois moins de CO2 que la voie aérienne.
Le tout à moindre coût
Issus d’avancées scientifiques récentes, les films naturels fabriqués par AgroSustain sont destinés aux grands producteurs. «Si l’on prend en compte l’ensemble des coûts qui émanent d’une chaîne de production, entre récolte, traitement, stockage et transport, le prix du produit d’enrobage à lui seul demeure relativement marginal et peut être amorti grâce aux économies réalisées notamment via la réduction des pertes ou le report de l’avion au bateau.»
L’entreprise vaudoise a déjà séduit des importateurs qui écoulent des fruits en Europe après les avoir cultivés outre-mer. Sans divulguer de chiffres précis ni les noms de ses principaux clients, Olga Dubey assure que le bilan est favorable. Elle a par ailleurs conclu un partenariat avec le distributeur de fruits et légumes suisse Giovanelli Fruchtimport.
Un stimulant naturel pour sauver les cultures menacées
Les chercheurs d’AgroSustain ne comptent pas s’arrêter en si bon chemin. Dans leur laboratoire, ils travaillent sur un biostimulant pour les plantes d’agriculture. «Aujourd’hui, les mauvaises conditions météorologiques posent un réel défi pour les agriculteurs, notamment dans les régions frappées par la sécheresse et les températures anormalement élevées. Les biostimulants permettront de favoriser les récoltes, même dans des conditions difficiles.» Baptisé AgroSLeaf, le produit devrait recevoir l’aval des autorités compétentes d’ici 12 à 18 mois.
En collaboration avec Large Network