D’après Addiction Suisse, 15 à 25% des accidents de travail sont dus à la consommation d’alcool ou d’autres substances psychoactives. Des chiffres peu connus, au vu de la complexité de ce sujet résolument tabou: boire dans le cadre professionnel, on n’en parle jamais.
Afin d’ouvrir la parole et de briser les non-dits, une grande campagne de sensibilisation et de prévention a été lancée le jeudi 23 mai 2024 par plusieurs organisations dont Addiction Suisse, le Groupement romand d’étude des addictions (GREA) ou encore la Croix-Bleue. À l’occasion de la Journée nationale sur les problèmes liés à l’alcool, celle-ci vise à informer la population active quant aux mesures d’aide et de soutien disponibles, en cas de consommation problématique au travail.
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Si les coûts consécutifs aux pertes de productivité sont estimés à 2,1 milliards de francs par an, les souffrances psychologiques engendrées sont encore plus dévastatrices: «La consommation problématique ou la dépendance restent souvent cachées pendant longtemps, peut-on lire dans un communiqué diffusé par les organisations citées plus haut. Les personnes touchées ont honte. Malgré leurs difficultés, elles s’efforcent d’accomplir leurs tâches professionnelles. Leurs proches souffrent, eux aussi, et redoutent un licenciement. Les collègues se sentent dépassés. Ils observent un changement de comportement chez la personne concernée, s’inquiètent pour elle, mais ne savent pas quelle attitude adopter.»
Que dire à un collègue concerné?
Ainsi que le souligne Monique Portner-Helfer, porte-parole d’Addiction Suisse, les problèmes d’alcool se développent progressivement, dans la durée, et sont souvent peu visibles à leurs débuts: «Mais tôt ou tard, le comportement au travail change et impactent les prestations fournies. C’est à ce moment-là que l’alcool commence à poser des problèmes sur le lieu de travail.»
Il est ainsi conseillé de ne pas laisser la situation s’enliser et d’insister sur la communication, afin d’agir au plus vite pour aider la personne, notamment si elle est proche de nous: «Le dialogue doit porter sur les divers changements observés au travail, poursuit la porte-parole. Le message doit être: 'Tu comptes pour moi et je me fais du souci, car j’ai l’impression que tu ne vas pas bien.' Nous recommandons de parler de ce qui nous inquiète et comment on ressent nous-même la situation.»
Ainsi, les émotions et le bien-être de la personne concernée doivent passer avant le thème de l’alcool: «Pour entamer un dialogue, nous proposons de dire: 'Je me fais du souci', 'J’ai l’impression…', 'J’ai remarqué…', 'Ça me dérange quand tu…'. Cette manière de présenter les choses peut motiver la personne concernée à réfléchir sur son comportement et surtout lui faire sentir qu’on lui accorde de l’importance.»
En revanche, il convient d’éviter de forcer le ou la collègue à reconnaître son problème, au risque de la voir se renfermer sur elle-même, redoubler d’efforts pour cacher son mal-être et refuser tout dialogue: «Personne ne peut obliger quelqu’un à parler de son propre comportement ou de sa consommation d’alcool», souligne Monique Portner-Helfer.
Comment faut-il agir?
Puisque la consommation problématique d’alcool est fréquemment cachée et que l’ivresse ne semble pas toujours apparente, la situation peut devenir d’autant plus délicate pour les collègues directs de la personne concernée: on peut se demander comment réagir, s’il faut parler de la situation, s'il faut confier son inquiétude aux supérieurs hiérarchiques, au risque de passer pour un «cafteur»... Dans tous les cas, les auteurs de la campagne soulignent l’importance d’une intervention rapide des responsables, dès qu’apparaît un dysfonctionnement au travail, quelle qu’en soit la cause. En d'autres termes, plus vite le problème sera abordé et adressé, plus vite la situation pourra s'apaiser.
«C’est en observant des indices professionnels de changement dans les performances et le comportement que les cadres pourront réagir le plus efficacement, poursuit la porte-parole d'Addiction Suisse. Sur ce terrain-là, ils en ont non seulement la compétence, ils en ont également la légitimité et sont même tenus de le faire. Parce qu’ils sont en première ligne pour constater des modifications dans les prestations professionnelles ou le comportement inapproprié au travail, les cadres jouent un rôle central dans l’approche des problèmes d’alcool ou d’autres substances psychotropes en entreprise.»
Le communiqué rappelle d'ailleurs qu’une baisse de performance n’est pas automatiquement liée à l’alcool. Pour cette raison, dès qu’une modification du comportement est décelée, les supérieurs ont tout intérêt à faire part de ce qu’ils et elles ont observé, «en discutant avec la personne concernée sans porter de jugement négatif et en offrant un soutien pour qu’un changement puisse être amorcé».
N'hésitez pas à appeler les services spécialisés
En termes de prévention, la campagne du 23 mai évoque la mise en place d’un programme permettant de repérer une consommation problématique et des formations spécifiques pour les cadres, afin qu’ils et elles disposent d’outils pour aider rapidement les personnes concernées. «Mais toutes les entreprises ne disposent de loin pas d’un tel programme», reconnaît le communiqué.
En cas de besoin, les organisations d'aide rappellent l’existence de services régionaux spécialisés dans les addictions, qui peuvent fournir un précieux soutien aux personnes concernées et aux membres de l’équipe, en encourageant si besoin la mise en place de règles concernant la consommation d’alcool dans le cadre professionnel, les apéritifs après le travail, les cadeaux d’entreprise, etc. La liste de ces services spécialisés est disponible en ligne.