Constitué de quatre petites lettres à l’air si innocent, l’acronyme PFAS (prononcé «pifasse») est devenu le grand méchant loup moléculaire de notre quotidien. Tandis que ces substances sournoises font de plus en plus parler d’elles, notamment à Genève, plusieurs accords tendent désormais à les réguler.
Or, ainsi que le sous-entend le surnom forever chemicals, ces substances sont présentes tout autour de nous, sans oublier qu'elles peuvent s’accumuler dans l’organisme sur le long terme. Et on sait pertinemment qu’il s’agit d’une mauvaise nouvelle. Depuis plusieurs années, ces polluants ont rassemblé une certaine célébrité: on sait qu’ils sont capables d’augmenter nos risques de contracter diverses maladies, dont le cancer. On sait qu’ils se cachent, entre autres, dans les fameuses poêles anti-adhésives. Mais sait-on réellement de quoi il s'agit et pourquoi les PFAS ont envahi l’environnement?
Pour nous aider à y voir plus clair, deux spécialistes sont revenus à la source du problème, en reprenant les bases de ce chapitre complexe. Voici la fiche récapitulative des PFAS, en cinq points:
Il existe des milliers de molécules différentes
Rappelons que ces molécules sont, par définition, des alkyls perfluorés et polyfluorés, et qu’elles constituent une très large catégorie de composants chimiques: «Il ne s’agit pas d’une seule molécule, mais d’une famille comprenant probablement plus de 14’000 substances différentes, résume Nathalie Chèvre, écotoxicologue à la Faculté des Géosciences et de l’Environnement de l’Université de Lausanne. Elles sont composées de chaînes carbonées sur lesquelles s'attachent des atomes de fluor, à la façon de Legos dont on peut modifier les assemblages à l’infini.»
Voilà qui explique la complexité du problème, puisqu’il est impossible d’identifier toutes les substances existantes et d’analyser leur potentielle toxicité: «Cela impliquerait de les tester séparément, avant d’envisager toutes leurs combinaisons possibles, souligne l’experte. Aujourd’hui, on est capable d’en mesurer une trentaine.»
Les PFAS existent depuis longtemps
Bien qu’elles apparaissent plus fréquemment dans la presse depuis quelques années, nous cohabitons avec ces molécules depuis des décennies: «Commercialisées après la Seconde Guerre mondiale, les PFAS ont la propriété de repousser la graisse et l’eau, ce qui les rend très utiles pour enduire les matériaux censés y résister, comme les poêles, les mousses anti-incendie, les vêtements de ski, ou plus généralement les textiles imperméables qui ne laissent pas pénétrer l'eau, liste Nathalie Chèvre. Elles ont également été largement utilisées dans les composants électroniques.»
Ainsi que l’explique la spécialiste, les risques sont connus depuis longtemps, de sorte que plusieurs mesures concrètes ont été prises au fil du temps: «Plusieurs types de PFAS (le PFOS et le PFOA) sont désormais régulés par la Convention de Stockholm, comme d’ailleurs certains insecticides organochlorés tels que le DDT. En Suisse, on a également beaucoup parlé des dioxines, présentes dans certains sols, selon les régions. Tous ces polluants différents font partie, à l’instar du groupe des PFAS, de la grande catégorie des polluants organiques persistants (POP).» En d’autres termes, il ne suffirait pas de lutter uniquement contre les PFAS, puisqu’elles sont accompagnées d’un arsenal d’autres substances polluantes, dont le mélange peut s’avérer très problématique.
Les PFAS sont partout
Encore une mauvaise nouvelle: il n’est pas réellement possible de se protéger totalement de ces molécules: «L’un des points importants à prendre en compte avec les PFAS est qu’elles sont présentes partout, dans l’air, dans l’alimentation ou dans l’eau, déplore le Dr. Florian Breider, chef d'unité au laboratoire central de l'environnement de l’EPFL. On découvre parfois des sites hautement contaminés, qui sont souvent les conséquences d’activités industrielles présentes et passées.» Face à ces découvertes, plusieurs mesures préventives sont immédiatement mises en place, comme l’interdiction de pêcher, par exemple: «Mais les PFAS restent présentes un peu partout à faible concentration dans l’environnement».
Elles se retrouvent en effet dans de nombreux objets du quotidien, dont les produits dotés de propriétés hydrophobes. «Parmi ceux-ci, on compte notamment les tissus Gore-tex beaucoup utilisés dans la fabrication d’équipements sportifs ou les poêles antiadhésives teflonisées, liste le Dr. Breider. Les domaines d’applications des PFAS sont extrêmement variés, cela va de la production de certains produits cosmétiques aux emballages en passant par l’industrie nucléaire.»
Elles se dégradent très lentement
Vous avez sans doute déjà entendu l’appellation forever chemicals, qui désigne littéralement des «substances chimiques éternelles». L’idée semble logique, puisque certaines PFAS sont extrêmement persistantes. Or, elle n’est pas tout à fait exacte: «Les PFAS peuvent se dégrader sur le très long terme, surtout si elles contiennent peu d’atomes de fluor, précise Nathalie Chèvre. Les variantes très complexes dotées de plusieurs atomes de fluor se dégradent beaucoup plus lentement, parfois sur des centaines d’années. Ainsi, à l’échelle d’une vie humaine, on peut effectivement dire qu’elles sont éternelles.»
Les PFAS sont associées à des problèmes de santé
Difficile de ne pas se sentir découragé, en réalisant qu’il est impossible de vivre complètement à l’abri des PFAS. En outre, pour Nathalie Chèvre, il faut sortir de l’idée qu’on peut vivre dans un monde propre avec une eau totalement pure. «Puisqu’on s’y expose constamment et qu’ils sont présents partout depuis plus de 70 ans, ces polluants sont désormais détectables dans l’organisme. Ils participent donc à notre exposition aux substances chimiques dont on sait qu’elle peut contribuer à la baisse de fertilité et à la hausse des cancers observée ces dernières années. Mais c’est certainement ce mélange, et non une seule famille de substances, qui joue ce rôle.»
Au lieu de céder à la panique ou de bannir toutes nos poêles au fond de la poubelle, l’experte conseille plutôt d’essayer, dans la mesure du possible, de réduire notre exposition à toutes ces molécules en minimisant le risque de les accumuler: «Par exemple en mangeant des produits locaux, de saison, bio si possible, en évitant les plats transformés vendus sous emballage plastique et en choisissant des cosmétiques plus naturels», propose-t-elle.