Yasar raconte sa fuite de Kaboul à 15 ans
Le nombre de mineurs seuls qui demandent l'asile en Suisse a plus que doublé

En Suisse, de plus en plus de jeunes non accompagnés demandent l'asile. Un afflux qui met les cantons sous pression. Mais l'histoire du jeune réfugié Afghan Yasar Nasery montre qu'un encadrement renforcé peut s'avérer payant.
Publié: 22.05.2023 à 06:07 heures
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Dernière mise à jour: 22.05.2023 à 06:46 heures
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Yasar Nasery a fui Kaboul alors qu'il n'avait que 15 ans. Aujourd'hui, il voit son avenir en Suisse.
Lea Hartmann, Stefan Bohrer

Il a couru, nagé, voyagé en voiture et dans la soute d'un camion. La fuite de l'Afghanistan vers la Suisse a conduit Yasar Nasery, 19 ans, à travers une dizaine de pays. Environ un an après avoir quitté sa ville natale de Kaboul, le jeune homme, alors âgé de 16 ans, est arrivé en train à Genève au milieu de l'été 2020. Au bout de la Rade, il a déposé une demande d'asile.

À son arrivée au centre de requérants, Yasar Nasery était ce qu'on appelle un RMNA: un requérant d'asile mineur non accompagné. Leur nombre a massivement augmenté au cours des deux dernières années. 989 enfants et adolescents non accompagnés ont déposé une demande d'asile en 2021. En 2022, leur nombre a été multiplié par envrion 2,5. Et il continue d'augmenter.

«J'avais peur d'être arrêté»

Une demande d'asile sur dix provient d'enfants ou d'adolescents qui sont arrivés en Suisse sans leurs parents ou d'autres adultes accompagnants. Il y a cinq ans, ce chiffre n'était que de 4%, et il y a dix ans, d'à peine 2%. La plupart d'entre eux sont, comme Yasar Nasery, de jeunes Afghans âgés de 16 à 17 ans.

Selon Yasar Nasery, c'est par hasard qu'il a atterri en Suisse. Lorsqu'il a tourné le dos à Kaboul, il n'avait pas de but. L'essentiel était de partir: «La fuite n'était pas prévue.» Il raconte qu'il s'est fait attraper alors qu'il était avec sa petite amie. Quelqu'un aurait signalé ce comportement contraire aux bonnes mœurs aux autorités. «J'avais peur d'être arrêté et éventuellement tué en prison», se rappelle-t-il.

«C'était difficile au début»

Comme tous les demandeurs d'asile, Yasar Nasery est d'abord arrivé en Suisse dans un centre de requérants de la Confédération. Plus tard, il a vécu pendant une courte période dans un foyer pour jeunes non accompagnés à Oberwil, dans le canton de Bâle-Campagne. De là, il n'y a que quelques minutes à pied jusqu'au bloc d'habitation dans lequel le jeune Afghan vit aujourd'hui. Un lit pour dormir, une table pour manger, un petit canapé: ce studio austère au deuxième étage est sa maison depuis novembre dernier.

«Être tout d'un coup si seul, c'était difficile au début», raconte Yasar Nasery. Le jeune homme aux cheveux bouclés parle désormais très bien l'allemand. Il paraît réfléchi et réservé.

Travailler aide à lutter contre la solitude

Sur les murs de son appartement, il n'y a pas de photos de sa famille et de ses amis. Pourtant, ils lui manquent, surtout pendant les fêtes, confie-t-il. Sa mère et ses frères et sœurs vivent toujours en Afghanistan. Quant à son père, avec lequel il a une relation un peu difficile, il vit depuis longtemps à Londres. «Je les appelle, de temps en temps. Mais l'accès à internet en Afghanistan est mauvais et très cher.»

Contre la solitude, le travail l'aide. Yasar Nasery fait un apprentissage d'assistant en soins et santé communautaire dans une maison de retraite à Oberwil – donc dans une branche où l'on cherche désespérément du personnel. À côté, il mène une vie indépendante. Une fois par semaine, il peut rencontrer son tuteur s'il en ressent le besoin.

Les cantons à bout de souffle

Les enfants et les jeunes non accompagnés ont droit à une protection spéciale en vertu de la Convention de l'ONU relative aux droits de l'enfant. Leur demande d'asile est traitée en priorité et ils sont accompagnés beaucoup plus étroitement que les requérants d'asile adultes – ce qui est une des raisons pour lesquelles certains adultes essaient de se faire passer pour des mineurs.

Compte tenu de l'importance de l'encadrement, le fort afflux de jeunes non accompagnés représente un défi pour les cantons. Blick s'est penché sur les statistiques actuelles: dans plus de la moitié des cantons, l'hébergement des MNA est classé niveau rouge. Cela signifie que les cantons ont de grandes difficultés à garantir un hébergement adéquat. Et on s'attend à un nouvel afflux à partir du milieu de l'année en cours.

Les autorités sont à la recherche de nouveaux lieux d'hébergement, de personnel d'encadrement et de familles d'accueil pour les enfants. Le canton de Berne, par exemple, a ouvert cinq nouveaux foyers depuis le milieu de l'année dernière. Quant au gouvernement argovien, il a dû demander à la Confédération une mise en pause des arrivées, car il n'a plus de lits disponibles.

Plus d'arrivées en un mois que sur toute l'année 2020

Selon la Confédération, cette forte augmentation pourrait s'expliquer par l'importante détérioration de la situation dans les pays d'origine et de transit suite à la pandémie de Covid-19. Dans le même temps, il est redevenu plus facile de voyager. Et en Afghanistan, on estime que 1,6 million de personnes ont quitté le pays depuis la prise de pouvoir des talibans.

Bâle-Campagne, où vit Yasar Nasery, a reçu de la Confédération plus de jeunes en un mois que pour toute l'année 2020, raconte Pascal Brenner. Il est directeur du centre Erlenhof, qui est responsable dans le canton de l'encadrement et de l'hébergement des jeunes non accompagnés.

Ils viennent pour rester

Yasar Nasery n'est pas du tout un cas isolé, explique Pascal Brenner. Contrairement à l'image que beaucoup ont des MNA, ceux-ci sont généralement très déterminés et motivés à s'intégrer. Des spécialistes d'autres cantons le confirment également.

Car pour la plupart d'entre eux, il est clair qu'ils veulent rester en Suisse. «Nous devons prendre cela au sérieux et nous occuper sérieusement de leur intégration», estime Pascal Brenner. Il est convaincu que cela en vaut la peine à long terme pour la Suisse.

Yasar Nasery a, lui aussi, pour objectif de quitter l'aide sociale aussi vite que possible et d'obtenir une autorisation de séjour. Est-ce que c'était la bonne décision de fuir? «Oui, répond-il sans trop réfléchir. En Afghanistan, je n'aurais pas d'avenir, je serais au chômage après ma formation.» Son rêve est de devenir travailleur social. Pour pouvoir un jour aider les personnes qui, comme lui, arrivent en Suisse en tant que réfugiés.

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