De retour d'une zone de guerre, la délégation suisse partie en Ukraine devra encore attendre avant de retrouver la sérénité. C'est une conférence de presse assez tendue qui s'est déroulée en début d'après-midi, jeudi, au Palais fédéral. La raison? Plusieurs médias et représentants politiques ont critiqué le voyage à Kiev de la présidente du Conseil national Irène Kälin et de ses acolytes.
L'UDC, en particulier, a tiré à boulets rouges sur la décision d'Irène Kälin de se rendre en Ukraine malgré les inquiétudes de Fedpol. Sur Twitter, le parti a accusé l'Argovienne de faire son «tourisme électoral».
Dans la version alémanique du tweet, l'UDC s'est, de plus, questionnée sur le bilan carbone de l'opération. «La logique selon les Verts: abolir les court-courriers pour les parlementaires, mais la présidente du Conseil national peut aller faire sa promotion en Ukraine. Le journaliste de Blick aussi se moque du climat.»
Autant de critiques qu'Irène Kälin a balayées devant la presse, jeudi. «Si c'était à refaire, je repartirais sans hésiter», a-t-elle assuré. Un voyage qui a vu la première citoyenne du pays rencontrer Volodymyr Zelensky, mais aussi Rouslan Stefantchouk, son homologue président de la Rada. «Nous sommes les deux représentants du peuple, donc il est logique que nous nous rencontrions», a-t-elle relevé.
La polémique a fortement agacé Roger Nordmann, président du groupe socialiste aux Chambres fédérales. Le Vaudois était du voyage, de même que le conseiller national genevois Yves Nidegger, représentant de... l'UDC. L'avocat a relativisé. «La guerre donne une couleur particulière à ce voyage, mais ce n'est pas du tout la première fois que des représentants de la Suisse se rendent en Ukraine», a-t-il souligné, tempérant ainsi les critiques de son parti.
Roger Nordmann a été plus direct. «Désolé, mais il ne s'agit que de critiques acides de journalistes mécontents. Ce voyage était bon pour la Suisse et bon pour l'Ukraine. Ce que veulent écrire les médias à ce propos est leur affaire. Si les journalistes en ont envie, ils peuvent débattre entre eux à ce sujet, mais pas nous interroger. La presse est libre dans notre pays.»
«Un rôle important à jouer»
À ses côtés, Irène Kälin a souri: l'Argovienne est évidemment du même avis. Pour elle, le voyage a été «un signe important de solidarité». C'est ce qu'écrivait la première citoyenne du pays dans sa chronique exclusive pour Blick avant de monter dans l'avion du Conseil fédéral.
Cette visite a aussi été importante pour l'avenir, a relevé Irène Kälin. Les contacts pris aideront à préparer la conférence sur l'Ukraine prévue début juillet à Lugano. L'accent sera mis sur l'aide à la reconstruction. «La Suisse peut jouer un rôle important: nous pouvons mettre à disposition de l'argent, du savoir-faire mais aussi aider le pays à se démocratiser et à se décentraliser.»
La conseillère nationale s'est aussi défendue contre le reproche selon lequel le voyage était problématique dans le contexte de la neutralité helvétique. «En Ukraine, j'ai insisté dans chacune de mes prises de parole que la Suisse ne pouvait et ne voulait pas livrer d'armes, et qu'elle n'allait pas le faire.» Cette position n'a jamais été remise en question par ses interlocuteurs, a-t-elle insisté.
Une polémique «à côté de la plaque»
Même s'il se trouve à l'opposé de l'échiquier politique et que son parti a été très critique envers la délégation, Yves Nidegger a abondé dans le sens d'Irène Kälin: la neutralité n'a jamais été remise en cause. «Ce qui est important, c'est que les intérêts des deux parties aient été exposés de manière transparente», a assuré le Genevois.
Les journalistes présents n'ont pas posé beaucoup de questions au sujet de la neutralité. Tout le contraire de LA polémique qui a entaché ce voyage: la protection de la délégation helvétique sur sol ukrainien. Sous le feu des critiques: Irène Kälin, et en particulier «l'étonnement» dont elle a fait preuve vis-à-vis de l'Office fédéral de la police (Fedpol), qui n'a pas voulu la protéger en Ukraine. «On me suit à Thoune mais pas à Kiev», avait déclaré l'Argovienne.
La police fédérale a elle-même avouée qu'elle n'était ni équipée, ni formée pour cette mission. C'est l'armée qui est compétente en la matière. Or, aucune demande n'a été formulée. Pourquoi? Visiblement agacé (et très prompt à voler au secours de la présidente du Conseil national), Roger Nordmann a coupé court. «C'est une polémique vraiment à côté de la plaque. La délégation s'est toujours sentie en sécurité durant tout le voyage», a expliqué le Vaudois. Ce qui semble avoir été moins le cas durant cette conférence de presse...
La reconstruction, déjà sur toutes les lèvres
La délégation revient quoi qu'il en soit en Suisse avec beaucoup de souvenirs. Pascal Scheiber, journaliste à Blick TV, a expliqué son ressenti sur le plateau. «Un voyage en zone de guerre, c'est indescriptible. En dix heures, nous avons traversé Kiev, Irpin et Hostomel. Les images de destruction, cet aéroport complètement anéanti, cela ne quitte pas votre esprit. Même si vous l'avez vu à la TV, même si vous saviez à quoi vous attendre, lorsque vous êtes sur place, vous vous dites que ce que les gens ont dû vivre dépasse l'entendement.»
«Et malgré tout cela, a repris notre collègue, malgré toutes ces morts, tous ces blessés, toute cette situation catastrophique, le mot 'reconstruction' est déjà sur toutes les lèvres.» Pascal Scheiber évoque par exemple un endroit où un pont a été dynamité et où une route de contournement est déjà sortie de terre, deux mois à peine après le début de l'invasion russe. Les villes d'Irpin et de Boutcha, tristement célèbres pour les exactions commises selon toute vraisemblance par les soldats de Vladimir Poutine, ont de nouveau accès au réseau téléphonique.
Pourquoi la délégation suisse ne portait-elle pas de gilets pare-balles ou de casques? «C'est une question que j'ai posée avant le voyage, a répondu Pascal Scheiber à nos collègues en plateau. Elle est d'autant plus légitime que des alarmes anti-missiles ont retenti au moment où nous arrivions à Kiev. Mais les autorités ukrainiennes qui organisaient le voyage nous ont indiqué qu'elles assuraient notre sécurité, et qu'elles nous feraient savoir si nous devions mettre de tels équipements. Je me suis senti bien entouré en permanence», a indiqué le journaliste de Blick TV. Celui-ci a d'ailleurs insisté sur l'importance pour la presse de pouvoir se rendre sur place afin de restituer un témoignage fidèle.