Vivre à Lausanne en situation de handicap
«Je n’ai pas pu accompagner mon fils dans sa classe. C’était vraiment dur»

Stéphanie, maman lausannoise en fauteuil roulant, raconte les défis d'une ville peu accessible. Elle soutient l'Initiative inclusion, récemment déposée à Berne, qui vise à garantir l'égalité et le libre choix du domicile pour tous.
Publié: 19.10.2024 à 06:02 heures
Stéphanie, tout sourire dans les rues de sa ville, Lausanne.
Photo: DR
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Lucie FehlbaumJournaliste Blick

«Vous pouvez le faire, s'il vous plaît?», demande Stéphanie, montrant l'ascenseur. Nous venons de sortir des locaux lausannois de Cap-Contact, association romande engagée pour l'inclusion des personnes en situation de handicap, une après-midi de septembre. L'ascenseur n'est pas encore là… Que sommes-nous censés faire? Ah oui, appuyer sur le bouton: pour faire venir l'appareil, c'est généralement un début. Mais il est placé trop haut pour la Lausannoise, qui se déplace en fauteuil.

Ces désagréments, il y en a des dizaines comme ça, tous les jours, dans la vie de Stéphanie. Pas seulement les escaliers ou les ascenseurs trop petits. Mais aussi les portes à ouvrir. Et les sonnettes, les boutons d'appel, puis ceux des étages dans les ascenseurs, tous trop haut.

Vivre en ville, un vrai souhait

Sans oublier les montées lausannoises et leurs ascenseurs, parfois en berne… Et pourtant, la maman ne veut pas en entendre parler: c'est au centre-ville de son lieu d'origine qu'elle souhaite résider. C'est là qu'elle se sent bien. C'est aussi là qu'elle élève son fils, qui va à l'école dans le quartier.

Et c'est exactement ce que demande l'Initiative inclusion. Exemple, s'il en est, d'un texte politique fait de gens, de vécus et pas uniquement de statistiques. Déposée le 5 septembre à Berne, munie de 108'000 signatures, l'initiative veut l'égalité, la vraie. Notamment, le libre choix du domicile pour tous, des transports accessibles, la possibilité de travailler pour les personnes en situation de handicap.

Mettre son immeuble aux normes? Pas obligatoire

«Aujourd'hui, rien dans la loi n’impose aux propriétaires de réserver un certain nombre d'appartements, aux normes, pour les personnes en fauteuil roulant», déplore Jean Tschopp. Le conseiller national vaudois, socialiste, est secrétaire général de Cap-Contact. L'association a collaboré avec Agile et Inclusion Handicap pour lancer l'initiative.

C'est Jean Tschopp qui nous a présenté Stéphanie. Elle-même a été membre du comité de Cap-Contact, secrétaire et ex-présidente. Elle donne désormais des formations pour aider les institutions, comme la Ville de Lausanne, à prendre en charge les personnes en situation de handicap.

Graves discriminations en institution

L'élu socialiste veut activement faire bouger les lignes. «La Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées est entrée en vigueur sans demande de référendum en Suisse il y a dix ans. Mais sur bien des points, elle n'est tout simplement pas appliquée», rappelle le conseiller national.

Ce dernier lutte notamment pour l'autonomie et le droit au logement pour celles et ceux qui le souhaitent et le peuvent. «En établissement socio-éducatif, les personnes handicapées doivent composer avec des horaires stricts, rendant souvent impossible toute activité en dehors de l'institution, même pour des événements importants, illustre-t-il. Cela conduit à des discriminations graves, comme le cas de cette artiste, à qui son référent a expliqué qu'elle ne pourrait pas assister au vernissage de sa propre exposition», relate Jean Tschopp.

L'élu poursuit: «Cette rigidité, combinée à un manque de personnel et de moyens, illustre la méconnaissance des besoins spécifiques des personnes handicapées, souvent mises dans le même panier.»

Batailler pour une porte

Stéphanie a quitté un établissement comme celui-ci voilà plusieurs années, pour retourner chez ses parents. Une chance, dit-elle, mais bientôt l'envie de quitter le nid s'est fait ressentir. «J'habite maintenant à Saint-Martin, raconte la Lausannoise. La régie recherchait une personne en situation de handicap, car cet appartement était «fait pour». Il avait des portes coulissantes, de grandes pièces, une douche à l'italienne».

Mais tout n'a pas été complètement rose. «J'ai dû faire des démarches pour obtenir des portes automatiques, ce qui a entraîné une bataille avec la régie. Cela a pris entre un an et demi et deux ans. J'avais des assistants (lire encadré) pour m'aider, mais si personne n'était là, je devais rester à la maison, faute de pouvoir ouvrir pour sortir.»

La contribution d'assistance, qu'est-ce que c'est?

La contribution d'assistance est une prestation versée par l'Assurance Invalidité aux personnes en situation de handicap, afin de leur permettre de financer des assistants personnels. Les bénéficiaires recrutent, rémunèrent et organisent eux-mêmes leur assistance personnelle pour les tâches de la vie quotidienne.

«C’est compliqué d’être employeur, révèle Stéphanie. On doit payer les gens, envoyer les fiches de salaire et comptabiliser toutes les heures effectuées par les assistantes. C’est un vrai défi, car je n'ai pas fait d'études pour gérer tout cela.» L’intervenante autoreprésentante a quatre assistantes en ce moment, mais a pu en avoir jusqu’à huit: une vraie petite entreprise. «Je gère tout, explique-t-elle. Les horaires, les déclarations aux assurances sociales, tout. C’est vraiment fatiguant, d’autant plus que je suis aussi maman, en plus de mon propre travail. Mais c’est le prix de la liberté.»

La contribution d'assistance est une prestation versée par l'Assurance Invalidité aux personnes en situation de handicap, afin de leur permettre de financer des assistants personnels. Les bénéficiaires recrutent, rémunèrent et organisent eux-mêmes leur assistance personnelle pour les tâches de la vie quotidienne.

«C’est compliqué d’être employeur, révèle Stéphanie. On doit payer les gens, envoyer les fiches de salaire et comptabiliser toutes les heures effectuées par les assistantes. C’est un vrai défi, car je n'ai pas fait d'études pour gérer tout cela.» L’intervenante autoreprésentante a quatre assistantes en ce moment, mais a pu en avoir jusqu’à huit: une vraie petite entreprise. «Je gère tout, explique-t-elle. Les horaires, les déclarations aux assurances sociales, tout. C’est vraiment fatiguant, d’autant plus que je suis aussi maman, en plus de mon propre travail. Mais c’est le prix de la liberté.»

«Les gens ne veulent pas toujours laisser passer»

Il y a le chez-soi, et puis il y a la rue. Les intérêts s'y confondent et le respect n'est pas toujours au rendez-vous. «Être en ville, c’est pratique: tout est à portée de main, se réjouit Stéphanie. Les bus sont presque tous accessibles désormais. Mais le métro M2, à 8h du matin, est bondé. Les gens ne sont pas toujours enclins à se pousser. Le moindre imprévu complique tout: si l’ascenseur est en panne, il faut faire un long détour en fauteuil, ce qui prend plus de temps», narre la formatrice.

Au passage, même concernant les bâtiments de l'État, le boulot est loin d'être fait. Le Grand Conseil vaudois, entièrement refait en 2017, n'a pas de rampe pour accéder à la tribune du président. Il faut donc pouvoir grimper des marches pour avoir la haute main sur le législatif vaudois.

Privée de la rentrée de son fils

Stéphanie nous confie que parfois, elle se sent mise à part. «Par exemple, si je ne peux pas aller chez un ami ou assister à une réunion d’école à cause des escaliers. Cela m’est arrivé lors de la rentrée, regrette-t-elle. La prof avait oublié la clé qui me permettait de passer, et je n’ai pas pu accompagner mon fils dans la classe. C’était vraiment dur.»

Une expérience amère partagée, malheureusement, parmi les 22% de personnes qui vivent en Suisse avec un handicap. «Il y a encore beaucoup de choses à faire, encore beaucoup d’a priori et de préjugés, constate Jean Tschopp. Nous avons entre trois ou quatre ans avant la votation pour convaincre la majorité de la population que cela doit changer.»

Aller partout sans barrière

Stéphanie confirme. «J’ai déjà entendu dire qu’en Suisse, on est bien lotis, que l’on a déjà assez. Mais on est en réalité très loin de l’égalité, témoigne la maman lausannoise. On doit sans cesse se justifier ou prouver notre handicap, pour montrer que nous ne sommes pas des profiteurs.»

Mais l'espoir accompagne toujours l'intervenante autoreprésentante (ndlr: se représentant soi-même et les autres personnes avec handicap). «Si je pouvais changer quelque chose demain, ça serait l'accessibilité: pouvoir aller partout sans barrière.»


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