Le Conseil fédéral a décidé mercredi qu’il allait bientôt acheter les avions de combat F-35, bien qu’une initiative («Stop F-35») soit en cours contre cette acquisition. Comment expliquez-vous cette décision?
Viola Amherd: Par décision populaire, les Suisses ont donné au Conseil fédéral le pouvoir d’acheter ces avions. A l’époque, quatre appareils étaient en lice, dont le F-35A. La population savait sur quoi elle votait. Nous avons désormais une offre valable jusqu’à fin mars 2023. Si nous ne signons pas le contrat d’achat dans ce délai, il faudra mener de nouvelles négociations.
Qu’est-ce que cela signifierait, concrètement?
Nous risquons de perdre notre créneau de production, car entre-temps, la Finlande, l’Allemagne et le Canada ont également décidé d’acheter le même avion. Ils auraient alors la priorité. Si cette situation a lieu, nous risquons de devoir retirer les anciens avions du service alors que les nouveaux ne seront pas encore arrivés. Cela représenterait une lacune importante dans la défense du pays.
Les initiateurs critiquent le fait qu’il serait démocratiquement problématique d’acheter ces jets alors qu’une initiative est en cours…
La procédure est au contraire très démocratique! Le Conseil fédéral aurait très bien pu acheter ces avions de combat sans décision populaire. De plus, lors du lancement de l’initiative, les initiants ont indiqué qu’ils la déposeraient très rapidement. Ils avaient parlé de l’automne dernier! Aujourd’hui, le texte n’a toujours pas été déposé et cela met en danger l’acceptation de l’offre. Dans les faits, c’est cette initiative qui ne respecte pas la décision du peuple.
Que se passerait-il si l’initiative était acceptée? La Suisse devrait-elle revendre ses F-35?
Non, une initiative n’a pas d’effet rétroactif. Le contrat de vente resterait valable. L’initiative ne concerne que les acquisitions futures.
Avec le retrait des jets Tiger, il n’y aura plus de Patrouille suisse. N’y a-t-il vraiment aucun moyen de sauver la marque de fabrique des Forces aériennes suisses?
J’apprécie moi-même beaucoup la Patrouille suisse et je comprends que beaucoup vont regretter sa disparition. Mais c’est d’abord une question de sécurité et ensuite une question de coûts. Ces avions sont déjà très vieux. Les Forces aériennes réfléchissent aux alternatives et s’il est possible de faire une patrouille acrobatique avec d’autres avions, des appareils à hélice par exemple. Nous attendons de voir quelles seront les propositions. Il y a donc de l’espoir pour la Patrouille suisse.
Outre l’achat des avions de combat, le Parlement a récemment décidé d’augmenter le budget de l’armée de cinq à sept milliards de francs. Qu’est-ce qui figure en tête de vos priorités?
Pour l’année prochaine, nous avons prévu des investissements supplémentaires dans le domaine de la cybersécurité. Cela a été décidé par la commission de sécurité du Conseil des Etats. De plus, nous allons investir dans l’acquisition de nouveaux lance-mines. Autre point important: nous réfléchissons à acquérir de nouveaux véhicules tactiques.
Vous dites qu’il n’est pas nécessaire de prendre des mesures d’économie ou d’augmenter les impôts pour les dépenses supplémentaires de l’armée. Mais on ne peut dépenser chaque franc qu’une seule fois! Cela ne tient pas la route.
Le budget fédéral n’a cessé d’augmenter ces dernières années. Nous pouvons partir du principe que cela va continuer. Il sera donc possible de dépenser davantage pour l’armée. Au cours des dernières décennies, les dépenses de l’armée ont connu une croissance inférieure à la moyenne. Il y a donc un certain besoin de rattrapage. Mais si, le jour J, des programmes d’économie doivent être mis en place au niveau fédéral, il va de soi que l’armée y contribuerait également.
Le budget pourrait alors à nouveau baisser?
Oui, c’est pourquoi nous procédons à une augmentation progressive. Nous avons ainsi la possibilité de nous ajuster.
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L’armée est-elle aujourd’hui bien préparée pour un conflit?
Dans l’ensemble, elle est bien positionnée. C’est ce que montre notre première analyse face à la guerre en Ukraine. Mais nous devons en faire plus, non seulement pour maintenir les capacités, mais aussi pour être prêts à nous défendre.
Combien de temps l’armée pourrait-elle tenir en cas d’attaque?
Cela dépend du type d’attaque. C’est vraiment difficile à dire, mais il faut pouvoir se défendre de manière autonome pendant une certaine durée. En cas d’attaque, il est à noter que la neutralité disparaîtrait et nous pourrions chercher des partenaires qui pourraient nous soutenir.
Pourquoi ne pas chercher ces partenaires dès aujourd’hui et adhérer à l’OTAN?
Le droit de la neutralité exclut toute adhésion à l’OTAN. Nous ne pouvons pas adhérer à une alliance militaire. Mais nous pouvons collaborer davantage. Mon département de politique de sécurité est actuellement en train de montrer ce qui est concrètement possible.
La neutralité n’est-elle pas qu’un mythe? La Suisse est alignée sur le bloc occidental, on le voit avec les sanctions.
La neutralité n’est pas un mythe, elle est d’ailleurs inscrite dans la loi. Si l’on veut changer cela, il faut mener une discussion appropriée.
En tant que ministre de la Défense, vous pourriez la lancer!
Je trouve très important que l’on mène cette discussion et que l’on réfléchisse. Mais la Suisse est aussi un pays qui rend de bons services, qui a des mandats de puissance protectrice et qui peut ainsi contribuer à la paix au niveau international. Si l’on n’est plus neutre, cela devient plus difficile. Il faut donc bien peser le pour et le contre.
Dans la pratique, la Suisse figure sur la liste russe des pays hostiles à sa politique. Difficile de rester neutre ici…
Être neutre ne signifie pas ne pas avoir d’opinion. Les sanctions économiques sont compatibles avec le droit de la neutralité et sont nécessaires en cas de violation aussi flagrante du droit international.
(Adaptation par Jessica Chautems)