Un reportage accable le groupe américain
Comment Vail Resorts est en train de «détruire le ski»

Le géant américain Vail Resorts est à nouveau sous le feu des critiques... et de quelle manière! Un reportage accuse l'entreprise de détruire les sports d'hiver en rendant le ski inabordable et en évinçant les autochtones. Vail Resorts dément.
Publié: 17.03.2025 à 10:55 heures
Vail Resorts est accusé de détruire le ski avec son modèle commercial. (Image : Vail Resorts, Colorado)
Photo: gettyimages
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Martin Schmidt

En Suisse, le géant américain Vail Resorts a jusqu'à présent marqué des points. A Crans-Montana, le rachat des remontées mécaniques par le plus grand exploitant de domaines skiables au monde semble avoir apporté une certaine sérénité après le passage chaotique du précédent propriétaire, le milliardaire tchèque Radovan Vitek. A Andermatt, dans les alpes uranaises, on se réjouit de la hausse du nombre de touristes apportée par le groupe américain.

En revanche, les critiques à l'encontre de Vail Resorts se font de plus en plus fortes hors du pays. Dernièrement, un reportage a même accusé le groupe de s'être mué en fossoyeur des sports d'hiver. Son nom: «How Vail Resorts destroys skiing» (En français: «Comment Vail Resorts détruit le ski). L'auteur du documentaire est l'organisation médiatique américaine à but non lucratif «More Perfect Union».

En Suisse, Vail Resorts a repris les remontées mécaniques de Crans-Montana et d'Andermatt, dans le canton d'Uri.
Photo: keystone-sda.ch

Le reportage a été réalisé sur la base d'entretiens avec des experts et des habitants des stations exploitées par Vail Resorts. Leurs témoignages aboutissent aux mêmes conclusions: les familles peinent à s'offrir des cartes journalières, dont le prix avoisine facilement les 300 dollars, et les skieurs doivent composer avec de longues files d'attente et des pistes bondées. Les habitants sont eux souvent contraints de partir en raison des prix élevés de l'immobilier et des loyers.

Des employés en grève aux Etats-Unis

A Park City, dans l'Etat américain de l'Utah, deux patrouilleurs de ski – des employés chargés de prodiguer les premiers soins aux skieurs – racontent à quel point la recherche d'un logement est devenue difficile. L'un d'eux, Lou Chiapetta, paie plus de 600 dollars par mois pour une petite chambre pendant la saison d'hiver. Et il l'assure: il est chanceux. «D'autres se partagent une chambre à trois», raconte-t-il.

Chiapetta montre sa petite chambre qu'il loue pour plus de 600 dollars par mois.
Photo: Screenshot

Cet hiver, Vail Resorts été confronté à une grève de grande ampleur dans la station de Park City Mountain. Quelque 200 patrouilleurs de ski ont cessé temporairement de travailler pour dénoncer des salaires insuffisants face au coût extrêmement élevé de la vie.

Cet hiver, les patrouilleurs de ski de l'Utah ont fait grève pendant 13 jours jusqu'à ce qu'ils obtiennent une augmentation de salaire.
Photo: IMAGO/ZUMA Press Wire

En 1998, les Etats-Unis comptaient encore 509 stations de ski. Une grande concurrence permettait ainsi aux skieurs de profiter de tarifs abordables. Les prix des billets oscillaient entre 35 et 60 dollars. De son côté, Vail Resort a été fondé en 1997.

Vail et Alterra règnent sur le marché américain

Son expansion s'est considérablement accélérée dans les années 2010 avec des rachats massifs de stations à travers le monde. Aujourd'hui, Vail Resorts possède 37 stations de ski rien qu'aux Etats-Unis. Le groupe et son grand concurrent Alterra forment un duopole qui dominent le marché des stations de ski, explique dans le reportage Hal Singer, économiste à l'université de l'Utah, spécialisé dans les domaines du droit des cartels et de la protection des consommateurs.

Selon le reportage, Vail Resorts et Alterra génèrent à elles-seules la moitié du chiffre d'affaires du marché américain des stations de ski. Une statistique corroborée par les estimations de la société d'études de marché Ibisworld. Vail Resorts serait responsable de près de 39% du chiffre d'affaires, tandis que la part d'Alterra dépasserait tout juste les 16%.

Hal Singer, économiste à l'université de l'Utah, critique dans le reportage les augmentations de prix massives de Vail Resorts.
Photo: Screenshot

Ce poids considérable donne aux deux groupes un incroyable pouvoir de fixation des prix. En 2011, un forfait journalier au Park City Mountain Resort coûtait encore environ 90 dollars. Cet hiver, il dépasse les 300 dollars. «A Vail (ndlr: la station dans laquelle tout a commencé pour l'exploitant éponyme) dans le Colorado, un forfait journalier coûtait encore 100 dollars en 2010. Aujourd'hui, il en vaut 329 dollars», cite Hal Singer comme autre exemple.

La carte saisonnière Epic Pass, une révolution

Selon lui, le grand gamechanger a été l'introduction en 2008 de la carte saisonnière Epic Pass, valable dans toutes les stations de ski du groupe Vail. Grâce à ces forfaits, Vail a pu assurer une grande partie de son chiffre d'affaires avant même le début de la saison. Les tarifs à la journée ont alors explosé. «Si on augmente les prix journaliers, le forfait saison semble lui toujours plus abordable», explique Hal Singer.

Depuis, Vail aurait également augmenté le prix de l'Epic Pass de près de 400 dollars en 15 ans. D'un prix d'environ 600 dollars en 2010, il serait passé à plus de 1000 dollars aujourd'hui.

Vail Resorts est accusé de détruire le ski avec son modèle commercial. (Image : Vail Resorts, Colorado)
Photo: gettyimages

Si le groupe mise autant sur les cartes saisonnières, c'est aussi parce qu'il exploite des hôtels, des écoles de ski, des magasins de sport et d'autres commerces aux alentours des domaines skiables. Or, un abonnement à la saison incite précisément les skieurs à se rendre plus souvent dans leur station, et donc, à jouir de ces infrastructures, ce qui remplit les caisses du groupe.

L'Epic Pass, vecteur de «stabilité»

Blick a confronté Vail Resorts à ces vives critiques. Face à l'accusation de duopole, le groupe rappelle qu'il existe plus de 400 domaines skiables aux Etats-Unis et que Vail n'en gère qu'une petite partie. L'Epic Pass a certes «révolutionné» le secteur, mais de nombreux produits concurrents ont été développés, explique le groupe.

«Avant l'Epic Pass, les domaines skiables dépendaient entièrement de la météo: les bonnes années d'enneigement étaient synonymes de bonnes affaires, les mauvaises années d'enneigement de mauvaises affaires», écrit le responsable médias de Vail John Plack. «L'Epic Pass a apporté une plus grande sécurité à nos stations, nos communautés, nos collaborateurs et nos clients.»

Pour le groupe, la mise en place d'un tel pass est donc indispensable pour assurer la pérennité des stations. «Face au changement climatique, la stabilité est cruciale pour la survie et la prospérité de l'industrie du ski, et l'Epic Pass nous permet de faire face aux saisons météorologiques difficiles avec un impact minimal.»

Vail nie toute responsabilité dans la hausse des prix

John Plack l'assure: si le prix du pass saisonniers varie entre 418 et 1051 dollars pour les adultes, Vail propose également un Epic Day Pass – un pass quotidien – qui offre jusqu'à 65% de réductions sur les prix journaliers achetés directement à la station.

Le groupe dément également tout explosion des tarifs: «L'idée que nous avons rendu l'accès à nos domaines skiables plus cher est fausse. Nous récompensons les détenteurs de forfaits fidèles qui achètent leurs billets de ski avant le début de la saison», déclare John Plack.

Grâce à l'effet stabilisateur des abonnements sur le chiffre d'affaires, le géant américain explique avoir investi plus de deux milliards de dollars dans ses stations au cours sur 10 ans. Cela aurait ainsi permis de réduire les temps d'attente aux remontées mécaniques au cours des trois dernières années.

Satisfaction accrue des hôtes

«En moyenne, le temps des files d'attente aux remontées mécaniques a duré plus de dix minutes dans moins de 3% des cas, y compris les week-ends et les jours fériés», assure John Plack. Les investissements dans le personnel auraient entraîné une présence record d'employés saisonniers.

Le groupe rappelle qu'il a introduit en 2022 un salaire minimum de 20 dollars de l'heure dans toutes les régions américaines. Les investissements dans les salaires, les prestations sociales et les logements du personnel n'ont d'ailleurs pas cessé, explique John Plack.

L'introduction d'un salaire minimum en 2020 n'a visiblement pas suffi aux employés de Park City Mountain.
Photo: keystone-sda.ch

Ventes en baisse, prix en hausse

Vail Resorts a récemment annoncé que la satisfaction des clients dans ses stations de ski avait fortement augmenté par rapport aux trois années précédentes. Seule exception notable: le domaine de Park City Mountain, où les clients ont dû composer avec des remontées mécaniques à l'arrêt durant les 13 jours de grève de l'hiver dernier. Ils se sont toutefois vus offrir des crédits pour l'acquisition de leur prochain Epic Pass, aussure John Plack.

Pendant la grève, d'énormes files d'attente se sont formées dans le domaine skiable.
Photo: Screenshot

Pour ce qui est de l'hiver en cours, Vail Resorts indique avoir vendu 2,3 millions de forfaits Epic. C'est 2% de moins que l'année précédente. Avec les augmentations de prix, le chiffre d'affaires a néanmoins augmenté de 4%.

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