Une partie de Ruag en Italie?
La Confédération risque de vendre sa fabrique de munitions à l'étranger

La Confédération veut se séparer de la fabrique de munitions de Ruag. De premières offres auraient été reçues - toutes venant de groupes étrangers. Au Parlement, ce projet de vente est très controversé.
Publié: 10.02.2022 à 05:56 heures
1/10
Le Conseil fédéral veut vendre la fabrique de munitions Ammotec de Ruag.
Photo: Keystone

Une transaction délicate se profile-t-elle à l'horizon? En mars dernier, la Confédération avait annoncé que la fabrique de munitions Ammotec de Ruag devrait être vendue. Le Conseil fédéral a simplement posé comme condition que le site de Thoune et ses 400 emplois soient maintenus.

Il semblerait que l'armurier italien Beretta ait de bonnes chances de racheter l'entreprise de munitions, rapporte le média économique Tippinpoint.ch. Ce dernier se réfère à des informations provenant du cercle de négociation.

Des affaires délicates avec le Qatar

Selon ces sources, il existerait un obstacle de taille à cette transaction. La Fabbrica d'Armi Pietro Beretta vend principalement des fusils de chasse coûteux. Mais elle gère également une affaire d'armement - peu transparente - sous le nom de Beretta Defence Technologies (BDT), poursuit le média économique. La fabrique d'armes italiennes aurait conclu en 2018 une coentreprise avec Barzan Holdings, un groupe d'armement du Qatar, dans le but de développer et de produire des armes légères de haute technologie pour les forces armées de l'État du désert.

Ce qui soulève des questions délicates pour la Suisse en matière d'éthique commerciale. Des munitions provenant de l'entreprise publique vendue à Thoune pourraient être acheminées au Qatar, via l'Italie. La Confédération est-elle d'accord avec cela, sachant que ce pays est régulièrement épinglé pour violation des droits de l'homme, notamment dans le cadre de la construction des stades pour la prochaine Coupe du Monde de football?

Une vente politiquement controversée

La vente du spécialiste des munitions est de toute manière politiquement controversée. Le conseiller national du Centre Martin Landolt, par exemple, ne mâche pas ses mots face à ce projet. «Jusqu'à présent, on a toujours argumenté que, pour maintenir à flot l'industrie suisse de l'armement, il fallait aussi exporter, tonne-t-il. Cette vente serait en contradiction totale avec cet argument.»

Pour la conseillère nationale socialiste Priska Seiler Graf, en revanche, une vente à l'étranger ne changerait pas grand chose: «Les exportations d'armes suscitent de toute façon des controverses.» Toutefois, la production de munitions en Suisse reste soumise à la loi suisse sur le matériel de guerre, souligne la politicienne. «Finalement, ce qui importe est que nous puissions aussi la contrôler.»

Martin Landolt ne croit pas vraiment à cette vente. Le conseiller aux États UDC Werner Salzmann a lui aussi des doutes. Alors que le Conseil national avait voté en faveur d'une interdiction de vente, rappelons que le Conseil des États avait rejeté de justesse en automne dernier une motion demandant l'arrêt du processus. Contre la volonté de sa commission consultative. Par le biais de cette motion, Werner Salzmann s'était engagé pour le maintien de la filiale de Ruag en Suisse, afin de garantir la sécurité d'approvisionnement de l'armée et de la police.

Mais les chances qu'elle reste en mains suisses sont aujourd'hui minces, comme le rapporte Tippinpoint.ch. Tout simplement parce qu'aucun investisseur de notre pays ne figure parmi les soumissionnaires.

Les parties concernées se montrent réticentes

Parmi les offres de rachat déposées pour Ruag Ammotec, on compte celle de l'entreprise publique norvégienne Nammo, ainsi que celles de deux groupes tchèques, Czechoslovak Group et CZ Group. La fourchette de prix pour la fabrique de munitions suisse se situerait entre 350 et 400 millions de francs.

Tous les acheteurs potentiels ont laissé les demandes de Tippinpoint sans réponse. Ruag International botte elle aussi en touche: «Le Conseil fédéral s'est prononcé en faveur de la vente de Ruag Ammotec sous certaines conditions, notamment en ce qui concerne l'origine de l'acheteur ou la protection du site de Thoune. Comme il est d'usage dans ce genre de procédure, nous ne donnons aucune information sur l'état des négociations.»

Après plus de 400 ans, l'ancien moulin à poudre de Steffisburg devrait donc être vendu à l'étranger. Pour un pays neutre comme la Suisse, des questions importantes se posent: l'offre la plus lucrative doit-elle forcément être retenue? Ou faut-il également tenir compte d'arguments éthiques?

(Adaptation par Lauriane Pipoz)

Découvrez nos contenus sponsorisés
Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la