«Chers présidents Biden et Poutine,
Bien que vous soyez les deux personnes qui contrôlent 90% de l'arsenal nucléaire mondial, je ne suis pas sûr que vous connaissiez le véritable impact de ces armes. Parce que vous n'avez jamais vu les atrocités que peut faire ne serait-ce qu'une seule d'entre elles.
Setsuko Thurlow, bientôt 90 ans, a accepté avec moi le prix Nobel de la paix en 2017 au nom de la Campagne internationale pour l'abolition des armes nucléaires. Elle sait de quoi elle parle. À 13 ans, elle a survécu au bombardement d'Hiroshima. Il faut l'entendre raconter ce flash blanc aveuglant, ce matin ordinaire où elle était à l'école, puis cette sensation de flottement et l'obscurité totale.
Elle décrit comment elle a rampé hors des décombres alors qu'il ne restait que des miettes de son école. Les flammes qui ravageaient les décombres ont brûlé vif la plupart de ses camarades de classe. Lorsqu'elle s'est extirpée de cette scène, elle a marché à travers la ville, découvrant un panorama de désolation. Les seules personnes qu'elle a croisées étaient fantomatiques, comme des corps sans âme qui se pressaient vers la rivière. Des femmes et des hommes qui n'avaient plus rien d'humain.
C'est ça, la réalité des armes nucléaires. Ces mêmes instruments que menacez d'utiliser sur le reste du monde, chaque jour depuis 75 ans.
En ce mercredi estival du 16 juin, lorsque vous contemplerez à la fois le bleu d'azur du lac Léman et les sommets enneigés des Alpes qui entourent Genève, il sera difficile de s'imaginer l'enfer qu'ont vécu les gens à Hiroshima et Nagasaki, et encore moins que cela puisse se reproduire. Et pourtant: le risque d'utilisation d'armes nucléaires est plus élevé aujourd'hui qu'il ne l'a été tout au long de la guerre froide.
Les scientifiques et les experts en armement nucléaire préviennent que le risque va continuer à augmenter et qu'un enfant né aujourd'hui a plus de risques de connaître une guerre nucléaire au cours de sa vie que de ne pas en connaître.
En 2021, les bombes utilisées à Hiroshima et Nagasaki, qui ont causé la mort de plus de 215'000 personnes, sont considérées comme de «petites» armes nucléaires. Même si une seule bombe est utilisée, il n'y aura aucune capacité à fournir une aide efficace aux personnes qui souffrent. Aucune aide ne viendra.
La seule solution est d'abolir les armes nucléaires. Cela doit être votre priorité absolue lors de votre rencontre ici à Genève. Heureusement pour vous, le reste du monde a déjà fait une partie du travail. En janvier, le traité des Nations unies sur l'interdiction des armes nucléaires est entré en vigueur, rendant ces armes illégales au regard du droit international. De plus en plus de gouvernements adhèrent à ce traité. La ville de Genève, où vous vous trouvez cette semaine, est l'une des centaines de villes du monde entier qui l'ont ratifié.
Il y a près de 40 ans, en 1985, les présidents Gorbatchev et Reagan se sont rencontrés à Genève et ont lancé le désarmement nucléaire. Au cours de la décennie qui a suivi ce sommet, les États-Unis, avec l'ancienne Union soviétique, puis la Russie, ont considérablement réduit leurs stocks de dizaines de milliers d'ogives.
À Genève, ville internationale connue pour sa promotion de la paix et du désarmement, vous avez la possibilité de poser vous-même un jalon historique. Notre avenir en dépend.»
Je vous prie d'agréer, Messieurs, l'expression de mes sentiments distingués,
Beatrice Fihn
Directrice exécutive
Campagne internationale pour l'abolition des armes nucléaires
Prix Nobel de la paix 2017