Une méthode à nouveau critiquée
La banque d'investissement a-t-elle provoqué la fin de Credit Suisse?

Les experts sont unanimes: Credit Suisse s'est débarrassé bien trop tard de ses activités d'«investment banking». Quels sont, au juste, les risques liés à ce secteur? Et est-ce lui qui a provoqué la débâcle de l'ex-deuxième banque de Suisse? Blick fait le point.
Publié: 28.03.2023 à 08:44 heures
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Dernière mise à jour: 28.03.2023 à 11:13 heures
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Credit Suisse (CS) était l'une des dernières banques européennes à être encore très active dans l'investment banking (IB). Ici un établissement de CS à New York aux Etats-Unis.
Photo: NurPhoto via AFP
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Sarah Frattaroli

Qu’est-ce qui a provoqué la fin de Credit Suisse (CS) et son rachat par l’UBS? Dans la liste des potentiels coupables de la débâcle de la banque, un type de services financiers est particulièrement pointé du doigt: l'«investment banking», ou IB, pratiqué par les banques d’investissement. Et ce n’est pas la première fois.

Lors de la crise financière mondiale de 2008, la banque d’investissement américaine Lehman Brothers avait déjà pris une telle importance qu’elle a entraîné l’ensemble du monde bancaire dans sa chute.

Des bénéfices élevés – pour un risque élevé

L’IB repose sur le conseil de ses investisseurs (privés ou institutionnels) sur les marchés financiers. Il comprend les opérations boursières et sur devises, le conseil lors de rachats ou de financement d’entreprises, les introductions en Bourse, l’émission de titres ou le négoce de produits financiers très complexes (comme les produits dérivés). À l’opposé, on trouve les activités bancaires dites «classiques»: collecte de l’épargne, octroi d’hypothèques et de crédits aux entreprises, gestion de fortune.

«L’IB offre de gros bénéfices – mais il comporte aussi de gros risques», souligne Andreas Ita. Il a travaillé plus de 20 ans à l’UBS, dont 14 ans dans ce secteur financier particulier. Aujourd’hui, il dirige Orbit36, une société de conseil en stratégie qui aide les banques à gérer les risques.

Une culture de banquier américain

L’activité d’IB vient tout droit des États-Unis. «À partir des années 1990 et 2000, les banques européennes ont voulu également se lancer dans cette activité mondiale», rappelle Andreas Ita. Outre CS, l’UBS et la Deutsche Bank se sont lancées dans cette activité à grande échelle.

Elles n’ont jamais vraiment pu rivaliser avec la concurrence américaine. Notamment parce que les meilleurs éléments de Wall Street préféraient travailler chez Goldman Sachs ou Morgan Stanley plutôt que chez CS, l’UBS et Cie.

«L’environnement est extrêmement compétitif», explique Andreas Ita pour décrire l’IB américain. Les bonus sont plus élevés que dans d’autres secteurs bancaires. «Il y a un risque de payer extrêmement bien les banquiers d’affaires en période de prospérité. Mais en période de crise, on ne peut tout de même pas réduire les salaires à zéro pour tout le monde.» Aussi parce que certains traders génèrent de gros bénéfices même lors d’années de pertes.

«Le loup de Paradeplatz»?

Bien que CS et l’UBS aient longtemps été actifs dans les affaires d’IB américaines, la culture ne s’est jamais totalement propagée sur la Paradeplatz. Le «loup de Wall Street», incarné par Leonardo DiCaprio dans le film hollywoodien éponyme, est resté un phénomène majoritairement américain.

«Dans l’IB en Suisse, il y a aussi beaucoup de gens qui font des affaires très raisonnables», assure Andreas Ita. Cela s’explique aussi par le fait que les banquiers d’investissement locaux ne peuvent pratiquement choisir qu’entre CS et l’UBS comme employeurs. «Là, on est moins incité à prendre des risques excessifs et, si les choses tournent mal, à changer tout simplement de travail.»

Le fossé culturel a toutefois eu pour conséquence que les banques européennes ont eu du mal à garder leur personnel sous contrôle à Wall Street. La débâcle d’Archegos, par exemple, qui a entraîné une perte de plus de cinq milliards de francs suisses pour CS en 2021, est survenue au sein de l’IB à Wall Street. En 2022, CS a également enregistré une perte de plus de trois milliards dans ce secteur.

CS voulait réduire ses activités d’IB et les transférer à CS First Boston – c’est ce que prévoyaient le président Axel Lehmann et le CEO Ulrich Körner dans la réorientation stratégique qu’ils avaient présentée en automne. «Mais à la fin, CS a manqué de temps», estime Andreas Ita.

L’UBS avait des années d’avance sur CS: elle a commencé à réduire son engagement dans l’IB dès 2011. Pas volontairement toutefois, mais en raison de la pression publique après le sauvetage de l’État pendant la crise financière.

L’héritage de Brady Dougan

CS, quant à lui, avait traversé la crise financière avec un œil au beurre noir et avait moins de raisons de se réformer. À cela s’ajoute le fait que Brady Dougan, un Américain et banquier d’affaires de premier ordre, a été CEO de CS de 2007 à 2015.

Il serait toutefois réducteur d’imputer l’échec de CS aux seuls banquiers d’investissement: Greensill, par exemple, la deuxième opération déficitaire de CS, qui s’est chiffrée en milliards, était rattachée à la gestion d’actifs et non à l’IB.

La goutte d’eau qui a fait déborder le vase ne revient donc pas à l’IB en tant que tel. Mais la faillite de la banque américaine Silicon Valley et la perte de confiance qui a suivi pour CS.

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