Lors de cette dernière session d’automne, le Conseil des Etats a débattu de l’abolition de la valeur locative. Pour de nombreux intervenants, la question relevait moins du domaine de l’immobilier que de celle d’une certaine idée de la justice.
«La valeur locative peut sembler injuste, mais elle crée la justice», déclarait Paul Rechsteiner (PS/SG). Le farouche opposant au projet de lui a rappelé que les prix de l’immobilier ont fortement augmenté depuis vingt ans: «Les propriétaires ont bénéficié de ces fortes hausses de valeur, mais ce sont bien les seuls.» Selon lui, la valeur locative permet avant tout de maintenir un équilibre entre propriétaires et locataires.
Brigitte Häberli (Centre/TG), qui est à l’origine du projet de loi, voit les choses tout à fait différemment. La vice-présidente de l’Association des propriétaires (HEV) a trouvé une majorité au sein de la Chambre haute.
«Certains propriétaires sont certainement mieux lotis que d’autres», a-t-elle concédé sur les ondes de la SRF. «Notre association représentons 340’000 propriétaires de maisons et d’appartements. La grande majorité de nos membres dispose d’un revenu dans la moyenne.» Selon elle, ces personnes sont aujourd’hui soulagées. «Elles ont économisé et obtenu leur propriété en travaillant dur», conclut la conseillère aux Etats.
Des fonds issus du deuxième pilier?
Ceux qui «travaillent dur» peuvent s’offrir une maison et ont mérité les avantages liés à celle-ci. Le discours est fort et semble relever du bon sens. Mais dans les faits, les plus travailleurs et les plus économes pourront-ils encore s’offrir leur maison en 2021?
En effet, avec l'augmentation du prix de l'immobilier, la demande en fonds propres de la part des banques augmente. Mais pas les salaires. D'où vient l'argent investis par ces nouveaux propriétaires de la classe moyenne?
Une hypothèse évoquée est celle de retirer des fonds de son deuxième pilier avant sa retraite. Cela est cependant impossible à prouver, car la Confédération ne dispose pas de chiffres sur les retraits dans les caisses de pension dans le but de financer une propriété.
Si ces statistiques n’existent pas, un élément d’analyse est troublant: le volume global des retraits des fonds de pension du deuxième pilier est resté stable ces dernières années, et les comptes provenant du troisième pilier sont rarement utilisés pour l’achat d’une maison.
Des avantages liés aux donations et aux successions
Alors, d'où vient l'argent? Les propriétaires ont plutôt tendance à investir des fonds issus de dons ou d’héritages, parfois anticipés. C’est ce que révèlent les informations rassemblées par nos collègues du SonntagsBlick auprès de différentes banques suisses.
«En raison de la hausse des prix de l’immobilier mais un pourcentage demandé de fonds propres investis restant stable, les exigences pour le financement du logement augmentent», déclare ainsi un porte-parole de Raiffeisen. Autrement dit: il faut payer plus de fonds propres à sa banque qu’auparavant. «Dans ce contexte, les héritages anticipés ou les donations sont souvent un moyen de répondre à ces exigences.»
La Banque cantonale de Zurich est même plus explicite: «Nous observons que les parts de fonds propres provenant de dons ou d’avances sur héritage sont assez courantes aujourd’hui, surtout chez les jeunes nouveaux propriétaires.»
«Aujourd’hui, il faut beaucoup plus d’argent»
Pour Claudio Saputelli, expert immobilier chez UBS, la situation est claire. «Quiconque veut acheter une maison ou un appartement doit mettre beaucoup plus d’argent sur la table aujourd’hui qu’il y a quelques années, confirme-t-il. Et les jeunes qui désirent devenir propriétaires n’ont pas plus d’argent qu’avant. Sans le soutien des parents ou d’un autre membre de la famille, ils ne pourraient pas injecter cet argent en fonds propres, surtout pas dans les centres-villes.»
Du côté de chez Credit Suisse, une observation vient compléter ce tableau. «Lorsque les parents planifient leur retraite, nous observons que des sommes sont mises de côté pour soutenir les enfants en cas d’un éventuel futur achat immobilier», remarque une porte-parole.
Cependant, les banques ne peuvent pas dire avec précision quelle proportion des nouveaux propriétaires bénéficie d’un soutien familial. Elles ne tiennent pas non plus de statistiques sur le montant des dons.
Plus de donations que d’héritages
Le canton de Berne nous a fourni des preuves indiquant que les observations des banques sont correctes. Son administration fiscale a constaté que le nombre et le volume des donations ont augmenté d’environ 10% entre 2015 et 2019. La population, cependant, n’a augmenté que de 2,5% au cours de la même période. Le canton en conclut que le financement au logement explique cette tendance.
Marius Brülhart, professeur d’économie à l’Université de Lausanne, étudie depuis des années la répartition des richesses en Suisse. Les nouvelles données de Berne l’ont surpris: «Depuis 2016, le nombre de donations dépasse celui des héritages. Avant, c’était l’inverse.»
Dans les déclarations fiscales, la valeur totale des dons déclarés est toujours inférieure à celle des héritages, mais la tendance est sur le point de s’inverser. «Les donations gagnent en importance, tant en termes absolus que par rapport aux héritages», indique Marius Brülhart.