Exilée à Zurich, elle témoigne
«Pour les Iraniens, la liberté est plus importante que leur propre vie»

Depuis quatorze ans, Sonia Afsar Shafie ne peut plus entrer dans son pays. Face à la situation en Iran, la Zurichoise est inquiète et triste, mais garde espoir en ses compatriotes.
Publié: 03.10.2022 à 16:29 heures
|
Dernière mise à jour: 03.10.2022 à 17:07 heures
1/5
La réalisatrice Sonia Afsar Shafie a la double nationalité suisse et iranienne.
Photo: Thomas Meier
Dana Liechti

En 2008, Sonia Afsar Shafie, originaire d’Iran, s’est rendue pour la dernière fois dans son pays natal. Deux ans auparavant, elle avait réalisé un film à Téhéran sur les histoires de vie des femmes de sa famille. Ce film a été fatal: à peine entrée en Iran, elle a été intimidée alors qu’elle était enceinte de son fils. On lui a retiré son passeport iranien et on l’a interrogée. Une expérience traumatisante pour cette femme aujourd’hui âgée de 54 ans. Depuis, elle n’est plus retournée en Iran.

A cause de son histoire personnelle, elle suit de près les protestations actuelles dans son pays d’origine. Le cas du décès de Mahsa Amini, 22 ans, secoue le pays. La jeune Kurde a été arrêtée le 13 septembre par la police des mœurs parce qu’elle portait son foulard de manière «inappropriée». Elle est décédée peu après des suites d’actes de violence policière. Depuis, d’innombrables Iraniens et Iraniennes protestent contre le régime islamique – plus de 133 personnes ont perdu la vie jusqu’à présent, selon l’ONG Human Rights Iran. Lorsque nous avons rencontré Sonia Afsar Shafie à Zurich pour l’interviewer, elle n’avait presque pas dormi.

Sonia Afsar Shafie, que vous vient-il à l’esprit quand vous voyez les images d’Iran?
Je ressens de l’espoir, mais aussi une profonde tristesse, de la frustration et de l’impuissance. La seule chose que je peux faire d’ici est d’aider mes sœurs et mes frères en Iran à se faire entendre.

Que faut-il savoir sur la situation actuelle?
Les Iraniens et les Iraniennes ne sont pas tous des fondamentalistes conservateurs. Au contraire, 90% d’entre eux aspirent à la liberté et à la démocratie, et beaucoup sont très éduqués, intéressés et informés. Il n’y a pas de différence entre les jeunes Iraniens et les jeunes Suisses. Ils veulent la même chose: sortir, entretenir des amitiés, découvrir le monde et être heureux. Seulement, les Iraniens n’y ont pas droit. Le pouvoir en place a fait du pays une sorte de prison mentale avec plus de 80 millions de personnes qui y sont enfermées.

Les femmes souffrent-elles particulièrement?
Oui, la situation des Iraniennes est très difficile. En tant que femme dans ce système, tu n’es utile que pour satisfaire les besoins sexuels des hommes et pourvoir aux besoins de la prochaine génération. Nous, les Iraniennes, nous nous battons depuis 40 ans pour notre liberté et notre autonomie physique. Depuis la révolution, on nous dicte ce que nous devons penser, comment nous devons vivre et nous comporter, avec qui nous pouvons être et comment nous devons nous habiller. Nous ne sommes pas contre le hijab, nous voulons simplement pouvoir décider nous-mêmes de ce que nous portons et de la manière dont nous vivons. Comme cela va de soi ici en Suisse. Cela me fend le cœur que les Iraniennes et les Iraniens n’aient pas ce privilège.

Beaucoup d’entre eux se battent justement pour cela – au péril de leur vie.
C’est terrible de voir avec quelle dureté les manifestants sont réprimés. Mais les gens en ont assez, ils ne veulent plus de ce régime. Pour beaucoup, la liberté est plus importante que leur propre vie.

Les manifestations actuelles sont-elles différentes des précédentes?
Oui. Les manifestants ont un grand soutien au sein de la population. Même les religieux les soutiennent. Le fait qu’une jeune femme ait été tuée parce qu’elle montrait un peu trop ses cheveux va trop loin pour eux aussi. En outre, c’est une nouvelle génération, très connectée, qui descend dans la rue. Ma génération avait encore l’espoir que quelque chose pouvait changer au sein du système, qu’il y aurait des réformes. Aujourd’hui, on n’a plus cet espoir. La seule chance de changement est de descendre dans la rue.

Pensez-vous que les protestations peuvent réellement faire bouger les choses?
C’est malheureusement très difficile. Le système ne changera jamais. Il faudrait donc que le régime soit renversé – et je ne pense pas que cela soit possible actuellement. Mais peut-être – espérons-le! Même si les protestations sont pour le moment un peu moins importantes, les gens continuent. Ils ne font que changer de tactique.

Dans quel sens?
Ils protestent surtout après la tombée de la nuit, crient «A bas le dictateur» sur les toits, les femmes vont manger en public sans foulard.

Elles s’exposent ainsi à un grand danger.
Oui. Une connaissance m’a raconté qu’en ce moment, des gens sont même arrêtés rien que pour avoir posté des vidéos. Des cinéastes, des chanteuses, des artistes et des journalistes connus ont également été arrêtés. Cela fait peur aux gens.

De nombreux exilés iraniens qui participent ces jours-ci à des manifestations dans les pays occidentaux ont aussi peur.
Oui, ils cachent leurs visages sous des casquettes et derrière des masques pour ne pas être reconnus. Ils veulent ainsi protéger leurs familles et se réserver la possibilité de revenir plus tard en Iran sans se mettre en danger.

Vous-même vous vous êtes rendue dans votre pays pour la dernière fois il y a quatorze ans.
La peur qu’il m’arrive quelque chose et que mon fils doive grandir sans sa mère est trop grande. Je ne sais pas ce que les autorités feraient de moi.

Cela vous fait-il mal de ne pas avoir pu montrer votre pays à votre fils jusqu’à présent?
Bien sûr, cela fait très mal. Mais ce n’est tout simplement pas possible.

Que souhaitez-vous que la Suisse fasse par rapport à la situation actuelle en Iran?
Un soutien aux manifestants. Et la Confédération ne devrait plus conclure d’alliances avec l’Iran tant que le respect des droits de l’homme n’en est pas la condition absolue.

(Adaptation par Mathilde Jaccard)

Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la