Les supermarchés Coop, les grands magasins Coop City, Interdiscount, Jumbo ou encore Fust: on ne compte plus le nombre d'enseignes du groupe Coop que les consommateurs suisses croisent au quotidien. Ce que l'on sait moins, c'est qu'un tiers du chiffre d'affaires de Coop, qui s'élève à 34,7 milliards de francs, provient d'un secteur que le consommateur ne remarque même pas.
Le groupe Coop réalise 11,4 milliards de francs dans toute l'Europe dans ce que l'on appelle le commerce de gros de livraison. La filiale de Coop Transgourmet approvisionne les restaurants, les hôtels et les cantines, mais aussi, les hôpitaux et d'autres clients en viande, poisson, légumes, fruits et tout ce qu'ils transforment et proposent à leurs clients.
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Ce secteur du commerce de gros – qu'on pourrait comme considérer comme les backstages de l'orchestre du groupe Coop – est, avec le commerce de détail, le deuxième pilier du groupe bâlois et lui apporte à nouveau beaucoup de satisfaction après une période de creux lors de la pandémie.
Une crainte pour les restaurateurs suisses
Mais l'entreprise au logo orné de couverts rouges et blancs ne fait pas le bonheur de tout le monde. Pour de nombreux restaurateurs suisses, le secteur du commerce de gros du groupe Coop est trop dominant. Ce dernier serait même trop affamé: lorsqu'il a été annoncé à la mi-août que Transgourmet Suisse – leader incontesté du marché dans le pays – rachetait sa concurrente Saviva, de nombreux restaurateurs se sont montrés contrariés.
Markus Ebneter a lancé un débat sur le réseau professionnel Linkedin, au nom des restaurateurs qui s'inquiètent de cette annone. Le président de l'association des restaurateurs de Bâle-Ville a choisi comme titre: «Le rachat de Saviva par Transgourmet est une mauvaise nouvelle pour l'hôtellerie-restauration et pour les consommateurs en Suisse.»
«Transgourmet est trop grand pour la petite Suisse»
Markus Ebneter, qui fait office de trésorier au sein du comité directeur de la fédération nationale Gastrouisse, ne cache pas sa colère: «La fusion de Transgourmet et de Saviva augmente le risque d'amincissement des assortiments et d'augmentation des prix à moyen et long terme.» Le message de protestation de Markus Ebneter a été lu à 16'000 reprises et a été très bien accueilli dans les milieux de la restauration.
Les dimensions approximatives du chiffre d'affaires montrent ce qui rend les restaurateurs nerveux: avec des ventes totales de 1,8 milliard de francs (pour 2023), Transgourmet est l'acteur dominant dans le commerce de gros suisse selon les chiffres des études de marché de GFK Switzerland. En tant que numéro deux, Pistor ne pèse même pas la moitié de son concurrent avec 796 millions de francs.
Un rachat qui accentue la domination de Transgourmet
Grâce à l'achat Saviva, dont le chiffre d'affaire oscille entre les 300 à 350 millions, Transgourmet Suisse dépasse désormais largement les deux milliards de francs de chiffre d'affaires. Pour Ebneter, le constat est sans appel: «Transgourmet est trop grand pour la petite Suisse.»
Le professionnel de la restauration, qui s'est également opposé par le passé aux prix suisses élevés de Coca-Cola, reçoit le soutien de Peter Herzog. Ce consultant suisse de longue date dans le domaine de la gastronomie comprend parfaitement le mécontentement de nombreux restaurateurs: «Ce rachat crée désormais un quasi-monopole en Suisse.» Les restaurateurs actifs dans tout le pays n'ont plus qu'un seul vis-à-vis déterminant, explique Peter Herzog.
Chez Transgourmet, on tente de calmer le jeu. «Nous comprenons que des changements sur le marché peuvent susciter des questions et des incertitudes», déclare une porte-parole. L'objectif du rachat de Saviva est de «pouvoir répondre encore mieux aux besoins de la branche grâce à des synergies et à une logistique plus efficace». La concurrence reste présente sur le marché suisse et ils sont convaincus «qu'ensemble, nous pouvons proposer à la fois une meilleure offre et de meilleurs prix».
Peter Herzog se montre sceptique: «Même si Transgourmet est fondamentalement appréciée comme une entreprise loyale, cette nouvelle domination n'est pas une situation satisfaisante. Et cela ne profite pas non plus à la concurrence.»
Dans le débat en ligne, Hans-Peter Oettli, président de l'association Cafetiersuisse, défend également ce point de vue: «La fusion de Transgourmet et de Saviva crée une position dominante sur le marché.»
La Comco a approuvé le deal Saviva
Le deal Saviva fait-il de Transgourmet un dominateur du marché qui fausse la concurrence? La Commission de la concurrence (Comco) a examiné le rachat. Résultat de l'examen: «La Comco a examiné la fusion et l'a autorisée dans le cadre d'un examen provisoire d'un mois, respectivement sans examen approfondi de quatre mois», annonce le service de presse.
La justification de la Comco indique notamment que les deux parties estiment leur part du marché de gros côté ventes à 10 à 20% pour toute la Suisse. Ce qui a notamment amené les autorités de la concurrence à ne voir dans cette concentration aucun indice de création ou de renforcement d'une position trop dominante sur le marché.
Les restaurateurs montent au créneau
Markus Ebneter voit les choses différemment: «Dans le domaine du commerce de gros de livraison avec un assortiment complet, je considère que Transgourmet occupe une position dominante sur le marché.» Selon ce professionnel de la restauration, la Comco «intègre des grossistes locaux et spécialisés dans certains groupes de marchandises, ce qui fausse l'image».
C'est également l'avis d'autres restaurateurs qui ne veulent pas voir leur nom apparaître dans les médias. Certes, il existe en Suisse une diversité régionale de fournisseurs, mais ceux qui travaillent à l'échelle nationale se voient désormais confrontés à un fournisseur trop important.
Selon la conclusion de Markus Ebneter, même un numéro deux fort sur le papier ne peut pas remédier à la situation: «Le fait est que le concurrent le plus dur et le plus agressif de Transgourmet disparaît dans le secteur de la livraison. Pistor ne peut s'engouffrer dans la brèche que de manière limitée, car il est devenu impossible pour l'entreprise de rivaliser sur le plan logistique et pour de nombreux produits frais.»
Markus Ebneter et ses compagnons d'infortune restent vigilants, afin que Transgourmet ne devienne pas trop (Trans)gourmand.