Une manifestation de soutien à des squatteurs dans le quartier des Pâquis, à Genève, a dégénéré, jeudi 9 février. Un photographe de la «Tribune de Genève», qui couvrait l'événement, ainsi qu'un député auraient été frappés par les forces de l'ordre.
Alors qu'une enquête de la police des polices est en cours et que les condamnations ont déjà commencé à pleuvoir, Frédéric Julliard, rédacteur en chef du quotidien du bout du Léman, revient sur ces événements. Il confie à Blick avoir écrit à la commandante Monica Bonfanti pour lui demander des explications. Le journaliste estime en outre que, jusqu'ici, un climat général «de respect mutuel» régnait entre les agents et les journalistes dans la cité de Calvin. Il explique pourquoi son journal est resté en retrait de cette polémique aux allures de scandale. Interview.
Frédéric Julliard, la «Tribune de Genève» va-t-elle réagir d’une manière ou d’une autre après les coups donnés par un policier à votre photographe?
Steeve Iuncker est en train de réfléchir aux suites qu’il veut donner. La décision d’une éventuelle procédure pénale lui appartient. Dans le cas où il déciderait de déposer une plainte, il aura bien évidemment le soutien de la «Tribune de Genève» dans ses démarches. J’ai, pour ma part, écrit à la commandante de la police et j’attends sa réponse.
Quel était l’objet de votre courrier?
J'y demande des explications à Monica Bonfanti et si elle peut m’assurer que nous pourrons continuer à travailler dans un respect mutuel. Au moment où nous nous parlons, elle a accusé réception et me promet une réponse circonstanciée. Nous verrons bien.
Allez-vous aussi saisir le politique?
Pas pour l’instant. Je veux déjà établir les faits avec la police et savoir ce qui est entrepris à l’interne. J’attends de connaître ces éléments avant d’éventuellement me tourner vers Mauro Poggia (ndlr: le conseiller d’État chargé de la Sécurité).
Plus généralement, qu’est-ce que cet événement vous inspire?
Pour la rédaction, c’est un choc. C’est complètement inhabituel. Cela fait 30 ans que Steeve Iuncker couvre l'actualité locale. Il sait comment ces manifestations se passent et comment se comporter pour bien faire son métier sans gêner l’action des forces de l’ordre. Ce n’est pas une tête brûlée. Ce qui s’est passé m’interpelle. D’autant plus qu’il ne s’agissait visiblement pas d’un rassemblement à haut risque.
C’est la première fois qu’un de vos journalistes ou photographe est molesté par un agent?
Je n’ai pas souvenir d’un autre épisode du genre. On travaille au quotidien avec la police et cela s’est toujours fait dans un climat de respect mutuel. Les manifestations, comme celle qui nous occupe, il y en a tellement à Genève. Il faut être clair: risquer de prendre des coups, alors qu’on fait simplement notre travail, est inacceptable. Sans parler de l’arrachage de la carte de presse de Steeve, qu’il n’a toujours pas pu récupérer. On espère sincèrement que c’est un cas isolé et que l’enquête de l’inspection générale va montrer que ça n’aurait pas dû se passer comme ça.
Est-ce que ces faits violents trahissent aussi un changement dans la manière dont les médias sont perçus au sein de notre société?
Je pense qu’il faut distinguer deux choses. Dans notre pays et à Genève, nous avons la très grande chance de pouvoir faire notre métier de façon libre. Il faut le souligner, quand on voit ce qui se passe ailleurs, notamment en France depuis les attentats. Maintenant, il est vrai que depuis le Covid, la situation a passablement évolué. Y compris chez nous.
C’est-à-dire?
On sent une forte crispation d’une partie de la population face aux médias dans leur globalité — même si, pour moi, dire «les» médias ne signifie pas grand-chose. On constate une violence inhabituelle pour la Suisse, mais qui reste, une fois encore, inférieure à ce qu’on peut voir dans d’autres pays.
Comment se fait-elle sentir?
On remarque cette violence sur les réseaux sociaux, où les positions sont hypertranchées. Les attaques, souvent anonymes, y fusent et sont brutales. Les journalistes en prennent pour leur grade. Mais nous ne devons pas nous apitoyer sur notre sort: c’est une évolution de la société en général, qui concerne malheureusement beaucoup de monde et pas seulement notre profession.
À la suite de cette manifestation, allez-vous demander à vos équipes de se comporter différemment, d’être plus prudentes?
Nous pouvons encore travailler en confiance. Mais peut-être qu’un jour, on devra demander à nos journalistes qui couvrent les manifestations de mettre des casques (rires). J’espère sincèrement ne pas devoir en arriver là. Plus sérieusement, il faut être blindé quand on est journaliste. Bien sûr, pour les cas qui dépassent la ligne rouge, nous avons notre service juridique, que nous avons d’ailleurs renforcé. Mais nous essayons toujours de maintenir le dialogue, ce qui est possible la plupart du temps. Nous ne sommes pas dans des démarches sécuritaires.
Votre journal est resté en retrait après les coups reçus par votre photographe. C’était pour ne pas qu’on vous accuse d’être juge et partie?
Dans le cas où il y aurait une éventuelle procédure pénale, je n’avais pas envie de donner l’impression de faire le procès dans notre journal. Nous n’avons pas non plus envie de pleurnicher. Un député a aussi reçu des coups durant cette manifestation, nous ne sommes pas les seuls touchés. Et, il faut le dire, il y a des choses plus graves dans le monde. C’est un épisode très désagréable, mais la liberté de la presse existe toujours à Genève. Malgré ce qui s’est passé.