Un maraîcher genevois défend son employé
Menacé de renvoi après 25 ans en Suisse

Jérôme Badollet, maraîcher et gestionnaire des Jardins de Charrot, près de la douane franco-suisse de Bardonnex, est très remonté. Il pourrait perdre Blerim Haziri, son employé et «mémoire» de son exploitation, sous le coup d'un renvoi au Kosovo.
Publié: 22.03.2023 à 06:44 heures
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Dernière mise à jour: 22.03.2023 à 09:31 heures
Jérôme Badollet (à droite) se bat pour son «mentor», Blerim Haziri.
Photo: AS
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Adrien SchnarrenbergerJournaliste Blick

Le vert éclatant des salades, le soleil radieux qui permet de travailler en t-shirt: le printemps a déjà commencé en ce jour de mi-mars à la Croix-de-Rozon. Jérôme Badollet aurait de quoi se réjouir, à l’aube de la belle saison. Mais le jeune maraîcher fait face à un risque systémique pour sa petite entreprise: son employé risque l’expulsion au Kosovo.

À 200 mètres près, Blerim Haziri se serait peut-être épargné vingt-cinq ans de bataille contre les différents offices de migration. Les plaques d’immatriculation estampillées 74 sur la majorité des voitures et le Salève en toile de fond ne sont, en effet, que trompe-l’œil: les Jardins de Charrot se situent bien du côté suisse de la douane de Bardonnex.

Les jardins de Charrot, en campagne genevoise.
Photo: AS

Le décor — idyllique — posé, revenons en 1997, lorsque le Kosovar, âgé alors de 22 ans, débarquait en Suisse. Comme tant d’autres ressortissants du territoire au statut contesté, son frère et ses cousins en avaient fait de même auparavant. Pour fuir la guerre des Balkans, et en particulier celle du Kosovo (1998-1999).

Un quart de siècle plus tard, un courrier de l’Office cantonal des migrations résume bien la teneur du séjour illégal de l’homme sur sol helvétique. Un jeu du chat et de la souris qui commence par une interpellation, en 2000, se poursuit par une autorisation cantonale de séjour, en 2005, douchée par un refus fédéral, en 2007.

Suivront quinze ans de séjour en Suisse, malgré cette décision de renvoi. «Blerim n’a pas tout fait juste», confesse Jérôme Badollet, évoquant notamment l’épisode où c’est le cousin de son employé qui a quitté le territoire suisse à la place de Blerim Haziri, tamponnant la carte de renvoi et octroyant un peu de répit au travailleur.

Pierre Maudet l'a rencontré

Le salut du quadragénaire aurait pu (dû?) s’appeler «Papyrus», du nom de cette opération genevoise de régulation des sans-papiers, dont l’employé des Jardins de Charrot aurait pu être le parfait exemple. Mais Blerim Haziri a raté le train, empêtré dans une affaire qui ne le concernait finalement pas et en litige à propos des années passées en Suisse, puisque son séjour a été coupé par un retour transitoire au Kosovo. Même la venue en personne sur l’exploitation du conseiller d’État d’alors, Pierre Maudet, n’a pas pu régler le sort administratif de celui qui a toujours l’étiquette de migrant sans-papiers.

Ce qui n’a pas empêché l'homme de 47 ans aujourd'hui de continuer à travailler pour la petite exploitation agricole, reprise par Jérôme Badollet il y a trois ans et en transition biologique. Là où les autorités cantonales aimeraient désormais voir les talons du Kosovar, l’ingénieur agronome préfère voir son talent. «Sans Blerim, je peux mettre la clé sous la porte le jour même de son départ», affirme-t-il.

Vraiment? Le coup de gueule du Genevois est très étayé, documenté. Un cri du cœur contre des autorités «complètement déconnectées de la réalité du terrain», à l’heure où la Suisse manque cruellement de main d’œuvre qualifiée. «On veut de l’agriculture bio, de proximité et de qualité. C’est ce que nous faisons ici, raconte Jérôme Badollet. Nous gérons 50 légumes différents, que nous livrons aux particuliers via des paniers bio, à la restauration et à la grande distribution. Nous sommes trois pour tout faire, sans compter l’administratif.»

«Un mentor, un frère»

Mais si le Genevois défend Blerim Haziri, ce n’est pas pour son porte-monnaie: c’est d’abord une question humaine. «Lorsque je suis arrivé ici, je ne connaissais rien. C’est lui qui m’a épaulé, qui m’a appris mon métier. C’est un peu comme un mentor, un frère», explique le maraîcher.

Jérôme Badollet insiste: la Suisse aurait tout à gagner à régulariser ce «travailleur infatigable», qui a toujours payé ses impôts dans notre pays. De manière ironique, le courrier de l’Office des migrations semble avoir oublié d’effacer une mention-type (préciser dettes), dans le paragraphe qui évoque la situation socio-économique du requérant.

Si les autorités s’opposent à la demande, c’est qu’elles estiment que Blerim Haziri pourrait tout à fait retourner au Kosovo pour y exercer le même métier. «S’il s’agissait d’un ingénieur très qualifié, on ne se poserait pas la question et on le garderait, s’insurge Jérôme Badollet. C’est ce qui me frustre le plus: les autorités ne comprennent pas à quel point Blerim est unique.»

Aux Jardins de Charrot, le Kosovar est la «mémoire de l’exploitation». «C’est un formateur pour toute une nouvelle génération de maraîchers. Il est important qu’il puisse transmettre son savoir, ce qu’il fait avec Colin, notre apprenti.» Le savoir-faire est d’autant plus capital que l’exploitation vient de passer au bio. «Personne ne se rend compte de ce que cela représente en matière de travail supplémentaire. Toute mesure de protection du sol implique une augmentation de la main d’œuvre. Et on voudrait renvoyer les gens qui nous aident à cette transition?»

Un recours et une dernière chance

La partie n’est pas perdue, aux yeux de Jérôme Badollet. D’abord parce que Blerim Haziri a pu faire recours contre la décision de l’Office cantonal de la population et des migrations (OCPM), qui comporte plusieurs erreurs, selon le duo. Et le maraîcher dispose d’une dernière carte, celle d’une demande spéciale de permis de séjour pour activité lucrative.

En somme, le gérant des Jardins de Charrot devrait prouver que personne ne peut remplacer son employé. «Des profils avec les compétences de Blerim, il doit y en avoir dix en Suisse, et ils coûteraient extrêmement cher. Peu de gens ont un tel bagage, travaillent aussi rapidement que lui et savent parfaitement quelles cultures privilégier. Cela ne s’apprend pas sur Instagram», ironise Jérôme Badollet.

Mais le maraîcher, qui parvient à dégager un salaire de 4000 francs pour tout le monde — lui y compris — au prix de nombreux efforts, espère un rebond d’humanité de la part des autorités cantonales plutôt que «de faire passer des dizaines d’entretiens en espérant ne trouver personne», faisant perdre du temps à tout le monde. Surtout à l’aube de la période la plus chargée de l’année.

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