Un Genevois au Quai 9
«J’ai peur de mourir à cause du crack»

Cela fait 20 ans que Max consomme régulièrement de la cocaïne. Et, comme beaucoup, il s’est mis au crack, facile à trouver et pas cher. Ce vendredi 12 mai, au bord du Quai 9 à Genève, il témoigne à Blick de sa difficulté à arrêter et, surtout, de sa peur de mourir.
Publié: 27.05.2023 à 06:12 heures
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Dernière mise à jour: 27.05.2023 à 09:30 heures
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Max a 40 ans, consomme régulièrement du crack et est un habitué du Quai 9, à Genève.
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Nora FotiJournaliste Blick

D'abord, une bouffée de chaleur, puis, des sons étouffés, enfin, une petite bulle de tranquillité. Le tout, en un quart d'heure environ. C'est ainsi que Max*, 40 ans, décrit se qu'il ressent lorsqu'il prend du crack, cette cocaïne sous forme de cristaux que l'on peut fumer — et qui s'arrache en ce moment dans la cité de Calvin (les addicts ont même doublé dans le canton de Genève entre 2021 et 2022).

Max, je l'ai rencontré vendredi 12 mai, en m'aventurant aux abords des murs verts flashy du Quai 9, cette structure d’accueil pour les toxicomanes, à deux pas de la gare Cornavin. Un lieu que les passants prennent d'habitude soin d'éviter, peut-être intimidés par les attroupements des consommateurs qui attendent de prendre leur dose.

Pourtant, Max, qui fait les 100 pas devant le bâtiment, les écouteurs dans les oreilles, s'avère être très calme et empli de bienveillance. Avant d'aller faire chauffer sa pipe à l'abri des regards, il accepte de livrer son histoire à Blick.

«J'ai toujours baigné dans la drogue»

Le Genevois est quasiment tombé dans la marmite lorsqu'il était petit. «J’ai toujours baigné dans la drogue, lance-t-il spontanément. J’ai vécu en foyer, en internat, avec des personnes qui étaient placées par les juges. Donc j’ai eu des mauvaises fréquentations assez tôt.» Sa descente aux enfers a commencé à ses treize ans — par des joints, ou, comme il les appelle, des «pétards». Puis, vers ses 17 ans, il a tenté les acides.

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«Je ne vais pas mourir con... mais je vais mourir défoncé.»
Le Genevois Max
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La suite? La cocaïne et l'héroïne, lorsqu'il avait la vingtaine. Vingt ans plus tard, il a réussi à arrêter l'héroïne, mais pas le crack. Ce chemin qu'il a entrepris, il n'en a pas honte. «Je me suis dit qu’il ne fallait pas mourir con. Donc j’ai essayé, et puis j’ai aimé. Maintenant, je ne vais pas mourir con... mais je vais mourir défoncé. (rire)» Posé sur un banc en face du Quai 9 — pour que nous puissions discuter plus calmement, il tremblote, un léger sourire aux lèvres.

La mort à ses trousses

Derrière cette légèreté se cache toutefois une sombre réalité: la cocaïne (et donc le crack) peut tuer. «À chaque consommation, il y a un risque d'infarctus, même une seule fois», avertit ainsi Daniele Zullino, médecin-chef du service d'addictologie aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), à qui j'ai passé un coup de fil après ma rencontre avec Max.

«Ces consommateurs peuvent également ressentir de l'épuisement, vivre des troubles psychotiques, ou encore une dépression, voire contracter une maladie pulmonaire due à la fumée.» Sur son banc, mon interlocuteur salue régulièrement ses compagnons de défonce. Pour lui, qui fume des «taffes» de ce poison blanc plusieurs fois par semaine, les risques cités par le médecin sont encore plus élevés.

En songeant à la mort, le regard de Max s'assombrit tout de même. «Ça me fait peur, admet-il. Des fois, je me dis que je ne vais pas vivre bien longtemps, alors que je n'ai pas envie de mourir.» Sa mère — le seul membre de sa famille avec qui il a encore contact — a aussi terriblement peur pour lui. «Je ne vois plus mon père, ni mon frère, ni ma sœur. Et je ne vois plus mes amis d’avant depuis que j'ai repris les drogues.» Entre les lignes: son addiction rime avec une grande solitude.

Le quarantenaire avait pourtant réussi à arrêter la coke durant cinq ans, et fait une «cure» au domaine de Belle-Idée (GE). Le processus avait duré un an. Mais il y a trois ans, il a craqué. Juste après une rupture amoureuse. Au même moment, il perdait son travail et se retrouvait à la rue. «L'appart était au nom de mon ex. C'était très difficile. La nuit, je trainais, le jour, je dormais dans le tram...» Actuellement, ses principales fréquentations se résument à ses potes de fumette. «Je n'ai rien à faire de mes journées, alors je viens, je vois les gens consommer, et ça me donne envie...»

Une taffe à 10 francs

Après avoir vécu les difficultés de la rue — et avoir fait trois passages en prison parce qu'il ne payait pas ses amendes — Max a été logé par l'Hospice général dans une chambre d'hôtel. Un soulagement. Actuellement, son assurance santé est payée et il reçoit un entretien financier de 1100 francs par mois.

Dépense-t-il pour autant tout son argent dans le crack? «Depuis six mois, mon compte n'est jamais tombé à zéro. Donc, généralement, je gère super bien. Mais ce mois-ci, j'ai merdé.» Que s'est-il passé? «La coke (rire). J'ai dépensé 600 francs en l'espace de cinq jours dedans.» Un incident exceptionnel, m'assure-t-il.

Ce petit caillou de crack coûte 10 francs. Max l'a fumé au Quai 9 dans la soirée du vendredi 12 mai.
Photo: Nora Foti

En général, Max se procure une «galette» de crack à 35 francs par semaine (ce qui représente à peu près huit taffes). Il la consomme sur deux à trois jours. Le reste de la semaine, il prend un traitement de substitution aux opiacés (un mix de benzodiazépines, des substances ayant un effet calmant).

De tels traitements ne permettent toutefois pas de complètement combler l'addiction à la cocaïne, même si certaines substances peuvent aider, m'indiquera plus tard le professeur Daniele Zullino, toujours par téléphone. «Des chercheurs ont essayé de substituer la cocaïne avec des stimulants comme la ritaline, mais les résultats ont été peu concluants», appuie-t-il.

Le crack est aussi addictif que la nicotine

Sur son banc, Max continue ses calculs: «Ce mois-ci, comme je n'ai plus d'argent, je deale du crack. J'achète une boulette à 35 francs, que je divise en six morceaux revendus dix francs chacun. Je n'ai jamais fait la manche.» Une précision qui lui tient à cœur: le Genevois connait du monde dans sa ville et ne souhaite pas qu'on le perçoive ainsi. «En plus, je reçois mon entretien mensuel de 1100 francs, je n'ai pas besoin de mendier.» Sur le marché noir, le revendeur occasionnel parvient donc à obtenir environ 30 francs par jour, avec lesquels il s'achète à manger, à boire, des cigarettes, ses médicaments...

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«On m'a déjà refusé l'internement deux fois... Deux fois où je suis retourné me péter la tronche...»
Le Genevois Max
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Mais ce dealer par intérim ne restera peut-être pas toujours à zoner aux alentours de la gare «Je veux me soigner. J'ai un papier du médecin indiquant qu'il faudrait m'interner à l'hôpital. Normalement, cela devrait fonctionner, mais c'est aux professionnels de l'hôpital de me donner le feu vert. On m'a déjà refusé l'internement deux fois... Deux fois où je suis retourné me péter la tronche...» Son désespoir est palpable.

Pourtant, après notre entrevue, j'interroge encore Daniele Zullino à ce sujet. Lui arrive-t-il de refuser un patient? Celui-ci m'indique que son service ne peut pas barrer la route à quiconque souhaiterait s'en sortir. «Je ne sais pas si cette personne est allée dans le privé, qui aurait pu la refuser. Mais chez nous, aux HUG, on ne fait pas cela. Nous savons que la rechute fait partie du processus.» Difficile de savoir pourquoi on aurait fermé la porte à Max.

Quoi qu'il en soit, même s'il parvenait à se faire interner, il lui reste du chemin à faire. «Il est très compliqué d'arrêter cette drogue, indique Daniele Zullino. Son effet psychotrope, très court, n'est pas le problème. La vraie difficulté est qu'il s'agit d'un produit dont l'addiction, très forte, peut être comparée à celle de la nicotine dans les cigarettes.» Max, quant à lui, semble en avoir conscience. «Quand la motivation est là, il faut la saisir. Je ne lâcherai rien!»

Sur son air déterminé, nos chemins se séparent. Dans une heure, il ira fumer ses taffes entre les fameux murs verts flashy. Dans quelques semaines, il pourrait bien, enfin, arrêter.

*Nom connu de la rédaction


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