Lorsque des bouleversements massifs s'annoncent pour leur plus grand marché d'exportation, les entreprises suisses tirent la sonnette d'alarme. Et c'est précisément le cas, puisque le futur président des Etats-Unis, Donald Trump, a annoncé des mesures radicales pour son deuxième mandat, comme une augmentation des droits de douane à l'importation qui passeront à 20%. «Ce serait clairement un frein à la croissance», affirme Rahul Sahgal. Cet homme de 46 ans a pris les rênes depuis août de la Swiss-American Chamber of Commerce (Swiss AmCham).
En tant que PDG durant plus de 20 ans, son prédécesseur Martin Naville avait réussi à faire de la Chambre de commerce l'association économique la plus puissante du pays, Rahul Sahgal est mis au défi: avec 350 milliards de dollars, la Suisse est le sixième plus grand investisseur direct aux Etats-Unis. Et inversement, les Etats-Unis sont le plus grand investisseur dans notre pays.
La tâche principale de Rahul Sahgal? Maintenir la compétitivité de la Suisse dans le commerce transatlantique. Il faut également avancer dans les négociations relatives à l'accord de libre-échange, sur la table depuis des années, ou sur les accords sectoriels. Il doit aussi finaliser la révision de l'accord de double imposition le plus rapidement possible. «C'est d'une importance inestimable, tant pour l'économie suisse que pour les entreprises américaines présentes ici», déclare l'économiste.
Mais qui est vraiment l'un des Suisses les plus puissants des Etats-Unis? Point de situation.
Sa carrière
Rahul Sahgal a étudié à l'Université de Saint-Gall, en compagnie de Michael Steinmann, directeur de McKinsey en Suisse, Daniel Kessler, ex-directeur du Boston Consulting Group en Suisse, de l'investisseur David Braginsky et de Tobias Staehelin, membre du conseil d'administration de Schindler et de Kühne + Nagel. Alors qu'il était doctorant chez Deloitte, Rieter l'a débauché comme conseiller pour l'expansion en Inde. Rahul Sahgal a ensuite dirigé Autoneum, la société nationale indienne de la spin-off de Rieter.
Helene Budliger Artieda, alors responsable des ressources humaines au Département fédéral des Affaires étrangères (DFAE) et aujourd'hui secrétaire d'État du Secrétariat d'Etat à l'économie (Seco), l'a ensuite fait entrer au service diplomatique en 2013. Sous Roberto Balzaretti, alors ambassadeur à Bruxelles et aujourd'hui à Paris, Rahul Sahgal a dû expliquer à l'Union européenne l'initiative contre l'immigration de masse.
En tant que chef adjoint d'une section de politique de paix multilatérale, il s'est ensuite occupé de projets de médiation en mer de Chine méridionale et de discussions sur le désarmement avec l'Union africaine, avant de travailler durant quatre ans à l'ambassade suisse aux Etats-Unis. En 2021, Daniela Stoffel, secrétaire d'Etat et collaboratrice personnelle du ministre des Finances Ueli Maurer, l'a fait revenir à Berne en tant que chef suppléant de la division fiscale du Secrétariat d'Etat aux questions financières internationales (SFI).
A l'époque, Rahul Sahgal avait autant à faire avec Ueli Maurer qu'à sa successrice Karin Keller-Sutter par la suite. Il s'est occupé de la révision de l'accord de double imposition avec les Etats-Unis et a dirigé les négociations sur le changement de modèle FATCA (Foreign Account Tax Compliance Act), une loi fiscale. Depuis, il entretient également de bonnes relations avec le ministre des Affaires étrangères, Ignazio Cassis.
Sa famille
Son anniversaire donne lieu chaque année à un grand feu d'artifice, car Rahul Sahgal est né dans la nuit du réveillon du Nouvel An en 1977. Son père Suresh, originaire d'Inde, a étudié le génie mécanique à l'EPFZ et a travaillé chez Saurer. Sa mère, Anita, est architecte.
Sa femme, Sabrina Cellier, est une avocate genevoise. Elle l'a rencontré lors d'une fête du 1er Août à l'ambassade de Suisse à Delhi. Aujourd'hui, ils vivent tous les deux à Küsnacht, aux abords du Lac de Zurich, avec leurs deux filles qui ont 6 et 8 ans. Rahul Sahgal a en fait repris la maison de son prédécesseur, Martin Naville.
Au niveau des hobbys, la famille aime tant la montagne que la mer. Ils vont souvent skier à Verbier, mais l'économiste est aussi navigateur; il a le brevet de skipper et le permis de navigation en haute mer. Il joue également au tennis et au golf.
Ses compagnons de route
Avec plus de 52 personnes, le comité directeur de l'AmCham est exceptionnellement grand et est un véritable réseau des grands noms du monde économique. Ainsi, Rahul Sahgal est particulièrement proche du patron d'UBS, Sergio Ermotti, qui présidait le comité de nomination lors de son élection. Marie-France Tschudin, ancienne directrice commerciale de Novartis, ainsi que Dominik Schaller, chef pour la Suisse du cabinet de conseil en ressources humaines Egon Zehnder, faisaient aussi partie du comité. Sahgal travaille aussi en étroite collaboration avec le PDG de Schindler, Silvio Napoli, le chef d'ABB, Morten Wierod, Stefan Paul de Kühne + Nagel, l'ancien dirigeant de Dormakaba, Riet Cadonau, ainsi que l'ex-chef de Swiss, Dieter Vranckx.
Il entretient aussi de bons contacts avec l'entrepreneur André Kudelski et le président de Multi, Thomas Wellauer. Tout comme avec le président de Sandoz, Gilbert Ghostine, et la tsarine des matières premières, Margarita Louis-Dreyfus. Denis Machuel, PDG d'Adecco, et Dominique Le Doeuil, directeur financier de Cargill, font également partie de son entourage proche, tout comme, depuis peu, le patron de Breitling, Georges Kern. Ses liens avec le chef de la Chambre de commerce locale, Vincent Subilia, remonte à l'époque où il évoluait à Genève.
Ses opposants
Deux femmes et deux hommes étaient en concurrence avec Rahul Sahgal pour le poste de PDG de l'AmCham, dont l'ex-conseillère nationale du Parti libéral radical (PLR) Christa Markwalder.
Rahul Sahgal doit s'attendre à une certaine résistance contre l'accord de libre-échange espéré avec les Etats-Unis, notamment de la part des syndicats dirigés par Pierre-Yves Maillard, de l'Union suisse des paysans dirigée par Markus Ritter, des Vert-e-s dirigés par Lisa Mazzone ou de la vice-présidente du Parti socialiste (PS) Jacqueline Badran.
Et l'accord de double imposition ne devrait pas non plus recueillir les faveurs de la gauche, puisque la Suisse encaisserait nettement moins d'impôts, faisant économiser un paquet d'argent aux multinationales.
Ses relations à Washington
De 2017 à 2021, c'est-à-dire aussi bien sous le mandat de Donald Trump que de Joe Biden, Rahul Sahgal a dirigé le service financier et fiscal de l'ambassade suisse à Washington sous les ambassadeurs Martin Dahinden et Jacques Pittelout.
Il a dirigé les négociations de l'accord FATCA et a réussi à faire passer le protocole d'amendement de la convention de double imposition devant le Sénat américain. Lors des négociations avec l'Office of Foreign Assets Control, un organisme de contrôle financier, il a contribué, aux côtés du Seco, à la levée des sanctions de Trump contre l'entreprise suisse Sulzer. Du côté américain, c'est David Malpass, futur directeur de la Banque mondiale, qui était responsable des relations avec la Suisse.
Rahul Sahgal devra compter sur ses relations pour parvenir à obtenir des avancées dans les négociations. Il a des contacts avec Catherine Schultz, directrice fiscale de la plus puissante association économique de Washington, la Business Roundtable, avec Marjorie Chorlins, directrice Europe de la U.S. Chamber of Commerce, ainsi qu'avec le Suisse Ulrich Brechbuhl, alors conseiller du secrétaire d'État Mike Pompeo. Ses relations avec Jake Colvin, directeur du National Foreign Trade Council, sont essentielles pour un potentiel accord de libre-échange. Rahul Sahgal est également lié à l'ami de Trump Ed McMullen, ancien ambassadeur des Etats-Unis en Suisse et aujourd'hui conseiller politique à Washington.