Un ancien de la Comco exige
«Monsieur Prix doit enquêter sur l'arnaque au diesel»

Les révélations de Blick sur les énormes marges des grands exploitants de stations-service mène à des appels en faveur de la régulation de la concurrence et de l'organisme de surveillance des prix.
Publié: 21.07.2021 à 07:38 heures
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Dernière mise à jour: 21.07.2021 à 16:22 heures
Markus Gasser est un petit exploitant, dont les marges sont moitié moins élevées que celles des grandes stations.
Photo: STEFAN BOHRER
Patrik Berger, Nicola Imfeld, Jocelyn Daloz (adaptation)

Alors que la période estivale signifie départs en vacances, bouchons sur l'autoroute et obligatoires arrêts aux stations-service, voilà que le prix de l'essence et du diesel décolle. Un litre de diesel coûte en moyenne 1,80 francs, ce qui égale à 90 francs pour le plein d'un break standard.

Blick révélait hier à quel ces prix étaient gonflés par les grands exploitants de stations-services, qui empochent 40 centimes par litre. En comparaison, l'exploitant Markus Gasser ne réclame que 1,60 franc par litre dans son centre de recyclage de Dagmersellen, dans le canton de Lucerne, et sa marge n'est que de 20 centimes. Le petit exploitant de la station au diesel le moins cher de Suisse dénonce les prix fantaisistes pratiqués par les chaînes comme Mövenpick ou Shell.

L'enquête de Blick est remontée jusqu'au surveillant des prix de la Confédération: «Nous avons été étonnés de voir à quel point les marges des grands acteurs du marché sont élevées en ce moment», déclare Beat Niederhauser, adjoint de «Monsieur Prix» Stefan Meierhans. «Bien sûr, il est nauséabond que les clients se fassent plumer de cette manière pendant la période des départs en vacances.» Mais il ajoute : «Nous ne pouvons pas faire d'autres commentaires à ce sujet. Le législateur part du principe que les clients feront leurs achats là où cela leur convient le mieux.»

Pas assez de preuves de la fixation des prix

Si Monsieur Prix a les mains liées, ce n'est pas le cas de la Commission de la concurrence Comco, qui s'occupe de cette question depuis des années. «Nous observons le marché des carburants et avons reçu à plusieurs reprises des indications sur d'éventuels accords sur les prix», déclare Patrik Ducrey, porte-parole de la Comco. Ces indications auraient fait l'objet d'un suivi régulier. «Le fait que les prix augmentent simultanément et soient largement similaires n'est pas nécessairement le résultat d'un accord sur les prix, elle peut aussi être le résultat de la concurrence», ajoute-t-il.

Les chiens de garde de la concurrence ont déjà constaté qu'il existait des différences de prix régionales considérables - «y compris entre les stations d'autoroute et les autres stations-service», comme le dit Patrik Ducrey. «Selon notre estimation, les différents prix sont le résultat d'une concurrence qui n'est pas aussi intense partout.»

Jusqu'à présent, la Comco n'a pas été en mesure de trouver suffisamment de preuves que les entreprises dominantes s'entendent sur les prix et n'a donc pas ouvert de procédure. Mais elle ne lâche pas l'affaire. «Nous continuerons à surveiller le marché des carburants et interviendrons si nous considérons que les indices de collusion ou d'abus de pouvoir de marché sont concluants.»

«Il n'y a pas eu de collusion en 2003»

Roger Zäch, professeur émérite de droit à l'Université de Zurich, travaillait pour la Comco en 2003 lorsque l'organe enquêtait sur les prix de l'essence. «Nous étions arrivés à la conclusion qu'il n'y avait pas de collusion», dit-il. Roger Zäch a été vice-président de la Commission suisse de la concurrence de 1996 à 2007.

Mais l'économiste de 82 ans exige à présent que Monsieur Prix se penche sur l'affaire: «Le surveillant des prix doit vérifier si les marges sont abusives et déterminer s'ils sont le résultat d'une concurrence loyale.»

Il se pourrait toutefois très bien que le surveillant des prix arrive à la conclusion que la hausse des prix à l'été se justifie par des raisons tout à fait banales, admet-il. «Les stations-services doivent peut-être investir plus d'argent dans leur magasin ou faire travailler plus de personnes».

«Nous payons un milliard de trop»

Stefan Hess observe le marché depuis près de huit ans. Cet ancien banquier compare méticuleusement les prix des carburants de sa station-service de Rotkreuz dans le canton de Zoug et d'une station-service Total près de Francfort-sur-le-Main en Allemagne, où il se rendait régulièrement pour ses affaires. Il retranscrit ses observations sur une feuille de calcul Excel et collecte les preuves. «Les différences sur une base neutre du point de vue fiscal sont comme le jour et la nuit», dit-il à Blick.

«Nous payons tous 15 à 20 centimes de trop par litre», calcule-t-il. «En un an, cela représente un milliard de francs en Suisse.» Il avait contacté des politiciens pour changer cet état de fait déplorable. «Mais l'intérêt pour Berne au sommet était faible».

L'État ne résiste pas à la hausse des prix

Mais alors, où se situe le juste prix d'un litre de diesel ? «Si vous pouvez faire le plein quelque part entre 1,65 franc et 1,70 franc, alors faites-le», conseille Stefan Hess, qui négociait des devises et des métaux précieux pour de grandes banques avant de prendre sa retraite du monde de la finance.

Le souhait de Roger Zäch risque fort de rester lettre morte. Monsieur Prix déclare en effet à Blick que tant que la Comco ne trouve pas de preuves substantielles d'une entente sur les prix, le surveillant a les mains liées.

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