Vous êtes-vous déjà fait recaler à l'entrée d'une boîte de nuit? Non? Eh bien de nombreuses personnes affirment avoir vécu cette aventure désagréable ces dernières semaines, aux portes du No Name, célèbre club des nuits lausannoises. Un fait banal? Pas si l'on se voit rejeté en raison de sa couleur de peau, comme le laissent entendre un cortège de témoignages en ligne, ainsi que cinq témoins que nous avons directement contactés dans le cadre de notre enquête.
Cette histoire commence par une vidéo TikTok, jetée comme une bouteille à la mer. Le message, porté par une Lausannoise prénommée Alisson: le No Name, une des seules boites gratuites de la capitale olympique, ferait du profilage racial.
«Le No Name qui refoule tous les noirs et les latinos, pardon?!», s'interloque-t-elle dans l'une de ses vidéos, vue plus de 31'000 fois. Une affirmation farouchement démentie par le patron du club, contacté par Blick.
Avant d'en venir à sa ligne de défense, concentrons-nous sur les témoignages. Sous le post d'Alisson, les allégations fusent: certains disent avoir vécu des situations similaires, d'autres rétorquent que ses propos «ne tiennent pas la route». Qu'en est-il véritablement? Blick a récolté cinq récits venant appuyer les accusations déversées sur TikTok.
«Dans la file devant nous, quatre hommes noirs ont été rejetés, quatre hommes blancs sont passés, puis le videur nous a interdit l’entrée à mon amie et moi, raconte Nolan*, un étudiant Suisso-Malgache. J’étais bien habillé, je me comportais normalement et je n’avais pas trop bu. L’agent de sécurité nous a sorti plusieurs excuses: 'C’est trop plein, vous ne pouvez pas rentrer'... 'On ne prend que la clientèle fidèle'... 'Le chef ne veut pas de vous'... 'Ce n’est pas ta place ici, toi, tu vas au Flon'...»
Maeva*, qui était avec lui ce soir-là, corrobore ses propos. Pourtant, aucun commentaire n'est lié à la couleur de peau. Peut-on dès lors parler de racisme?
Une vague de commentaires dénonçant le «racisme»
Sur ce point, les commentaires sur la page Google du club lausannois sont catégoriques. Et ils sont bien plus nombreux depuis qu’Alisson a publié sa vidéo sur TikTok. Dix-sept, en tout, utilisent le mot «raciste». Lionel G*. en fait partie. «C'est une HONTE pour la ville de Lausanne et ses nuits», s'emporte-t-il.
«J’ai 34 ans, amorce-t-il au téléphone. Je connais bien le racisme. Durant le mois d’août, je suis allé au No Name. J’allais sortir ma carte d’identité, lorsqu’un grand sécu arrive en disant: 'Ce genre de personnes-là ne rentre pas ici.' Il nous pointait du doigt. Derrière nous, il y avait un autre groupe de dix personnes de couleur qui ne sont pas rentrées non plus. Je précise que je ne bois pas d’alcool, je n’étais donc pas ivre.»
La raison pour laquelle on aurait refusé l’entrée à ce Suisso-Gouadeloupéen? Le club aurait été trop plein. Sauf qu’au même moment, «des personnes blanches rentraient», affirme-t-il. L'expérience vécue par André*, d'origine latino-américaine, est similaire, mais le Lausannois précise qu’il ne veut pas mettre tout le monde dans le même panier. Selon lui, seul un des agents de sécurité du club poserait réellement problème.
C’est celui-ci qui aurait empêché Francisco*, d'origine angolaise, d’entrer dans la boite de nuit. «Les gens comme toi ne sont pas les bienvenus ici», lui aurait dit le videur, qui aurait ensuite précisé: «Les gens comme toi, c'est-à-dire avec ce pantalon, cette sacoche». Aucune des personnes qui ont témoigné n'a porté plainte.
Et qu'en pensent les personnes blanches? Carla*, cliente régulière du No Name, le dit sans détour: «Ça fait longtemps que je m'étonne du peu de mixité à l'intérieur du club. Les seules soirées où il y a davantage de personnes noires, c'est lorsque des DJ's racisés sont aux platines et font entrer leurs proches. Je les ai vus s'adresser directement aux vigiles pour qu'ils les laissent passer». Cet étonnement, deux autres réguliers de la boite de nuit le partagent. «Le No Name, c'est une boite de Lausannois bien blancs», tranche Robert*.
«C'est un sketch!»
Contacté par Blick, Sébastien Kummer, patron du No Name, est «absolument scandalisé»: «Je tombe des nues! Aucun de mes employés ne discrimine qui que ce soit! C’est un sketch!» Sébastien Kummer avait eu vent de «rares» plaintes, qu'il dit avoir prises au sérieux en essayant d'organiser une rencontre avec les personnes concernées. Sans succès: celles-ci auraient refusé. «Ces personnes se plaignent, mais il n’y a jamais de propos racistes ou discriminants.»
«Lorsque l'on donne plusieurs raisons aux gens pour expliquer pourquoi ils ne peuvent pas rentrer, c'est simplement pour jauger les personnes. Cela les fait parler et nous aide à savoir si elles sont avinées, droguées, ou agressives. Cela s'arrête là.» Il rebondit: «De plus, lorsque des personnes continuent à accéder au club alors que l'on affirme que c'est plein, cela veut dire que ce sont des habitués qui sont de toute manière comptés d'avance dans la capacité d'accueil».
Le patron rappelle en outre que ses agents sont également présents pour protéger la clientèle: «Quand on ne laisse pas entrer quelqu'un, c'est aussi pour éviter que la personne puisse créer des problèmes à l'intérieur de la boite, et cela protège les autres clients. J'ajoute que nous prenons également nos responsabilités vis-à-vis des femmes avinées auxquelles on aurait refusé l'entrée en les raccompagnant à l'arrêt de bus le plus proche, lorsque celles-ci sont ivres.»
Mais alors, pourquoi ces accusations de discrimination raciale? Qu'en est-il des «toi, tu ne rentres pas, tu vas au Flon»? Choqué, le patron en perd ses mots: «C'est complètement faux! Jamais nous n'avons eu de comportement discriminant. On ne devrait pas avoir à se justifier!»
«On est en droit de se poser des questions»
«Racisme» avéré ou fêtards frustrés? Thierry Wegmüller, propriétaire du D! Club, ne constate pas de profilage racial dans son milieu. «Aujourd'hui, je pense que les gens aspirent à davantage de bienveillance. J'ai également contacté quelques collègues qui ont le même sentiment que moi.»
Mais au fait, que dit la loi à ce sujet? Une boite de nuit a-t-elle le droit de refuser qui bon lui semble, sur des critères qui lui appartiennent? Eh bien oui.
«Légalement, en tant qu’établissement privé, et non public, nous n’avons pas l’obligation de donner une explication, explique Thierry Wegmüller, également président des Rencontres La Belle Nuit qui ont lieu annuellement à Lausanne. L’association a créé une charte qui pose entre autres quelques principes de qualité d’accueil, mais qui ne donne pas d’indication sur les raisons acceptables de refuser une entrée.
«Il n’y a pas de règles d’entrée définies et partagées par tous les clubs, résume Thierry Wegmüller. C’est une question de capacité, de savoir si quelqu'un est très alcoolisé, si la personne est agressive.» Les habits ne sont pas un critère au D! Club, assure-t-il.
Et le quota femme-homme, alors? «Il est évidemment mieux d’avoir une répartition équilibrée, ceci également dans le but de mettre la clientèle féminine à l’aise, dans le cas où elle se retrouverait en boite avec 80% d’hommes. Mais ce n’est pas une règle stricte. Nous sommes surtout attentifs aux comportements à l’entrée et évidemment dans le club en soirée», soutient encore le patron du D!.
Mais au fait, que dit la loi à ce sujet? Une boite de nuit a-t-elle le droit de refuser qui bon lui semble, sur des critères qui lui appartiennent? Eh bien oui.
«Légalement, en tant qu’établissement privé, et non public, nous n’avons pas l’obligation de donner une explication, explique Thierry Wegmüller, également président des Rencontres La Belle Nuit qui ont lieu annuellement à Lausanne. L’association a créé une charte qui pose entre autres quelques principes de qualité d’accueil, mais qui ne donne pas d’indication sur les raisons acceptables de refuser une entrée.
«Il n’y a pas de règles d’entrée définies et partagées par tous les clubs, résume Thierry Wegmüller. C’est une question de capacité, de savoir si quelqu'un est très alcoolisé, si la personne est agressive.» Les habits ne sont pas un critère au D! Club, assure-t-il.
Et le quota femme-homme, alors? «Il est évidemment mieux d’avoir une répartition équilibrée, ceci également dans le but de mettre la clientèle féminine à l’aise, dans le cas où elle se retrouverait en boite avec 80% d’hommes. Mais ce n’est pas une règle stricte. Nous sommes surtout attentifs aux comportements à l’entrée et évidemment dans le club en soirée», soutient encore le patron du D!.
Du côté de l'Association des Afro-descendants de l'Université de Lausanne, son président, Jean-David Pantet Tshibamba, tempère. Ayant lui-même travaillé en tant que vigile dans ce milieu, il estime que le profilage racial à l'entrée des boites existe bel et bien, mais qu'il n'est pas généralisé.
«Il y a différents facteurs. Cela peut être explicite ou implicite. Cela peut venir d'une personne qui est nourrie par ses propres préjugés. Parfois, on peut aussi mal interpréter... Mais dès lors qu'il y a cinq personnes blanches qui entrent, puis cinq personnes noires qui se font refuser l'accès, on est en droit de se poser des questions assez légitimes.» Avant de préciser qu'il ne vise aucun club en particulier.
Pour lui, le problème est avant tout systémique. «Le métier du vigile en boite est fortement basé sur l'impression que le client lui procure. Les personnes noires vont plus facilement produire un effet négatif à cause de la structure raciste de la société.»
*Noms connus de la rédaction