Un collier pour 70 centimes, un câble de charge pour 1,20 franc ou un kit de bricolage pour 1 franc. Les boutiques en ligne chinoises comme Temu et Shein se sont répandues en Suisse grâce à leurs tarifs ultra-avantageux et à une certaine facilité de livraison. Car Temu n'utilise pas de gros paquets, mais des emballages en plastique qui franchissent sans problème la fente d'une boîte aux lettres. De ce fait, le flot d'envois de marchandises prend des proportions toujours plus importantes.
Jusqu'à 500'000 petits et très petits envois de ce type arriveraient chaque jour à l'aéroport de Zurich, rien qu'en provenance d'Asie. La majeure partie de ces envois serait constituée de marchandises provenant de boutiques chinoises à bas prix et pesant toutes moins de deux kilos.
Mais le nombre d'un demi-million parait tout de même énorme. Alors d'où provient-il? D'une source anonyme qui occupe un poste de direction à l'aéroport de Zurich et qui s'est confiée à Blick. Interrogé à ce sujet, Temu n'a pas souhaité s'exprimer.
«Je pense que dans de nombreux pays, 60 à 80% de tous les colis transfrontaliers proviennent de Shein et Temu», estime Ed Sander. Cet expert a mené plusieurs recherches sur Temu et consorts et passe régulièrement du temps dans l'Empire du Milieu. Le chiffre de 500'000 paquets par jour lui parait tout de même un peu trop élevé.
De plus en plus de produits arrivent en provenance d'Asie
En 2022, selon l'Office fédéral de la statistique, 25 tonnes de marchandises en provenance de Chine ont été importées chaque jour en Suisse par voie aérienne. Si l'on calcule un poids moyen de 200 grammes par envoi, cela représente 125'000 paquets par jour. Mais ce chiffre n'inclut que le fret qui arrive directement de Chine vers la Suisse par avion et non les produits chinois détournés vers d'autres pays avant d'arriver en Suisse par voies diverses. Les statistiques pour l'année 2023 ne sont, elles, pas encore disponible.
Selon le syndicat SSP Transport aérien, 50 à 100 tonnes de fret arrivent chaque jour à Zurich en provenance d'Asie, ce qui représente entre 250'000 et 500'000 envois de 200 grammes par jour. Pour rappel, Temu et consorts ont lancé leur offensive publicitaire en Suisse l'année dernière seulement. Leur poids a dû considérablement s'accroître au cours des douze derniers mois.
Il n'est donc pas étonnant de voir que la Poste suisse enregistre nettement plus d'envois de petites marchandises en provenance de l'étranger depuis le milieu de l'année 2023. «Diverses plates-formes chinoises comme Temu ou Shein ont notamment contribué à cette croissance», explique un porte-parole du géant jaune à Blick. Swiss Worldcargo – l'entreprise de fret de la compagnie aérienne Swiss – remarque également une demande croissante de livraisons de marchandises électroniques depuis l'Asie.
Comment Temu contourne la TVA
Les boutiques en ligne comme Temu envoient sciemment de nombreux petits paquets avec peu de contenu, ce qui leur permet d'éviter de payer les frais de douane suisses. Si la valeur d'un envoi est inférieure à 62 francs, la TVA due de 8,1% n'est pas appliquée. Le magazine des consommateurs de la SRF «Kassensturz« a d'ailleurs tenté l'expérience en commandant des marchandises chez Temu pour une valeur de 530 francs. Les produits ont été répartis en neuf paquets, la plupart avec une valeur de marchandise inférieure à 62 francs.
Bien que certains paquets dépassent de peu la valeur limite de 62 francs, les documents présentés à la douane indiquent généralement une valeur inférieure. Face à ce constat, Temu fait valoir ses arguments: comme les prix indiqués sur le site web incluent la TVA, celle-ci peut être déduite lors de la déclaration à la douane. Autrement dit: nous, consommateurs, payons la TVA à Temu... qui ne la reverse pas à la Confédération.
Comment les colis arrivent-ils en Suisse ?
On ne sait pas si Temu ou Shein livrent toujours leurs marchandises en Suisse par voie directe. Selon l'employé de l'aéroport de Zurich, il arrive souvent que les envois soient simplement répartis entre les compagnies aériennes aux taux d'occupation les plus faibles. Les paquets ne seraient donc pas livrés directement à leur destination, mais ils parcourraient l'ensemble du globe par les airs. «Il semble la marchandise soit transportée via les compagnies aériennes disponibles. C'est compréhensible, c'est mauvais pour l'environnement», explique-t-on au syndicat SSP.
En revanche, pour Ed Sander, l'expert qui a longuement étudié Temu, il semble peu probable que marchandises circulent dans le monde entier. «Temu rassemble les petits paquets dans de grandes caisses et les envoie ensuite par avion aux prestataires logistiques locaux», explique-t-il. En Suisse, il s'agit de la Poste et de DPD. Cette dernière n'a pas souhaité s'exprimer auprès de Blick.
Blick a tenté de retracer le parcours de certains colis via le suivi des envois. Mais Temu n'indique pas où le produit se trouve exactement. Il est simplement indiqué «départ» ou «colis arrivé à l'aéroport». Pour la plupart des envois examinés, le délai entre le départ et l'arrivée est de 24 à 36 heures. Dans un des cas testés, la durée totale de la livraison atteint même les 4 jours.
La présence des plateformes de vente chinoises à bas prix agace les détaillants locaux: l'association Swiss Retail Federation a déposé plainte contre Temu en mai. Fin juillet, la fédération Commerce Suisse a également déposé une plainte auprès du Secrétariat d'Etat à l'économie.