Success-story de Dadvan Yousuf
Ce réfugié devenu crypto-milliardaire est-il un arnaqueur?

Le plus jeune crypto-milliardaire de Suisse se retrouve aujourd'hui sous le feu des critiques. Il aurait bâti sa fortune sur du vent et menti aux médias. Pour en savoir plus, Blick s'est entretenu avec l'investisseur et donne la parole à un expert.
Publié: 24.03.2022 à 06:07 heures
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Dernière mise à jour: 24.03.2022 à 18:06 heures
Plusieurs reproches ont été formulés dans les médias à l'encontre du crypto-investisseur Dadvan Yousuf, 21 ans.
Photo: Pascal Scheiber
Kilian Marti

C’est l’histoire d’un self-made-man comme on n’en voit que dans les films: Dadvan Yousuf est arrivé en Suisse à l’âge de trois ans après avoir fui son pays. Aujourd’hui, le réfugié irakien de 21 ans est le plus jeune crypto-milliardaire de Suisse. Enfin, c’est ce que l’on croyait.

Si sa fulgurante ascension a fait les gros titres dans le monde entier, y compris dans Blick, l’histoire pourrait bien s'avérer être trop belle pour être vraie.

En effet, les déclarations contradictoires du jeune crypto-investisseur ont suscité le doute concernant son parcours digne d’Hollywood. Dadvan Yousuf n’a reconnu ses erreurs que lorsque les journalistes sont parvenus à prouver qu’il y avait anguille sous roche.

Alors, Dadvan Yousuf est-il un escroc ou un génie de la finance? Qu’est-ce qui est vrai, qu’est-ce qui est embelli, qu’est-ce qui a été inventé de toutes pièces? Blick a confronté le jeune homme afin d’en savoir plus.

Fausse déclaration sur son premier achat

La toute première ombre sur le tableau concerne son premier achat de bitcoins alors qu’il n’avait que onze ans. Cité dans le quotidien «Handelszeitung», Dadvan Yousuf explique qu’il a investi pour la première fois en bitcoin (BTC) sur le site Internet Mt. Gox. Alors qu'aucun achat via la plateforme n’était possible à cette période-là. Le jeune se justifie en expliquant qu'il avait en fait acheté le crypto-monnaie sur la plateforme Virwox et non sur Mt. Gox. Le journal aurait donc «déformé» ses propos. Mais en relisant ses citations avant publication (à sa demande), Dadvan Yousuf explique qu'il n'avait pas remarqué «l'erreur».

Cependant, il n’existe strictement aucun justificatif qui prouve que Yousuf aurait bien acheté des bitcoins le 14 novembre 2011 sur la plateforme Virwox – à un cours inférieur à 2 francs. Apparement, le jeune homme aurait égaré l’adresse de son portefeuille numérique. La seule transaction qu’il est en moyen de prouver date de fin 2012: il s’agit d’un achat de près de 1000 bitcoins dont la valeur s’élève désormais à environ 39,5 millions de francs.

Voici reçu fourni par Yousuf. Il aurait acheté près de 1000 bitcoins en 2012.
Photo: DR

Pour en avoir le cœur net, Blick a contacté Julian Liniger, expert en crypto-monnaie. Le jeune homme de 29 ans précise: «À partir d’avril 2011, on pouvait bien négocier des monnaies numériques comme le bitcoin sur Virwox». Selon lui, le cours d’achat de moins de 2 francs était tout à fait plausible à la mi-novembre 2011. Cependant, l’argument selon lequel Dadvan Yousuf aurait perdu les infos de son portefeuille ne le convainc pas. «En principe, chaque transaction peut être retracée jusqu’à son origine dans la base de données Bitcoin: la blockchain». Autrement dit, il devrait en principe pouvoir prouver cet investissement datant de 2011.

Des transactions suspectes

La deuxième accusation est plus grave. Le pan alémanique de la SSR a fait état des transactions suspectes de Yousuf. L’Irakien aurait transféré des crypto-monnaies à des comptes figurant sur listes noires. Ces derniers appartiendraient à des escrocs, seraient en liens avec la Russie et l’Ukraine ou lié au financement du terrorisme. Yousuf nie de but en blanc: «Je n’ai jamais transféré de l’argent à comptes inscrits dans des listes noires».

Est-il par ailleurs possible pour des personnes extérieures de démontrer qu’une transaction douteuse a bien été effectuée? Sur ce point, Julian Liniger est clair: «En analysant la blockchain, il est possible d’obtenir les données des comptes créditeurs et ce, même si celui qui effectue la transaction n’a jamais inscrit ces informations».

Aucun lien avec la Finma

Le crypto-investisseur qui avait créé sa propre Fondation afin de permettre «à tous d’apprendre de manière ludique comment investir dans les crypto-monnaies», a affirmé que cette dernière disposait d’une autorisation de l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (Finma). Contacté par Blick, son porte-parole, Tobias Lux, dément cette information: «La fondation mentionnée, tout comme la personne dont il est question, n’a pas d’autorisation».

Alors pourquoi le jeune homme affirme-t-il disposer du feu vert de la Finma? «Un cabinet d’avocats renommé m’a assuré, à moi ainsi qu’à la Fondation, que nous n’avions pas besoin d’autorisation de la Finma, mais simplement d’une affiliation à un organisme d’autorégulation (OAR)».

Le jeune homme ajoute qu’il n’a pas menti délibérément. Mais comme cela faisait déjà des mois qu’il se trouvait dans un processus d’adhésion à un OAR, il est parti du principe que cela conduisait directement à une autorisation de la Finma, ce qui n’est pas le cas.

Une enquête en cours

Selon divers médias, la Finma mènerait actuellement une enquête sur Dadvan Yousuf et sa Fondation. Cette dernière avait lancé sa propre crypto-monnaie, le token Dohrnii (DHN), monnaie vendue à plus de 800 investisseurs dans le cadre d’une vente anticipée, appelée Initial Coin Offering (ICO).

La Finma souhaite donc examiner si tout s’est déroulé correctement lors de l’événement. La question est de savoir si Dadvan Yousuf avait le droit de lancer la vente sa propre monnaie numérique avant son affiliation à un OAR.

De son côté, il explique qu’il s’agit là d’une «procédure standardisée». Il affirme que son avocat a veillé à ce que tout soit en ordre avant d’ajouter avoir eu la confirmation qu’il pouvait déjà mettre sa crypto-monnaie sur le marché avant même d’être affilié à un OAR.

L’expert dans le domaine, Julian Liniger précise: «Dans certaines circonstances, il est sans doute possible, même si c’est très inhabituel, de commencer une activité commerciale dans ces conditions. Mais cela doit être évalué au préalable par un OAR et discuté avec des avocats spécialisés».

Une situation encore floue

À l’heure actuelle, il n’existe que peu de preuves qui pourraient donner raison à un parti ou l’autre. Dans tous les cas, Dadvan Yousuf donne l'impression d’un jeune homme détenant un sacré esprit d’entreprise mais qui manque d’expérience et de connaissances en la matière. Pour l'instant, il n'est reconnu coupable de rien.

(Adaptation Valentina San Martin)


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