Dans le train à destination de Martigny (VS), on ne voit qu’elles. Cheveux roses, courts dessus, longs derrière, Tess Salvador, 16 ans, et sa cousine Madeline Crot, 15 ans, arborent chacune une coupe mulet. Les paupières serties de paillettes multicolores, boucles d’oreilles en strass, pantalons roses et T-shirts cousus avec l’inscription «Mullet Lover!», les adolescentes comptent bien taper dans l’œil du jury de la Swiss Mullet Cup – le championnat suisse de la coupe mulet, en bon français.
Une compétition qui se tient pour la première fois en Valais, terre historique de la nuque longue. Et quel meilleur écrin que celui de la Foire, cette grande kermesse festive et commerciale, pour accueillir les 146 participants et participantes âgés de 2 à 64 ans, venus principalement de Suisse, mais aussi de France, de Belgique et d’Irlande?
Le mulet, beauf ou branché?
Popularisée dans les années 1970 par les chanteurs Rod Stewart et David Bowie, reprise par les footballeurs, cette fantaisie (ou atrocité, c’est selon) capillaire semble traverser les années à coups de come-back alors qu’on la pensait enterrée à jamais. Longtemps moqué, puis revendiqué, symbole de la beaufitude autant que de la branchitude, le mulet ne cesse de faire des émules. C’est peut-être Tess qui résume le mieux la fascination exercée par cette coupe de cheveux: «C’est tellement moche que ça en devient joli.»
La jeune femme confie avoir dû lutter pour faire accepter son mulet à sa mère. «Mais bon, elle vote UDC, donc l’ouverture d’esprit, ce n’est pas trop ça», ironise l’ado en pouffant avec sa cousine, Madeline, avant de descendre du train.
Sur le quai à Martigny, il suffit de suivre le troupeau de mulets en transhumance pour rejoindre la Foire du Valais qui, pour sa 64e édition, a réuni 245'000 visiteurs. C’est à 10 heures que les choses sérieuses commencent avec la présélection des 23 demi-finalistes – sept seront repêchés par les membres du jury lors du défilé de l’après-midi.
Routiers et novices à la crinière soignée
Il y a les vieux routiers, comme Nicolas Vanderkelen, surnommé El Gueu, routier à la ville aussi et surtout champion intercontinental et européen de la coupe mulet. Boucles brunes qui lui tombent sur la nuque, lunettes Aviator sur le nez, gilet en jean posé sur un t-shirt blanc en hommage à Pablo Escobar – «on m’a dit que je lui ressemblais» –, le Belge âgé de 35 ans nous confie le secret de sa réussite. «Ma mère est la seule qui puisse coiffer et couper ma toison. Dix-sept ans que je porte un mulet!» Plus qu’un style, un mode de vie, selon lui. «On me reconnaît facilement avec ma coupe anticonformiste, elle fait partie de mon identité.»
Il y a aussi le chouchou des internautes, l’Irlandais Trevor Hyland, qui a remporté la compétition en ligne en récoltant plus de 5300 votes. Le vingtenaire, habitant à Viège (VS) depuis une année, n’a pas lésiné sur les moyens et a même invité son coiffeur irlandais à faire le voyage jusqu’à Martigny pour prendre soin de sa crinière rousse.
Et puis, il y a les novices, comme Ethan Bruttin, qui se sont mis sur leur 31. «Même sur mon 32 et 33», rectifie le jeune homme, qui fête ses 20 ans le jour même. Sur son dos, un veston confectionné par sa tante à partir d’un drapeau valaisan. Un look si chatoyant qu’il en viendrait presque à éclipser sa tignasse blonde aux tempes rasées. Marie-France, elle, s’est inscrite au concours pour fêter son passage à la retraite. «Je veux montrer qu’il est possible d’être moderne, féminine et chic avec cette coiffure», assure-t-elle.
Bernard Rappaz, le dieu de la coupe mulet
Mais la star, la vraie, l’unique, celle que tout le monde attend, c’est Bernard Rappaz. L’arrivée du chanvrier à la crinière argentée ne passe pas inaperçue. «Vous êtes mon idole!» lance un jeune adepte au dieu de la coupe mulet. Ce dernier ne peut faire un pas dans l’enceinte de la Foire sans être assailli de demandes de selfies. Une situation qui fait marrer le Valaisan, qui revient sur l’origine de son indémodable brushing: «Jeune, quand j’étais agriculteur à Saxon, j’avais souvent les mains dans la terre. Un coup de vent et j’avais les cheveux collés sur la figure. J’ai demandé à mon coiffeur de me faire une coupe pratique en raccourcissant le devant. Je n’ai su que vingt ans plus tard que ça s’appelait un mulet!»
Le célèbre chanvrier fait partie du jury, en compagnie notamment des deux Vincent les plus connus de Suisse romande – Kucholl et Veillon –, qui élira le plus beau mulet de Suisse. «C’était une façon pour les organisateurs de me mettre hors-jeu, sinon j’aurais gagné», plaisante Bernard Rappaz avant de gagner son siège.
Un défilé survolté et déjanté
A 14 heures, c’est dans une salle pleine à craquer que les participants entament le défilé. Headbanging, arrivée en skateboard, chorégraphies plus ou moins gracieuses (et plus ou moins avinées), douche à la bière, costumes aussi improbables que déjantés, les aspirants au titre ne reculent devant aucune facétie pour séduire les sept jurés. Charisme, qualité du crin, sens du spectacle sont autant de critères qui feront pencher la balance en faveur de l’un ou l’autre des compétiteurs.
Après délibération et dans une ambiance survoltée, le jeune Luca Chevalier, né en 2010, décroche la troisième place. Une récompense qu’il dédie à «[sa] mère qui [lui] a permis de faire cette coupe de cheveux». Et d’ajouter, avec l’assurance de ses 14 ans: «Si t’as un mulet, t’es stylé. Si t’es stylé, t’as un mulet!» Marjorie Kapelusz arrive en deuxième position grâce à une création capillaire aux mèches multicolores.
Et c’est un… Fribourgeois qui remporte le prix du plus beau mulet de Suisse en terre valaisanne. Une victoire qui lui ouvre les portes du championnat d’Europe programmé en France. En larmes sur scène, Killian Wicht, 18 ans, peine à s’exprimer. Devant les caméras de l’émission satirique française Quotidien – qui n’en perd pas une miette –, il parvient à retrouver son latin malgré son écharpe de vainqueur mise à l’envers. «Le mulet, c’est ce que je suis et ce que je deviens, déclare-t-il. Trois ans que je porte cette coupe et je peux vous dire qu’elles ont été les trois plus belles années de ma vie.»