Dimanche, l’UBS a racheté Credit Suisse pour trois milliards de francs. C’est la fin d’une institution phare de la place financière suisse. Le professeur de droit de l’université de Berne Peter V. Kunz revient sur cette annonce extraordinaire.
L’UBS sauve Credit Suisse: est-ce la meilleure des mauvaises solutions pour la Suisse?
L’UBS n’a pas sauvé Credit Suisse, pas plus que la Suisse. La déclaration de la conseillère fédérale Karin Keller-Sutter, qui a remercié l’UBS pour cela, est ridicule. Les dirigeants de l’UBS ont fait des calculs implacables. Ce n’est pas une banque de bienfaisance, mais une entreprise qui veut faire des bénéfices. C’est bien ainsi. Mais il faut aussi avoir l’honnêteté de l’admettre.
L’UBS est donc la grande gagnante?
L’UBS obtient pour un prix dérisoire une banque apparemment en parfait état de fonctionnement. C’est une excellente affaire. Elle pourra conserver les branches rentables de Credit Suisse et se débarrasser du reste. La direction d’UBS a certainement trinqué dimanche soir avec un verre de champagne après l’annonce de la transaction. Mais pour moi, il y a encore beaucoup de points d’interrogation.
Lesquels?
Le principe de base d’un rachat est clair pour moi. Mais la manière exacte dont cela doit se dérouler n’est pas claire du tout. Les conseillers fédéraux, le directeur de la BNS et les dirigeants des banques ont donné une très mauvaise image d’eux-mêmes lors de la conférence de presse de dimanche soir. Ils n’ont pas pu répondre aux questions centrales sur le prix ou sur les délais. Par exemple, personne ne savait à 21h dimanche soir si les actions de CS seraient encore négociées avant lundi matin. On peut donc se demander ce que faisaient exactement ces messieurs et ces dames ce week-end s’ils ne peuvent pas répondre à une question aussi simple.
Vous n’avez pas un bon pressentiment.
Non, mais comment le pourrais-je Manifestement, ils ne se sont pas penchés sur les questions importantes. Les Saoudiens ont investi plusieurs milliards dans Credit Suisse à l’automne 2022. La Saudi National Bank saoudienne détient depuis lors 9,9% et représente le plus grand actionnaire de CS. Cela lui a coûté quatre francs par action. Et maintenant, les Saoudiens sont de fait expropriés par l’État suisse, le Conseil fédéral décidant par droit d’urgence que les actionnaires ne recevront plus que 76 centimes par action. Pensez-vous que les Saoudiens se laisseront faire?
Ont-ils vraiment le choix?
C’est ce que nous verrons. Le fait que les actionnaires de CS ne soient même plus consultés quant à la transaction est une disposition qui n’entre pas dans le cadre légal. Le Conseil fédéral justifie cela par le droit d’urgence. Mais vendredi, on a encore dit au public que la banque avait des liquidités et qu’il n’y avait pas d’urgence. Les gros actionnaires pourraient épingler la Confédération à ce sujet. Des plaintes vont être déposées. Il est fort possible que les Saoudiens intentent une action directe contre la Confédération au sujet de CS.
Faut-il s’attendre aussi à des plaintes de petits actionnaires?
En Suisse, cela serait certes juridiquement possible, mais en pratique, c’est impensable. Il n’y a pas de plaintes collectives en Suisse. Les petits actionnaires du pays devront s’accommoder des pertes sur leurs actions CS, aussi injuste que cela puisse paraître. La situation est différente aux Etats-Unis, où CS est déjà confronté à des plaintes collectives de petits actionnaires.