Jamais les soins intensifs n'ont été aussi présents dans l'esprit des gens que pendant la pandémie de coronavirus. Le fait qu'ils attirent soudain autant l'attention réjouit Thierry Fumeaux, président de la Société suisse pour la médecine intensive. Mais il estime que Berne a commis de nombreuses fautes dans sa gestion de la pandémie. Elle s'est précipitée dedans sans y être préparée, critique-t-il auprès de la «NZZ».
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Pour quelle raison? «La Suisse avait certes un plan de pandémie - mais personne n'a pu en faire quelque chose dans cette situation d'urgence.» De son côté, la Société suisse de médecine intensive aurait réalisé dès janvier 2020 qu'un gros problème attendait les hôpitaux. Pourtant, il aurait fallu de nombreuses sollicitations avant que l'organe ne soit invité par l'Office fédéral de la santé publique (OFSP) à un premier entretien.
Crainte d'une pénurie de main-d'œuvre
Selon Thierry Fumeaux, la plupart des gens ne savent pas ni ce qui les attendrait aux soins intensifs, ni quelles responsabilités les médecins de ces unités doivent assumer: leur travail représente une charge psychologique élevée. «Le risque que quelqu'un ne quitte pas les soins intensifs vivant est relativement élevé», explique-t-il. Le taux de mortalité y est d'environ 5 à 10%.
Pendant la pandémie, le taux élevé d'occupation de ces unités est venu s'ajouter à cette problématique. Dans l'idéal, ce taux devrait être d'environ 75%, poursuit le médecin. En cas de grave accident de la route, par exemple, il peut facilement monter au-delà de ce seuil, mais il redescendra au bout de quelques jours. Or, si plus de 80% des lits sont occupés sur une longue période, la charge de travail du personnel augmente significativement. Et, avec elle, le taux de mortalité des patients.
Selon Thierry Fumeaux, fournir un plus grand nombre de lits aux soins intensifs ne sert à rien sans y allouer plus de professionnels. On peut certes déplacer temporairement du personnel travaillant en salle d'opération ou en anesthésie, mais pas plus de 24 mois. L'idée d'augmenter le nombre de lits aux soins intensifs est louable, souligne-t-il. Mais un lit avec un respirateur ne sert pas à grand-chose tant qu'il n'y a pas de médecin ni de personnel soignant, assène-t-il.
Beaucoup ont quitté leur job
De nombreux soignants des soins intensifs ont quitté leur emploi au cours des derniers mois, regrette Thierry Fumeaux. Il craint que la situation ne se détériore encore dans les années à venir. «En Suisse, nous formons fondamentalement trop peu de médecins», explique-t-il au journal zurichois. De plus, les étudiants hésitent à se lancer dans la médecine intensive à cause des horaires de nuit et du week-end: beaucoup de jeunes ne voudraient plus de ces horaires irréguliers. D'autant plus que la médecine intensive est moins lucrative que d'autres domaines.
Thierry Fumeaux est spécialiste en médecine interne et en médecine intensive. Jusqu'à l'année dernière, il dirigeait le service de médecine interne de l'hôpital de Nyon et était membre de la Task Force Covid de la Confédération. En 2021, il a rejoint une entreprise de biotechnologie bâloise.
(Adaptation par Lauriane Pipoz)