Lutte de pouvoir au sommet du WEF
Les coulisses de la chute brutale de Klaus Schwab, évincé de son propre empire

Klaus Schwab, fondateur du WEF, a brusquement démissionné… avant d’être interdit d’accès à son propre Forum. Qu'est-ce que cache tout cela: enrichissement personnel, abus de pouvoir ou tentative de le faire tomber? Blick révèle les coulisses
Publié: 08:40 heures
|
Dernière mise à jour: 08:44 heures
Klaus Schwab, fondateur du WEF, se bat pour l'œuvre de sa vie.
Photo: keystone-sda.ch
RMS_Portrait_AUTOR_928.JPG
Christian Kolbe

Depuis le 20 avril, dimanche de Pâques, Klaus Schwab est interdit d'accès au siège du World Economic Forum (WEF) à Cologny (GE), l’institution qu’il a fondée et dirigée durant des décennies. Un lieu qu’il connaît par cœur, situé à deux pas de son domicile, où il a longtemps occupé son bureau, contemplant le Léman en méditant sur les moyens d’améliorer l’état du monde.

Et soudain, il ne s’agit plus de l’état du monde, mais de celui du WEF. Sur les rives du Léman, une lutte de pouvoir s’est engagée autour de l’avenir de l’organisation. Klaus Schwab supporte l’incertitude. Mais être privé d’accès aux ressources du Forum, coupé de ses plus proches collaborateurs, est pour lui un choc. Il serait aujourd’hui profondément déçu et désespéré, dit-on dans son entourage proche.

En désespoir de cause, le fondateur du WEF a publié une longue déclaration. Il y dénonce une campagne de «diffamation» et un véritable musellement, puisqu’il lui est désormais interdit d’évoquer les accusations portées à son encontre.

Lutte pour l'œuvre d'une vie

La déclaration que Blick s’est procurée marque le point d’orgue d’une semaine où s’est cristallisée une lutte de pouvoir féroce autour de la succession de Klaus Schwab et de l’avenir du WEF. Pour son fondateur, une chose est claire: «L’œuvre de ma vie – et celle de ma femme Hilde – est en train d’être détruite.»

Et pourtant, il n’aurait pas été nécessaire de l’évincer. Klaus Schwab avait lui-même évoqué son retrait peu après avoir fêté ses 87 ans, le 30 mars dernier: «Dès que la débâcle des tarifs et de l’inflation se sera calmée, je démissionnerai.»

Accusé de discrimination

Seulement, il pourrait s’écouler un certain temps avant que le président américain Donald Trump ne revienne à la raison. Et malgré son annonce, Klaus Schwab aurait sans doute prolongé son mandat plus longtemps que certains ne l’auraient souhaité.

Aux yeux de Klaus Schwab, tout a commencé avec un article publié par le Wall Street Journal en juin 2024. Le WEF et son fondateur y étaient notamment accusés de discrimination. Des accusations qui, malgré des mois d’enquête, n'ont pas été confirmées. A l’époque, l’organisation faisait encore bloc derrière celui qui l’avait fondée.

Des fête de Pâques dramatiques

En cette semaine sainte de 2025, le soutien au fondateur du WEF s’est effondré. Le mercredi précédant Pâques, un courriel anonyme adressé à la hotline interne des lanceurs d’alerte dénonce de nouvelles accusations graves à l’encontre de Klaus Schwab.

Il est question d’inconduite financière et d’autres comportements inappropriés comme l'a révélé le «Wall Street journal» le mardi soir après Pâques. L'article évoque notamment des voyages privés et des massages en chambre d’hôtel, qui auraient été facturés au Forum.

Tout le gratin au courant

Cela jette une lumière nouvelle sur la démission précipitée de Klaus Schwab de la présidence du conseil de fondation, annoncée le lundi de Pâques. Sur le moment, son retrait avait semblé volontaire, motivé par son rejet affiché de figures idéologiques comme Javier Milei ou Donald Trump. Mais les révélations qui ont suivi donnent à ce départ une tout autre portée.

Le mail anonyme atterrit directement chez Thomas Buberl, CEO du groupe d’assurance Axa et responsable des questions de risques au sein du conseil de fondation du WEF. Des conseillers juridiques externes sont rapidement consultés, et les 26 autres membres du conseil sont informés.

Parmi eux figurent des personnalités de premier plan: Peter Brabeck-Letmathe, ancien président et CEO de Nestlé, en tant que vice-président, mais aussi l’ancien vice-président américain Al Gore, le patron de BlackRock Larry Fink, la présidente de la BCE Christine Lagarde ou encore la reine Rania de Jordanie.

Que faire de Klaus Schwab?


Ce qui blesse le plus Klaus Schwab, encore président du conseil de fondation à ce moment-là, c’est qu’on ne lui accorde même pas la possibilité de se défendre. Devant le conseil, il est immédiatement placé sur le banc des accusés, sans avoir voix au chapitre.

Peter Brabeck-Letmathe réagit sans tarder. Il convoque en urgence une réunion en ligne du conseil de fondation pour le dimanche soir de Pâques à 20h. Un seul point figure à l’ordre du jour: que faire de Klaus Schwab?

Mais la décision semble déjà actée en coulisses. Selon Klaus Schwab, un membre de la direction du WEF l’aurait incité à démissionner dès le samedi après-midi, «pour éviter de nuire à la réputation du Forum», indique son communiqué. Le fondateur accepte, contraint et résigné, car la source anonyme aurait menacé de rendre publiques les accusations le mercredi suivant si sa démission n’était pas effective d’ici là.

Mais lorsque le «Wall Street Journal» publie finalement ces accusations le mercredi en question, Klaus Schwab sort de son silence. Il commence alors à livrer publiquement la bataille de sa vie, avec pour toile de fond l’avenir de son œuvre. Frustration, douleur, désespoir: chaque ligne de sa longue déclaration en porte la trace.

La défense de Klaus Schwab

Dans sa déclaration, Klaus Schwab commence par rappeler les sacrifices personnels consentis pour faire naître et grandir le WEF. Il évoque les moyens financiers investis, le travail bénévole de son épouse Hilde depuis 1973, et le fait qu’il ait renoncé à un important paquet de bonus contractuellement prévu après sa retraite de professeur à l’Université de Genève.»Compte tenu du renchérissement, j'ai renoncé à environ huit millions de francs», écrit-il.

Dès lors, les accusations d’«utilisation abusive des fonds du WEF par Klaus et Hilde Schwab» lui paraissent d’autant plus absurdes. Il affirme qu’il n’existe «aucune base de preuve».

Klaus Schwab rejette également fermement les accusations concernant des voyages privés ou d’autres dépenses personnelles à la charge du Forum: «En tant que dirigeant d’une organisation active à l’international, j’ai bénéficié du soutien habituel en matière de transport, de déplacements, de communication et de sécurité. Si ces prestations ont, à un moment ou à un autre, été utilisées à des fins privées, elles ont été intégralement remboursées au Forum.»

«Mensonge flagrant»

Klaus Schwab insiste également sur un point: en tant que président du WEF, il a toujours déterminé lui-même ses plans de voyage dans l’intérêt de l’organisation. Il précise que cela vaut aussi pour les déplacements de son épouse Hilde dans le cadre de ses activités au WEF.

Mais une accusation semble l’avoir le plus profondément agacé: «C’est un mensonge pur et simple que d’avoir demandé à de jeunes employés de retirer des milliers de dollars pour moi aux distributeurs automatiques», écrit-il. Il affirme en outre que ni lui ni sa femme n’ont utilisé la Villa Mundi, propriété du Forum, à des fins personnelles ou étrangères à l’intérêt du WEF.

En revanche, Klaus Schwab garde un silence total sur une autre accusation mentionnée par le «Wall Street Journal»: celle de massages dans des chambres d’hôtel facturés au Forum. Sur ce point, sa déclaration de 11'000 caractères ne contient pas un mot.

La réputation de beaucoup est en jeu

Cette déclaration marque la première ligne de défense de Klaus Schwab dans la bataille pour préserver l’œuvre de toute sa vie: le World Economic Forum. La seconde passe désormais par la justice. Ce que le «Wall Street Journal» laissait déjà entendre, Klaus Schwab l’a concrétisé: il rejette catégoriquement toutes les accusations d’abus financiers. Lui et son épouse Hilde ont déposé une plainte contre X pour diffamation.

Mais ce bras de fer est loin d’être terminé. Car au-delà de la réputation du couple Schwab, c’est aussi celle du conseil de fondation du WEF qui est en jeu. Un conseil composé de figures de premier plan, qui devra répondre à une question délicate: pourquoi avoir lâché son président avec une telle brutalité?


Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la