Sa conclusion vous surprendra
Ce journaliste suisse a enquêté sur un mafieux italien installé en Valais

Le journaliste suisse Frank Garbely a écrit un ouvrage sur les activités en Valais de la 'Ndrangheta, une organisation mafieuse du sud de l'Italie, ainsi que sur un prétendu parrain de la mafia qui avait élu domicile à Brig. Il nous livre les secrets de son enquête.
Publié: 14.04.2025 à 06:35 heures
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Dernière mise à jour: 14.04.2025 à 06:52 heures
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Le journaliste suisse Frank Garbely a écrit de nombreux articles et ouvrages consacrés aux affaires de criminalité organisée.
Dimitri Faravel
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Dimitri Faravel et Peter Johannes Meier

Dans son livre «Der Mafiaboss von Brig» («Le parrain de la mafia de Brig»), sorti en 2024, le journaliste d’investigation Frank Garbely mène une enquête approfondie sur l’implantation de la mafia en Suisse, notamment dans le Haut-Valais. Il y parle de la ’Ndrangheta, célèbre organisation mafieuse originaire du sud de l’Italie, ainsi que d'un prétendu parrain installé à Brig. Interview.

Frank Garbely, comment cette enquête a-t-elle commencé?
En 2006, il s'est passé quelque chose de retentissant: la police valaisanne a arrêté un certain Fortunato Maesano, alors âgé de 53 ans, à Brig. Il était accusé d'avoir commis deux meurtres par vengeance et de faire du commerce d'armes. On s'est alors rendu compte que cet Italien marié à une Suissesse avait été un personnage clé de la 'Ndrangheta. Un parrain de la mafia à ma porte? J'ai bien sûr immédiatement commencé à faire des recherches. Cela faisait des décennies que je m'intéressais au crime organisé. Je voulais regarder de près cette affaire, discuter avec les auteurs et les victimes. A Brig, j'ai par exemple rencontré l'épouse désespérée de Fortunato Maesano, ainsi que ses enfants. Puis, j'ai rendu visite à sa famille en Calabre. Plus tard, j'ai même fait sa connaissance en Italie. Il était alors assigné à résidence après sa peine de prison.

Comment s'est déroulé cette partie de votre enquête en Italie?
Ce voyage en Calabre m'a bouleversé. Les habitants de cette région, située à la pointe de la botte italienne, souffraient d'affrontements brutaux entre clans mafieux ennemis. Au cours des six années précédentes, ceux-ci avaient commis 19 meurtres par vengeance. La sœur de Fortunato Maesano vit encore aujourd'hui avec une balle dans la tête qui n'a pas pu être retirée. La 'Ndrangheta s'est étendue pendant des décennies du sud de l'Italie vers le nord. Aujourd'hui, elle contrôle une grande partie du trafic de cocaïne en Europe. C'est là que le Valais entre en jeu: le canton a joué un rôle très particulier dans cette histoire en raison de sa proximité avec la ville frontalière de Domodossola. Au début des années 1990, la 'Ndrangheta y a infiltré plusieurs administrations communales.

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La 'Ndrangheta s'est étendue pendant des décennies du sud de l'Italie vers le nord. Aujourd'hui, elle contrôle une grande partie du trafic de cocaïne en Europe
Frank Garbely, journaliste d'investigation
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Et ce parrain de Brig? Quel rôle a-t-il tenu dans cette histoire?
Plus je m'intéressais à Fortunato Maesano, plus je me rendais compte qu'il ne pouvait pas être cet influent parrain de la mafia qu'on me présentait: c'est un homme simple qui est arrivé en Valais il y a plus de 50 ans, a épousé une Suissesse et a travaillé comme peintre en bâtiment. Il ne savait même pas écrire, il ne l'a appris qu'en prison. S'il s'agissait d'un véritable mafieux, il aurait tout fait pour devenir citoyen suisse et ainsi empêcher son extradition. Mais il n'en voyait pas l'utilité et ne se doutait pas de ce qui l'attendait. En réalité, il a la malchance d'être né dans une famille impliquée dans la 'Ndrangheta.

Pourtant il a été condamné.
Certes, mais quand on épluche son dossier, on ne trouve aucune preuve des meurtres et du trafic d'armes qui lui sont reprochés. D'ailleurs, les accusations qui ont motivé son extradition se sont quelque peu effritées devant le tribunal. Celles pour meurtre ont été même abandonnées car il a été prouvé que Fortunato Maesano était en Valais au moment des faits. Il travaillait alors à la rénovation d'un chalet. Malgré cela, il a passé huit ans dans les prisons italiennes. Aujourd'hui, il est libre, mais physiquement et psychiquement, c'est un homme brisé.

Est-ce qu'il prévoit de revenir vivre en Suisse?
Impossible. Bien que les autorités italiennes ne le considèrent plus comme un individu dangereux, la Suisse lui interdit toujours de rentrer en Valais. Durant cette enquête, j'ai été bouleversé de voir comment la vie de nombreuses personnes innocentes ont été ainsi détruites. D'autant plus que les véritables agissements de la 'Ndrangheta sont à peine mis en lumière en Suisse. Les cas de blanchiment d'argent en particulier ne manquent pas. Cette mafia a toujours besoin de partenaires compétents en Suisse, mais pas d'un peintre en bâtiment à qui on n'a jamais appris à écrire. Connaissez-vous en revanche un fiduciaire, un avocat ou un banquier qui ait été sanctionné pour ses liens avec la 'Ndrangheta? Pas moi.

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