Sur un banc, une larme coule sur la joue puis sur le voile de Saadia. Pour sa rencontre avec Blick ce mardi après-midi, cette maman d'une trentaine d'années souhaite rester anonyme. Elle veut tout de même raconter l'agression que lui a fait subir une voisine quelques jours plus tôt, à la porte du local poubelle de son immeuble à Lausanne, devant son fils de 6 ans.
Elle veut s'exprimer pour «que les gens sachent qu'en tant que femme musulmane, on peut se faire agresser sans raison». Même en Suisse, même à Lausanne, même quelques jours avant le début de la semaine d'action contre le racisme – qui dure du 17 au 23 mars dans la capitale vaudoise – et peu après la publication d'une étude sur le racisme anti-musulman (voir encadré ci-dessous). Son témoignage vient d'être partagé, ce vendredi 14 mars sur Instagram, par l'association Femmes musulmanes Lausanne.
Depuis peu, Saadia vit dans l'ouest de Lausanne avec son garçon. Celui-ci l'accompagne, ce lundi 10 mars entre 20h et 21h, lorsqu'elle descend un meuble dans le local poubelle. La maman, qui vit en Suisse depuis plusieurs années, se souvient de chaque seconde de cette altercation qui les a tous les deux «traumatisés».
Elle lui enlève le voile et lui tire les cheveux
«Je portais le cadre de l'armoire et j'attendais devant la porte des poubelles. Une femme est arrivée de l’extérieur et s'est mise à crier fort: 'On est en Suisse, on ne jette pas ça dans la rue!'». Saadia l'explique à cette dame d'une cinquantaine d'années: elle ne compte rien jeter, elle attend une amie qui doit venir l'aider.
Visiblement occupante de l'immeuble, cette femme aux cheveux châtains n'écoute pas ces justifications et rentre dans le bâtiment. Avant de revenir à la charge depuis l'intérieur du bâtiment.
«J'étais devant la porte des poubelles et elle l'a poussée très fort contre moi alors que je portais l'armoire, se rappelle la Lausannoise. Elle m'a enlevé le foulard et m'a tiré les cheveux plusieurs fois, très fort. Elle m'a dit: 'Je veux voir tes cheveux!' Et puis elle m'a serrée au niveau du cou avec sa main en me disant: 'Sale race! Tu fais quoi ici? Dégage, ici c'est chez moi! Retournez chez vous!'»
Le cœur de son fils bat «trop vite»
Une semaine plus tard, Saadia a «encore mal au poignet de la main gauche». Elle se rappelle avoir vu son fils s'agiter près de la route et des voitures, sans pouvoir rien faire. «Elle me tenait par les cheveux. J'étais choquée. Je n'ai pas pu bouger et courir derrière mon fils, qui criait.»
Un peu plus grande que sa victime, la voisine finit par la lâcher, prendre l'ascenseur et remonter chez elle. Saadia peut enfin rattraper son enfant et le rassurer. «Maman, on appelle la police, on appelle la police!», répète le garçon à sa mère. «J'ai touché son cœur, il battait trop vite.»
Le témoignage de Saadia, sur les réseaux sociaux, a retenu l'attention du conseiller communal lausannois Mountazar Jaffar (PS). A la suite de la récente étude du Centre suisse islam et société (CSIS), le socialiste a déposé ce mardi 18 mars une interpellation intitulée «Lutte contre le racisme antimusulman à Lausanne», en compagnie de sa camarade Audrey Petoud. Leur texte s'appuie sur la statistique de 35% de musulmans de Suisse qui déclarent avoir vécu des discriminations liées à leur religion.
Le politicien dénonce une discrimination à l'emploi «systémique», un taux de chômage plus 2,4 fois plus élevé que la moyenne et que «les femmes portant le voile sont particulièrement ciblées et subissent des obstacles supplémentaires dans l'accès à la formation et à l'emploi». Il demande à la Ville de réagir à cette étude et interroge les autorités sur les mesures mises en place pour lutter contre cette discrimination en particulier.
Le témoignage de Saadia, sur les réseaux sociaux, a retenu l'attention du conseiller communal lausannois Mountazar Jaffar (PS). A la suite de la récente étude du Centre suisse islam et société (CSIS), le socialiste a déposé ce mardi 18 mars une interpellation intitulée «Lutte contre le racisme antimusulman à Lausanne», en compagnie de sa camarade Audrey Petoud. Leur texte s'appuie sur la statistique de 35% de musulmans de Suisse qui déclarent avoir vécu des discriminations liées à leur religion.
Le politicien dénonce une discrimination à l'emploi «systémique», un taux de chômage plus 2,4 fois plus élevé que la moyenne et que «les femmes portant le voile sont particulièrement ciblées et subissent des obstacles supplémentaires dans l'accès à la formation et à l'emploi». Il demande à la Ville de réagir à cette étude et interroge les autorités sur les mesures mises en place pour lutter contre cette discrimination en particulier.
Une fois dans son appartement, Saadia contacte les forces de l'ordre, qui se déplacent pour lui poser des questions. «Je leur ai expliqué ce qui s'était passé et ils ont aussi parlé avec mon fils. Mais je n'ai pas déposé plainte à ce moment-là, car je ne savais pas son nom.»
Depuis, Saadia a pu identifier son agresseuse grâce à des voisins – dont certains auraient «aussi eu des problèmes avec elle», et reçu notamment des «insultes racistes». Une autre voisine lui a aussi dit qu'elle avait été témoin de toute son altercation qu'elle jugeait «inacceptable».
Pire qu'une agression physique
Du haut de ses 6 ans, son enfant est retourné à l'école dès le lendemain mais «il ne va pas bien». Saadia détaille: «Hier, sa maîtresse m'a appelée pour prendre rendez-vous. Elle m'a dit que son comportement a changé et je lui ai expliqué la situation.» Son petit raconte à tout-va «qu'une dame méchante a tapé sa maman» et qu'il veut déménager.
«Jusqu'à maintenant, mon fils n'arrive pas à dormir, ou très mal, sanglote la jeune maman. On a peur de la recroiser et il me demande même de changer d'appartement.» Mais Saadia, qui «n'accepte pas d'être traitée ainsi», compte bien continuer à porter plainte. «Ce qu'a fait cette dame, c'est pire qu'une agression. Son problème, c'est que je porte le voile.»
Soutenue par des institutions
Saadia a également dénoncé le cas à sa régie. Pour ses démarches administratives et juridiques, elle peut compter sur le soutien de la juriste et militante antiraciste Meriam Mastour. Et sur sa fondation DIAC (De l'individuel au collectif) – financée par la Confédération – qui met en place une ligne d'écoute pour dénoncer et comptabiliser les cas d'islamophobie en Suisse.
«Les femmes musulmanes et leur voile sont vus comme des objets, aussi bien de fantasmes que de tensions, analyse Meriam Mastour à propos du cas de Saadia. Il y a ce rêve de dévoiler, pour asseoir son pouvoir sur l'autre.» Selon la juriste, l'ambiance actuelle est difficile pour les personnes musulmanes, en particulier pour les femmes voilées. «Depuis dix ans, il y a eu plusieurs votations discriminatoires et les médias mettent le paquet, analyse la militante. Sur le terrain, cela légitime un certain nombre de personnes à s'en prendre verbalement ou physiquement à des musulmans en raison de leur religion.»
Saadia a aussi contacté le Bureau lausannois pour les immigrés (BLI), chargé de l'organisation de la semaine d'actions contre la permanence pour la Ville et qui propose également une permanence téléphonique pour dénoncer les cas de racisme sur le territoire de la capitale vaudoise. De quoi aboutir à une condamnation en justice? «C'est très rare que ces démarches aillent jusqu'au bout, analyse Meriam Mastour. Les personnes musulmanes sont parfois méfiantes vis-à-vis des services de l'Etat, par peur de ne pas être écoutées, voire d'être fichées. Mais il faut du courage pour témoigner et faire changer les choses, et Saadia a su demander de l'aide au bon endroit.»