Le calvaire de Gary
«J’ai payé 215’000 euros pour un pénis raté»

Une verge trop petite, trop fine et pas fonctionnelle, cinq ans d’attente, 215’000 euros envolés. Gary Poppelreiter a vécu un calvaire après sa première phalloplastie. Son témoignage courageux met en lumière les failles de la chirurgie transgenre en Suisse.
Publié: 22.03.2025 à 09:13 heures
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Dernière mise à jour: 22.03.2025 à 09:14 heures
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Gary Poppelreiter a vécu un calvaire après une première phalloplastie qu’il juge ratée. Le trentenaire a dû aller se faire opérer en Serbie pour obtenir un résultat satisfaisant. Au total, il a déboursé 215’000 euros pour son pénis.
Photo: Julie de Tribolet
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Alessia BarbezatJournaliste Blick

Gary Poppelreiter a roulé toute la nuit depuis le Luxembourg. Son histoire de pénis raté, il a décidé de la rendre publique. Courageusement, à visage découvert, face caméra. Installé sur un tabouret dans les studios de notre rédaction à Lausanne, polo beige, qui laisse découvrir ses bras musclés et tatoués, le trentenaire raconte son parcours de transition. Une transition qui a duré 18 ans. 

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S’il est né dans un corps de femme, Gary s’est «toujours senti garçon». «À la maternelle, je me dessinais avec des pantalons et un pénis.» En 2010, il entame un traitement hormonal. «Mon père m’a jeté hors de la maison. J’ai dû arrêter mes études, trouver des petits boulots pour survivre et financer les opérations de réassignation sexuelle de femme à homme», confie-t-il. 

D’abord, une ablation chirurgicale des seins en 2012, suivie de celle de l’utérus en 2014. Sa phalloplastie – une opération qui consiste à créer un pénis au patient à partir de peau prélevée sur une autre zone du corps comme le dos, la cuisse ou encore le bras – il en rêvait depuis des années. L’aboutissement de sa transition. «Cela représentait le bout du chemin, la fin des souffrances. Le début de la vie, tout simplement», dit-il avant de lâcher: «Si je n’avais pas pu faire une phalloplastie, je me serais suicidé.»

Phalloplastie à 52’000 euros

Grandi en France, Gary part s'installer au Luxembourg pour son travail et pour être remboursé par la caisse nationale du Luxembourg (CNS), son intervention à 52’000 euros doit être réalisée dans un pays limitrophe. Gary se fait donc opérer à l’étranger par un chirurgien, qui manie le scalpel aussi en Suisse. «Je m’étais consciencieusement documenté sur le sujet et j’ai pu constater que ce médecin était extrêmement bien référencé dans les annuaires transfriendly. J’y suis allé les yeux fermés», relate l’homme de 34 ans.

Lors du premier entretien, le spécialiste lui promet un pénis d’au moins 12 cm de longueur. Un membre fonctionnel, permettant d’uriner debout et d’avoir des relations sexuelles grâce à la pose d’une prothèse érectile.

Or, l’opération ne se déroule pas du tout comme prévu. Au réveil, Gary Poppelreitrer ressent une «immense douleur» dans la jambe. Un syndrome des Loges est apparu dans son membre inférieur droit – une augmentation de la pression à l’intérieur d’un compartiment musculaire fermé nécessitant une intervention chirurgicale d’urgence. «Durant l’intervention, ils m’ont mis en position gynécologique, c’est-à-dire que des supports ont été placés sous mes genoux pour maintenir mes jambes en l’air. Le sang n’a plus circulé dans la jambe droite. Au total, l’intervention a duré 14 heures…»

Il faudra six opérations chirurgicales supplémentaires pour faire dégonfler sa jambe qui a atteint 58 cm de circonférence. Gary est hospitalisé durant un mois – la durée moyenne d’une hospitalisation pour une phalloplastie est de 13 jours, selon les chiffres de l’Office fédéral de la statistique (OFS).

Le début du cauchemar

Et c’est le début du cauchemar. «J’ai passé six mois dans un fauteuil, la jambe en l’air. Je ne pouvais plus marcher.» Le prélèvement de peau au niveau du poignet a laissé une cicatrice «immonde» selon Gary. «Mais ce n’est pas le pire, il m’a fallu plus de 200 heures de kiné pour pouvoir récupérer la mobilité de mon poignet», déplore-t-il.



Quant à son pénis? Des fistules et des sténoses urétrales, des complications courantes pour une intervention aussi complexe. Et en ce qui concernant la forme et l’usage, Gary est catégorique: «Un ratage complet, presque un micropénis. Seulement 8 cm de longueur, trop fin. Aucune sensation.» Impossible selon lui de poser une prothèse érectile: «Tous les spécialistes que j’ai consulté ont été clairs. La plus petite prothèse disponible sur le marché mesure 9 cm. Donc avec un membre de 8 cm, la prothèse aurait déchiré mon gland.»

Gary perd son emploi. Les factures s’accumulent, l’argent commence à manquer et sa compagne le quitte. «Quand je suis rentré de la clinique dans cet état-là, avec un pénis raté qui ressemblait à celui de son fils de cinq ans, elle est partie avec les enfants. Je peux vous dire que psychologiquement, j’étais au fond du trou», relate le trentenaire, visiblement encore ému.

«
Notre client rejette catégoriquement toutes accusations formulées par le patient. L’opération mentionnée ainsi que les soins pré et postopératoires ont été réalisés dans les règles de l’art
L'avocat du chirurgien
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Il tente d’appeler à plusieurs reprises le chirurgien pour finalement obtenir un rendez-vous par écran interposé… deux ans après l’intervention. «Il n’a reconnu aucune de ses erreurs.» Dans un courriel que nous avons pu consulter, le médiateur de santé du Luxembourg informe Gary que le spécialiste lui propose 10’000 euros pour solder le litige. Selon le libellé de ce courriel, il s’agirait toutefois d’«un geste sans reconnaissance de faute, ni intervention de l’assureur».

Blick a souhaité s’entretenir avec le chirurgien. C’est son avocat qui répond: «Notre client rejette catégoriquement toutes accusations formulées par le patient Poppelreiter. L’opération mentionnée ainsi que les soins pré et postopératoires ont été réalisés lege artis, dans les règles de l’art.»

Phalloplasties ratées en Suisse aussi

Or, deux autres cas de phalloplasties aux résultats jugés peu satisfaisants, réalisées en Suisse par ce même chirurgien, ont été signalés à ÉPICÈNE, une association basée à Genève, qui défend les droits des personnes transgenres. L’un d'eux a du être hospitalisé d’urgence aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) pour de graves problèmes urinaires.

Par courrier, l’association a interpellé le médecin cantonal vaudois, le Dr. Karim Boubaker, le 8 mai 2023. Dans cette lettre – que Blick a pu consulter – l’association s’inquiète de l’âge du spécialiste – 79 ans – et s’étonne de voir que ce dernier bénéficie d’une autorisation de pratiquer dans le canton de Vaud selon le registre officiel MedReg. Une autorisation qui lui a été délivrée jusqu’en 2024. Le chirurgien avait alors 80 ans.

En Suisse, l’âge légal de la retraite est fixé à 65 ans. N’existe-t-il pas une limite d’âge pour pratiquer la chirurgie? Cette question, nous l’avons posée au médecin cantonal. C’est une porte-parole du Département de la santé et de l’action sociale (DSAS) qui nous a répondu. «La loi sur la santé publique ne fixe pas de limite d’âge pour pratiquer la médecine dans le canton de Vaud. Le médecin cantonal reçoit personnellement tous les professionnels de la santé de plus de 78 ans qui pratiquent encore dans le canton afin d’évaluer leur situation», nous informe-t-on par écrit.

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La situation actuelle est dramatique. À tel point qu’on déconseille aux personnes qui nous sollicitent de se faire opérer en Suisse
Lynn Bertholet, présidente de l'association ÉPICÈNE
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La communicante nous assure que le chirurgien en question a bien été reçu par le médecin cantonal à la suite de l’interpellation d’ÉPICÈNE en 2023. Le spécialiste aurait assuré qu’il n’exerçait plus dans le canton de Vaud. Selon nos informations, il opérait encore en 2018 dans une clinique privée vaudoise. Sollicitée, l’institution n’a pas souhaité commenter. Sur son site internet, le chirurgien indique avoir opéré en Suisse alémanique, de 2019 à 2024. Jusqu’à ses 80 ans. 

Les lacunes de la chirurgie transgenre en Suisse

En Suisse, en 2022, 486 personnes ont été hospitalisées pour effectuer une ou plusieurs opérations d’affirmation de genre, dont 42 pour une phalloplastie. Ces chiffres ne recensent pas les complications postopératoires et n’indiquent pas les reprises chirurgicales.

«Des cas comme celui de Gary Poppelreiter, on nous en signale cinq à six par année», assure Lynn Bertholet, la présidente d’ÉPICÈNE. D’après elle, il existe de véritables lacunes en matière de chirurgie transgenre en Suisse. Un «problème d’ordre systémique» mis en lumière, dès 2015 déjà, par le rapport du Dr. Monstrey, chirurgien belge, star de la médecine transgenre et ancien président de la World Professionnal Association for Transgender Health.

Photo: Magali Girardin

Mandaté par le Tribunal cantonal de Lausanne, ce rapport démontrait que les médecins réalisant des interventions d’affirmation de genre en Suisse ne pratiquaient pas assez et n’atteignaient pas la qualité des chirurgies effectuées à l’étranger. «Rien n’a bougé depuis, déplore l’ancienne candidate au Conseil national (Les Vert-e-s). À l’époque, les interventions étaient réparties dans trois hôpitaux, aujourd’hui, elles le sont dans cinq. C’est trop peu pour que les chirurgiens puissent acquérir de l’expérience». Lynn Bertholet relève aussi l’absence de formation obligatoire et de personnel infirmier spécialisé pour le suivi postopératoire.

Elle milite depuis des années pour la création d’un centre national de compétences pour la prise en charge des personnes transgenres, reconnu comme centre de médecine hautement spécialisée. Un telle structure permettrait de regrouper les patients, mais aussi les chirurgiens, endocrinologues et de disposer de personnel soignant spécifiquement formé. Le projet est sur la table du conseiller d’Etat genevois Pierre Maudet et de la ministre vaudoise de la Santé Rebecca Ruiz.

«La situation actuelle est dramatique, déplore Lynn Bertholet. À tel point qu’on déconseille aux personnes qui nous sollicitent de se faire opérer en Suisse. Si elles souhaitent le faire à l’étranger, il faut compter entre 25’000 à 100’000 francs. C’est très difficile de se faire rembourser, mais les résultats sont nettement meilleurs».

Gary Poppelreiter, lui, est parti en Serbie pour une deuxième phalloplastie. Il aura attendu cinq ans pour obtenir un résultat satisfaisant et déboursé 215’000 euros. «Si c’était à refaire, je le referais sans hésiter. Enfin… pas avec le même chirurgien», sourit-il. Et de conclure: «Je peux enfin vivre comme tout le monde. C’était comme si j’étais né en 2024.»

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