Témoignage d'une Genevoise victime de violence
«Quand j'étais enceinte, il m'étranglait jusqu'à l'évanouissement»

Leila, jeune maman genevoise, a vécu l’enfer sous l’emprise de son compagnon violent. Enceinte, elle a été battue, étranglée, menacée. Aujourd’hui, elle raconte son calvaire, sa survie et son combat pour se reconstruire.
Publié: 06:06 heures
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Dernière mise à jour: 13:48 heures
«Je souhaite que beaucoup de femmes ouvrent les yeux et puissent enfin se défaire de leurs tyrans», espère Leila de tout cœur.
Photo: Lucie Fehlbaum
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Lucie FehlbaumJournaliste Blick

Pour beaucoup de mamans, un père qui disparaît sans reconnaître l’enfant est un cauchemar. Pour Leila*, c’est une bénédiction. «Au procès, quand il a dit qu’il ne tenterait pas de démarches pour mon fils, j’ai senti un énorme poids s’envoler», confie la Genevoise autour d’un chocolat chaud.

Ce constat suffirait presque à mesurer l’ampleur de la violence vécue pendant des années par la jeune femme. Mais l’enfer qui lui a fait subir Sélim*, beau garçon devenu tyran, ne se résume pas si simplement.

Menaces de mort

«Tu vas finir morte», lui assurait-il. Mais Leila est bien là. Si elle accepte de témoigner aujourd’hui, c’est d’abord pour toutes les femmes.

Elle sait à quel point la violence est insidieuse. «Je vous le dis honnêtement, je ne me suis pas rendu compte dans un premier temps, assume vaillamment la jeune femme. Mes amies me répétaient que son comportement n’allait pas du tout. Et je ne leur racontais même pas tout…»

Douche froide lors du verdict

Son récit n’est pas qu’un acte de courage. Il souligne aussi l’importance cruciale du personnel soignant, sans qui Leila ne serait peut-être pas là aujourd’hui. Et puis, il y a sa déception de la justice. «J’ai fait 'tout juste', si je peux dire, raconte la mère de famille. Ils ont eu accès à tout, messages, photos de mes blessures, j’ai revécu ces années horribles durant toute la préparation du procès, et il n’a pris que six mois de prison?»

Le Ministère public a demandé, lui, cinq ans de privation de liberté. Sélim, Français travaillant à Genève, a été expulsé de Suisse (lire encadré). Il était absent lors du verdict. Et la France n’extrade pas ses ressortissants. Aujourd’hui, il est remarié à une femme, qui était enceinte au moment du procès. Leila a sincèrement peur pour elle.

Aucun souvenir, mais la prison ferme

Lors de son procès, suivi par nos confrères de «20 minutes», Sélim a opté pour une version édulcorée des faits, affirmant que sa relation avec Leila était «toxique». Il assure ne pas se reconnaître dans les faits, et suggère que sa compagne de l’époque était la jalouse du couple. Confronté à de multiples reprises à ses messages de menaces, il explique ne pas en comprendre le sens, bien qu’il les ait lui-même envoyés. Les épisodes de violence, Sélim ne s’en souvient pas, dans la majorité des cas. Son avocat a demandé six mois de prison ferme maximum, et s’est opposé à son expulsion de Suisse, où travaille le frontalier. Le tribunal correctionnel l’a reconnu coupable de mise en danger de la vie d’autrui, de contrainte, de lésions corporelles simples, de menace, d’injures et de voies de faits. Sélim a été condamné à 28 mois de prison, dont 10 ferme, sous déduction de 126 jours. Il a été expulsé de Suisse pour cinq ans et n’a plus le droit de contacter Leila, à qui il a versé 8000 francs d’indemnisation pour tort moral.

Lors de son procès, suivi par nos confrères de «20 minutes», Sélim a opté pour une version édulcorée des faits, affirmant que sa relation avec Leila était «toxique». Il assure ne pas se reconnaître dans les faits, et suggère que sa compagne de l’époque était la jalouse du couple. Confronté à de multiples reprises à ses messages de menaces, il explique ne pas en comprendre le sens, bien qu’il les ait lui-même envoyés. Les épisodes de violence, Sélim ne s’en souvient pas, dans la majorité des cas. Son avocat a demandé six mois de prison ferme maximum, et s’est opposé à son expulsion de Suisse, où travaille le frontalier. Le tribunal correctionnel l’a reconnu coupable de mise en danger de la vie d’autrui, de contrainte, de lésions corporelles simples, de menace, d’injures et de voies de faits. Sélim a été condamné à 28 mois de prison, dont 10 ferme, sous déduction de 126 jours. Il a été expulsé de Suisse pour cinq ans et n’a plus le droit de contacter Leila, à qui il a versé 8000 francs d’indemnisation pour tort moral.

Et la Genevoise ne digère pas bien cette condamnation. Elle a d’ailleurs fait recours, le Ministère public aussi. «Tout ce qui s’est passé avant avril 2022 n’a pas été examiné parce qu’il n’était pas prouvé qu’on vivait ensemble, fulmine-t-elle. Alors quoi, si on ne vit pas avec sa femme, on peut lui faire subir ce qu’on veut?»

Beau, mais «bête»

Tout commence pourtant en 2018. Leila rencontre, via des amis, un garçon qui lui plaît bien. Les deux partagent des origines turques. Les débuts sont doux. S’il se montre ferme, il lui explique qu’il est très attaché à la religion. Leila, pas à ce point, mais elle respecte son point de vue.

Plus tard, elle se demandera si finalement, ce n’était pas qu’une attirance physique. «Au procès, il ne comprenait rien, ne savait rien, se souvient la mère de famille. Je me suis dit qu’il était bête!»

Jalousie et insultes à répétition

Le premier poison a été la jalousie. Leila a des dizaines et des dizaines de messages pour preuve. Il la traite de «pute», lui assène des «nique ta mère» comme on dirait bonjour.

«Quand je me faisais couper les cheveux, tout de suite, il me demandait pour qui je voulais faire la belle», rapporte-t-elle. Monsieur n’aime pas non plus que Leila rende visite à ses amies dans le quartier. Ni qu’elle fasse du sport, puisque des hommes seraient présents au fitness.

Interdite de réaliser son rêve

Le plus gros coup dur, c’est la formation d’infirmière, le rêve de toujours de Leila, alors assistante en soins dans un EMS. «Il me disait que j’allais toucher des hommes pour les soigner. Au début, j’ai cru à une blague, mais c’était inconcevable pour lui», se souvient Leila, qui n’a pas oublié son rêve.

«Reste au stade ou y’a que les femmes […] M’en fou yaura des gomme (ndlr: hommes) laisse tomber […] oublie sa», écrit clairement Sélim par message, alors que Leila lui parle de cette formation. Lors du procès, il explique que ce qui l’embêtait vraiment, c’était qu’elle aurait moins de temps pour la maison.

Un boxeur qui «ignore» sa force

En effet, selon lui, c’est à Leila de tenir le ménage, soit son appartement à elle, dans lequel il vit dès 2022 sans participer aux charges. Leila a une fille de 9 ans, née d’un premier mariage. En février 2022, elle tombe enceinte.

«Quand l’appartement n’était pas rangé à la perfection, il pouvait devenir violent, témoigne Leila. D’abord, il me poussait. Mais il est très grand, détaille Leila, petite et menue. Je tombais sans arrêt, j’avais des bleus partout.»

En plus d’être costaud, Sélim a une licence de boxe. Lors du procès, il finit par admettre une gifle, puis deux. La première a causé à Leila une lésion partielle du tympan gauche, la deuxième, une plaie à la lèvre. Il ne connaît pas sa force. «Je ne sais pas si c’est fort ou doucement», dit-il.

Ses explications ont été jugées «insensées» par le Tribunal. Un exemple parlant? Confronté aux images des traces de bleus qui couvrent les bras de sa compagne de l’époque, il explique qu’il la «tient pour discuter». Pourquoi? demande la présidente, Judith Levy Owczarczak. «Je voulais qu’elle s’assoit.»

Grossesse accueillie en pleurs

Leila, qui adore les enfants, fond en larmes quand elle apprend sa grossesse. «J’ai été chez ma copine et j’ai pleuré», se souvient-elle. Elle veut avorter, mais lui refuse, lui parle de religion et assure qu’il sera un bon père.

«
Un soir, ma fille a vu du sang sur mon visage, j’ai répondu du tac au tac que c’était du ketchup
Leila
»

La jeune femme a déjà quitté Sélim plusieurs fois. En août 2020 notamment, ils ne sont plus ensemble lorsque le jeune homme, âgé aujourd’hui de 28 ans, défonce la porte du logement de Leila. Le motif? «Il était dehors, derrière la porte, relate la jeune femme. Une amie était avec moi au salon. Je téléphonais à un ami de mon père, qui me demandait un conseil sur un bar à shihsa. Il a entendu la voix d’un homme, il a pété un câble.» L’ex-compagnon est alors condamné à 20 jours-amende et à une amende.

Excuses passionnées

Mais l’engrenage de la violence conjugale est pervers. Ces épisodes sombres sont suivis d’effusion d’amour, d’excuses, de promesses. Le mariage religieux de Sélim et Leila est célébré en mai 2022. «Heureusement, nous n’avons pas eu le temps de faire les démarches au civil, souffle cette dernière, soulagée. J’ai appelé pour tout annuler.»

Sa grossesse, Leila la décrit comme «merdique». Au Tribunal, elle s’est même excusée du terme. Mais il ne semble de loin pas suffisant. Car c’est lorsqu’elle est enceinte que commence l’irréparable. À commencer par cette déclaration glaçante: «Tu es enceinte, tu m’appartiens et tu fermes ta gueule.»

Protéger sa fille à tout prix

La violence s’intensifie. Dent cassée, nez en sang et surtout, étranglements à répétition. La voix de Leila se serre. «Un soir, ma fille m’a appelée depuis sa chambre. Elle a vu du sang sur mon visage, j’ai répondu du tac au tac que c’était du ketchup.»

La maman sait que sa fille a quelques souvenirs de cette période tourmentée. Mais heureusement pas celui d’avoir été poussée par Sélim, tandis qu’elle s’interposait entre lui et sa mère. «Là, je me suis vraiment fâchée, interrompt Leila. Je l’ai averti qu’il ne la toucherait plus jamais. Il ne l’a plus fait.»

Etranglée jusqu’à l’évanouissement

Les épisodes d’étranglements sont tellement fréquents durant la grossesse de Leila qu’elle ne parvient pas à les dater précisément. Sélim, lui, ne s’en souvient pas. Il ne se rappelle pas non plus qu’un soir, un voisin a appelé la police tant sa violence résonnait dans l’immeuble.

«
Je voulais avorter, j’étais à bout, je ne voulais plus aucun lien avec lui
Leila
»

Une amie de Leila, entendue comme témoin, confirme que la jeune femme tombait dans les pommes tant il serrait fort. «Il est vrai que l’on se bousculait quand on se prenait la tête et qu’elle s’évanouissait beaucoup», constate rétrospectivement Sélim lors du procès.

A six mois, elle veut avorter

Sa grossesse «merdique» se passe aussi sous stress constant. «J’avais tout le temps peur, confie Leila. Je devais lui demander l’autorisation pour tout, et le fait d’être enceinte ne l’arrêtait pas dans ses violences, au contraire.» Sélim la frappe au ventre. En juillet 2022, c’est là qu’il vise en lui mettant un coup de genou. Elle est alors enceinte de six mois. Elle craque.

«J’ai appelé la maternité des HUG, je voulais avorter, j’étais à bout, je ne voulais plus aucun lien avec lui, témoigne Leila sans vaciller. Aucune femme ne veut avorter, mais c’était trop, le fait de porter son enfant le rendait comme fou.» Les soignants l’invitent à se rendre sur-le-champ à la maternité. Sélim, lui, tourne autour du bâtiment, lui envoie pléthore de messages pour qu’elle s’en aille. «Je pense qu’il avait peur que je raconte tout.»

En confiance, elle raconte tout

C’est ce qu’elle a fait. «Je ne sais pas ce qui s’est passé ce jour-là, j’étais en confiance, ils ont été très à l’écoute. J’ai tout déballé», se souvient la jeune femme. Ce sont les soignants qui lui disent de porter plainte. Leila est comme libérée de l’emprise de cet homme.

«J’ai tout raconté à ma mère, se remémore-t-elle. J’avais peur de sa réaction, mais elle m’a dit que si je n’allais pas à la police, je n’étais plus sa fille. Elle a un fort caractère», sourit Leila.

Au poste, la jeune femme perd un peu pied. Les agents lui proposent alors de prendre sa déposition chez elle. «Ils ont été géniaux, salue la Genevoise. Très patients. Ils m’ont même dit que je pouvais les appeler si j’avais des doutes, si je changeais d’avis. Qu’il fallait aller jusqu’au bout, que ce que j’avais vécu était très grave.»

Au procès, «un tas de mensonges»

Le procès a été très dur pour Leila, qui a entendu en boucle que tout était sa faute, qu’elle mentait. «Quand il a expliqué qu’il me poussait pour me calmer, j’ai dû quitter la salle.»

La famille de Sélim fait bloc, prétend même ne pas connaître Leila. «C’était un tas de mensonges, déclare la jeune femme. J’ai beaucoup été là pour sa mère lorsqu’elle était malade. Ils savaient très bien ce qu’il me faisait subir, son frère a même voulu le frapper à cause de ça une fois.»

Un bloc familial qui a aussi servi à intimider Leila. «Lorsqu’il est venu récupérer des affaires, après la plainte, il a débarqué avec plusieurs hommes de sa famille, se souvient-elle avec effroi. Ils étaient tous en bas de mon immeuble. J’ai appelé la police, qui est venue encadrer tout ça.»

Comment en parler à son petit garçon?

Leila a donné naissance à son fils en octobre 2022. Lorsqu’elle parle de ses enfants, ses yeux s’illuminent. «Ce sont de vrais clowns, partage la jeune maman. Mon fils ne fait que danser et chanter. Il est très loin des violences que j’ai vécues.»

Physiquement, le petit garçon ressemble beaucoup à son père, ajoute Leila. Et quand il demande après lui, la maman a le cœur serré. «J’assume le rôle de mère et de père, c’est difficile. Le père de ma fille sera toujours là pour nous, et pour l’instant, je dis simplement que son père à lui n’est pas là.» Quand il sera plus grand, Leila dira la vérité à son fils. Le cercle de la violence ne se répétera jamais.

Cœur brisé, littéralement

Tout le long de sa relation avec Sélim, Leila s’est efforcée de négocier pour sa liberté, pour avoir le droit de faire du sport, de partir voir sa famille en Turquie. Mais l’épuisement l’a rattrapée. «J’ai fait une dépression, aujourd’hui, je peux en parler. Et j’ai un problème de cœur. Mon cardiologue m’a posé un pacemaker. Le stress et les angoisses ont provoqué ça.»

Leila est encore à l’affût de tout. Si elle sort, c’est le plus souvent accompagnée. «Mais ça va mieux, assure la jeune femme. Il y a quelque temps, je ne serais pas venue dans ce café.» Suivie par un psychiatre, Leila travaille à regagner sa force et sa liberté d’esprit. Pour elle, et ses deux petits clowns.


*prénoms d'emprunt 

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