Lydia l’a échappé belle. Vendredi 17 janvier, la trentenaire reçoit un message vocal de sa cousine, Emma*: «Arrête tout de suite ton histoire avec ce type! C’est un grand malade, un arnaqueur de première!» La mise en garde est accompagnée d’une vidéo: celle de Blick où l'on peut voir des Romandes raconter comment Fabien* les a arnaquées de dizaines de milliers de francs et, pour certaines, violentées physiquement et psychologiquement.
Lydia, 31 ans (NE)
À la stupeur succède rapidement la panique. Car la Neuchâteloise avait donné le double de ses clés d’appartement et de sa voiture à Fabien, l’homme avec qui elle avait matché sur «Fruits», une application de rencontre, quelques semaines plus tôt.
«J’avais pris la décision de mettre un terme à la relation avant même la publication de l’article, relate Lydia, au téléphone. Des choses m’avaient mis la puce à l’oreille, comme le fait qu’il n’avait plus d’argent, qu’il voulait demander un prêt à son père et qu’il souhaitait 'qu’on en discute'. Clairement, ça sentait mauvais. Mais étant donné qu’il avait les clés de chez moi, je voulais faire en sorte que tout se passe bien.»
Ses clés, elle parvient à les récupérer le jour-même, grâce à l’aide d’une collègue. Elles donnent rendez-vous à Fabien à la gare de Bienne, prétextant une situation urgente. Lydia reste cachée dans la voiture et sa collègue s’empare des clés. «Heureusement que ma cousine m’a avertie à temps. J’aurais pu y laisser des plumes…», soupire Lydia. Une cousine, qui, le matin-même, avait rendez-vous chez son esthéticienne, Amélie, victime, elle aussi… de Fabien, le mois d’avant.
Amélie, 30 ans (NE)
«Quand Emma est arrivée, je lui ai montré la vidéo, car je lui avais parlé de ce type qui s’était mal comporté avec moi. «J’étais sûre qu’il s’agissait de Fabien parce qu'il m’avait parlé – en mal – de son ex qu’on voit témoigner à visage découvert», raconte Amélie, encore ébranlée par la découverte et la courte relation vécue avec ce manipulateur violent.
«Et encore, j’ai eu de la chance en comparaison de ce qu’ont vécu les autres filles», admet la trentenaire. À Jeanne*, il a extorqué 30'000 francs. À Nora*, 23'000 francs. À Marine* et Mélissa*, 10'000 francs. À Laurence*, 4000 francs. Elsa* a été frappée. Laura Cirone et Vanessa Ramires le poursuivent notamment pour violences conjugales.
Et l’esthéticienne de poursuivre: «Mais je me suis reconnue dans leur histoire. Fabien prétendait aimer tout ce que j’aimais, il m’a bombardée de messages d’amour, de promesses de vie à deux. J’étais la femme de sa vie. Très vite, il a voulu qu’on s’installe en ensemble.» Et très vite, il lui demande de le «dépanner». «Je lui ai prêté 600 francs. Il avait besoin d’argent pour son déménagement, son compte bancaire avait été bloqué.»
S'ensuivent, comme pour les autres femmes, des violences verbales, des disputes interminables que Fabien enregistre sur son portable «pour garder des preuves». Jusqu’à ce qu’Amélie le mette dehors. «Ma chance? C’est qu’il avait toutes ses affaires chez moi. Je l’ai menacé de les garder jusqu’à ce qu’il me rende mon argent.» Ce qu’il finit par faire sans se priver de la harceler de messages agressifs.
«Si je témoigne, c’est pour qu’on l’arrête. Ce n’est pas possible que ce mec coure toujours. Il est dangereux. Il m’a dit que ça faisait des mois qu’il était célibataire, qu’il voulait faire un enfant avec moi. J’ai arrêté la pilule et nous avons eu des rapports non-protégés. J’ai peur pour ma santé connaissant son passif…»
Sabrije, 36 ans (VD)
C’est en feuilletant les pages de L’illustré que Sabrije, 36 ans, a reconnu celui qu’elle a fréquenté de mars à avril 2024. «Ça ne pouvait pas être une coïncidence. Il avait parlé de son ex «folle», m’avait chanté le même couplet sur sa ‘pauvre’ condition de ‘papa solo’ qu’on privait de voir son enfant. Il disait qu’il était chef cuisinier, qu’il avait perdu son emploi. Tout concordait.»
Comme pour les autres femmes, l'histoire débute par un match sur une app de rencontre, des messages d’amour en rafale et un «je t’aime» dès le troisième rendez-vous. «Il voulait qu’on commence à chercher des appartements ensemble. Là, je me suis méfiée…», raconte cette coiffeuse vaudoise avant de poursuivre son récit: «Et puis, les remarques dénigrantes sur mon job ou ma façon de m’habiller sont très vite arrivées. J’étais 'bête', mes tenues étaient ‘choquantes’. Il avait montré des photos à son père qui pensait la même chose, m'avait-il dit. J’ai décidé d’arrêter avec ce type. Hors de question qu’un pervers narcissique me dise comment m’habiller!»
Sauf que Fabien parvient quand même à lui gratter 700 francs pour «son loyer» avec une rengaine désormais connue: des comptes bloqués, une menace d’expulsion et une promesse de remboursement rapide.
«Au total, il m’a soutiré 1048 francs», déplore Sabrije, dont le cas est suivi par une avocate. Or, sans lieu de domiciliation connu, il est pour l'heure impossible de mettre Fabien aux poursuites. «Je ne compte pas le lâcher, tonne Sabrije. Je lui ai écrit tous les jours pour qu’il me rende mon fric.»
Des échanges aux réponses lunaires. À la Vaudoise qui lui intime de le rembourser afin qu'elle puisse se «débarrasser» de lui, Fabien répond: «Ok. On peut pas recoucher ensemble si tu viens me voir?» «Il est dingue», peste Sabrije. «La seule chose positive dans cette histoire, c'est d'avoir compris que je n'étais pas la seule à m'être fait avoir. J'ai un peu moins honte.»
Et Blick a découvert que Fabien ne s'en prenait pas seulement aux femmes. Des hommes ont accepté de nous livrer leurs témoignages.
Stanis, 28 ans (NE)
«Quand j’ai regardé la vidéo sur les réseaux sociaux, je me suis dit que la roue avait enfin tourné. Que Fabien allait finir par payer tôt ou tard pour tout ce qu’il avait fait», raconte Stanis Bryois, au téléphone, avant de revenir sur son histoire d'amitié avec le mythomane que rien ne semble arrêter.
Fabien, il l’a connu en 2018, grâce à leur passion commune pour la moto. «Il est apparu du jour au lendemain dans notre groupe de motards. On roulait ensemble, on a sympathisé et une belle amitié est née. Il est devenu mon meilleur pote. Ma famille l’a accueilli à bras ouverts. On l'a soutenu moralement dans ses galères, il disait avoir eu une enfance difficile.»
Les deux compères ne se quittent plus, décident de lancer un petit business relatif au monde des deux-roues et louent un garage pour en faire «un QG entre potes, faire de la mécanique et boire des bières».
Un soir, au restaurant, Fabien confie à Stanis avoir des dettes à régler. Il lui demande de lui prêter 5000 francs. Le Neuchâtelois accepte, heureux de donner un coup de pouce à son meilleur pote. «J’avais quelques économies grâce à l’armée. Cela faisait des mois qu’on traînait ensemble. Sa vie familiale et professionnelle semblait chaotique, mais il m’avait promis de me rembourser avec son prochain salaire. Il me faisait de la peine.»
Des mois plus tard, Stanis reçoit un appel du propriétaire du garage. Il l'informe que Fabien ne paie plus sa part du loyer depuis des mois. «Là, j’ai commencé à m’inquiéter pour mes 5000 francs», rapporte le vingtenaire.
Jackpot à la loterie romande
Mais, coup de chance, Fabien lui annonce avoir gagné à la loterie romande! «Evidemment que je ne l’ai pas cru… au début, se souvient Stanis. Il a fini par me convaincre en me présentant des faux documents. ll avait pris aussi rendez-vous avec la banque pour placer son gain. Il a été si persuasif qu’il est venu chez mes parents et qu’on a fait péter le champagne pour fêter ça!»
Stanis rit jaune: «Et je ne vous ai pas raconté le pire! Quelques jours après ce gain miraculeux, il m’a emmené chez un concessionnaire moto pour m’offrir l’engin de mes rêves. À 25’000 francs. Il l’a vraiment précommandé devant mes yeux en me disant qu'il souhaitait me remercier pour tout ce que j'avais fait pour lui. Là, j’y ai cru à son histoire de loterie. Quelle personne sensée serait capable de faire un truc pareil à son meilleur ami?»
La moto n’est jamais venue. Stanis doit alors admettre qu’il s’est fait rouler dans la farine. «Avec des potes, on l’a coincé pour lui faire signer des reconnaissances de dettes. Il devait de l’argent à plusieurs d’entre nous», dit le motard.
Fabien disparaît un temps pour ressurgir sur les réseaux sociaux quelques mois plus tard. Il lance une nouvelle activité de chef à domicile et le fait savoir à ses abonnés. «Mon sang n’a fait qu’un tour, s’agace encore Stanis. Je l’ai affiché publiquement en disant que tout ce qu’il racontait était des mensonges.»
Retrouvailles au poste de police
Mal lui a pris. Stanis reçoit un coup de fil de la police. Fabien le poursuit pour diffamation. L’affaire se règle par une médiation au poste. Fabien s’engage à verser les 5000 francs qu’il devait à Stanis en échange du retrait des publications diffamatoires. «C’est sa compagne du moment qui a versé la somme, regrette le Neuchâtelois. La même à laquelle il a soutiré 30'000 francs, comme j’ai pu le lire dans l’article du Blick.»
Si, aujourd'hui, de l'eau a coulé sous les ponts, Stanis ne peut s'empêcher de voir des similitudes entre son histoire et celles des autres femmes. «Dans mon cas, il n'y a pas eu de violences physiques ou psychologiques. En revanche, les procédés sont les mêmes. Il a fait du love bombing amical, me bombardant de messages, d'attentions, me prenant sous son aile comme un grand frère. Il a embobiné toute ma famille aussi. Il a senti que j'étais à la recherche d'une relation amicale, je me sentais seul à ce moment-là et il a sauté sur l'occasion.»
Bastien*, 31 ans (NE)
Bastien* fait partie de la bande de pote de Stanis. Il était de ceux qui sont allés coincer Fabien pour lui faire signer des reconnaissances de dettes. «Nous sommes partis en vacances ensemble, il n'a rien payé sur place prétextant des comptes bancaires bloqués. Il a même inventé une histoire de carte piratée de l'étranger», détaille le trentenaire.
A la fin du voyage, Bastien fait les comptes. Fabien lui doit environ 2000 francs. «Je l'ai harcelé tous les jours pendant des mois et des mois pour récupérer mon argent. Il a fini par me rembourser petit à petit. Sûrement avec l'argent de quelqu'un d'autre», se désole Bastien.
D'autres n'ont pas eu cette chance. Au total, Fabien aurait escroqué plus de 100'000 francs à ses victimes. Lundi 20 janvier, poursuivi par Laura Cirone et Vanessa Ramires pour violences conjugales, il n'a pas daigné se présenter à son procès à Moutier (BE). Blick a aussi appris qu'une plainte avait également été déposée en France par une ancienne compagne pour abus de confiance et violences, fin 2024. Rien ne semble pouvoir arrêter «l'arnaqueur de Tinder» romand. Ni la justice, ni même les frontières.