Effondrement d'un échafaudage à Prilly
Quand une longue procédure vient s’ajouter au drame et au deuil

Nathalie Somrani a perdu son mari dans l’effondrement d’un échafaudage à Prilly (VD). Après le choc, elle a dû affronter la froideur d’une compagnie d’assurances qui a tardé à lui verser ce qui lui revenait. Elle a accepté de témoigner.
Publié: 27.03.2025 à 08:09 heures
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Dernière mise à jour: 27.03.2025 à 10:13 heures
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Nathalie Somrani a perdu son époux en juillet de l'année dernière lorsqu'un échafaudage de 60 mètres s'est effondré.
Photo: Dom Smaz
Frédéric Nejad Toulami, pour «L'illustré»

Le bilan de l’accident mortel sur un chantier à Prilly-Malley (VD) l’été dernier faisait état de trois personnes décédées, cinq blessés graves et six légers. Derrière ces chiffres se cachent des vies familiales brisées en un éclair, sans crier gare. Des épouses, des parents, des enfants pour qui un coup de tonnerre inattendu a retenti en ce paisible matin du 12 juillet 2024. 

Dans le fracas d’un échafaudage arrimé à une tour qui n’aurait jamais dû s’écrouler. Dans la sonnerie d’un appel téléphonique pour une annonce terrifiante. Dans l’alerte SMS d’un média ou un flash info radiophonique qui vous glace le sang.

Nathalie Somrani a vécu cela le vendredi 12 juillet. Cette mère de famille du canton de Vaud a perdu son époux, qui travaillait sur ce chantier. 

Et comme si la douleur ne suffisait pas, elle a dû affronter durant des mois la froideur administrative de la compagnie d’assurances de feu son mari. C’est pour dénoncer une telle situation que Nathalie a accepté de témoigner, avec un mince espoir d’une prise de conscience afin, peut-être, de faire changer des procédures ou des approches déshumanisées.

Nathalie Somrani, vous êtes mère de famille et avez deux enfants…
Oui, c’est exact. Malik, mon fils aîné, a 18 ans. Il travaillait avec son père sur le chantier en juillet, comme job d’été. Mon mari avait aussi engagé son neveu, encore mineur, pour un stage de deux ou trois semaines.

Ils étaient donc présents le jour de l’accident?
Oui, mais heureusement mon fils et mon neveu étaient à l’intérieur du bâtiment quand c’est arrivé. Mon mari, lui, était sur l’échafaudage avec deux collègues. L’un a été gravement blessé. Après être resté dans le coma plusieurs mois, il est désormais en rééducation à Sion. L’autre est décédé.

Pouvez-vous nous raconter ce que vous avez vécu le jour du drame?
Ils venaient de terminer leur pause du matin. Il était environ 9 h 20 quand ils ont repris le travail. Mon mari est alors monté sur l’échafaudage avec ses collègues.

«
Je ne souhaite à aucune mère d’entendre son enfant lui annoncer cela
»

L’échafaudage incriminé qui s’est écroulé soudainement?
Oui, en une fraction de seconde. Mon fils l’a vu s’effondrer sous ses yeux, et son père disparaître avec ses collègues. Un agent de police m’a par la suite confié qu’ils avaient trouvé mon époux en premier sur le lieu de l’accident. Mais ils ont attendu six heures avant de venir nous l’annoncer officiellement! Ils l’ont découvert peu avant 10 h du matin et ils ne sont venus nous le dire qu’à 16h30. Pendant tout ce temps, on espérait encore…

Vous avez appris la nouvelle de l’accident par la police?
Non, c’est mon fils qui m’a appelée. Il avait une voix… Je ne souhaite à aucune mère d’entendre son enfant parler comme ça. Il était en état de choc, il n’arrivait presque plus à respirer.

Nathalie Somrani avec son mari avant que l'accident ne vienne le lui arracher.

Qu’avez-vous fait après cet appel?
Avec ma fille, nous avons foncé à Malley. Sur place, j’ai pu passer le barrage de police car mon fils était sur les lieux. On est restés là toute la journée, devant les ambulances, espérant une bonne nouvelle. Le responsable du soutien psychologique est venu vers moi le matin, vers 10h30. Il m’a demandé une photo récente de mon mari, a posé quelques questions, puis il a dit: «Je reviendrai dès que j’aurai des nouvelles.» J’ai attendu six heures… Quand je l’ai revu, vers 16h30, il était accompagné de deux policiers. Je les ai regardés et j’ai su. J’ai dit à ma fille: «Ils viennent nous annoncer le pire.» Il s’est approché de moi, il a ouvert la bouche mais je l’ai interrompu: «Ne dites rien!» Il m’a simplement répondu: «Venez avec moi, madame.» J’ai hurlé…

«
La compagnie d’assurances nous a traités comme un simple dossier
»

A partir de là, comment se sont déroulées les démarches administratives, notamment avec l’assurance de votre défunt mari?
C’est moi qui ai tout entrepris. Je les ai immédiatement contactés puis j’ai envoyé l’acte de décès dès que je l’ai eu. J’ai rempli et renvoyé tous leurs formulaires, puis j’ai attendu. Aucune nouvelle. Quand je les ai relancés, ils ont osé me dire qu’ils n’avaient jamais reçu mon dossier. Je leur ai renvoyé les documents par courrier et par e-mail. Mais entre-temps, j’ai reçu de leur part des sommations de paiement pour les primes d’assurance de mon mari alors qu’il était décédé!

Generali lui réclamait de l’argent?
Oui, comme s’il était encore vivant. C’était hallucinant. J’ai rappelé pour leur signaler: «Je vous ai déclaré la mort de mon mari il y a des semaines!»

La quadragénaire regrette la manière dont elle a été traitée par l'assurance de son mari.
Photo: Dom Smaz

Quelles assurances votre mari avait-il souscrites?
Il avait deux assurances vie: une souscrite en février 2017 et la deuxième, plus importante, souscrite en octobre 2019. Ainsi qu’une clause spécifique stipulant que s’il mourait d’un accident sur son lieu de travail, la somme versée serait doublée.

Et Generali a refusé de payer durant des mois?
Oui. Ils réclamaient le rapport de police, alors que tout paraissait clair! Cela nous a presque donné l’impression qu’ils voulaient voir écrit noir sur blanc qu’il ne s’agissait pas d’un suicide. On a pris un avocat, qui les a relancés plusieurs fois. Mais eux ont fait la sourde oreille. J’ai dû reprendre un travail à temps partiel. Et je me suis battue seule. Au deuil s’est ajouté le combat pour obtenir ce qui nous revient de droit.

Un combat pour dénoncer

Depuis cette première interview, réalisée en janvier dernier, la compagnie a finalement versé l’argent dû à Nathalie.

Generali a refusé de nous parler de cette affaire en particulier. Son service de presse explique qu’ils sont tenus, lors d’une demande de prestations, de l’examiner soigneusement et de requérir les informations, documents et autres formalités nécessaires dans l’intérêt de la communauté de tous leurs assurés. «Lors d’un décès, nous devons effectuer des vérifications tant médicales qu’administratives, détaille le porte-parole. Selon la police d’assurance, les conditions de droit aux prestations doivent être vérifiées conformément aux Conditions Générales d’Assurance, aux Conditions Complémentaires d’Assurance, ainsi qu’à la Loi sur le Contrat d’Assurance.»

Pour évaluer les cas de décès et les couvertures complémentaires éventuellement assurées, des informations supplémentaires, telles que certificats médicaux, rapports de police, rapports d’autopsie, peuvent être requises, puisque l’étendue des prestations fournies peut augmenter en conséquence. L’obtention de ces pièces requises peut parfois prendre plusieurs semaines, voire plusieurs mois selon le cas et les autorités compétentes impliquées. «Nous devons aussi vérifier avec précision l’identité des bénéficiaires et des ayants droit conformément à la clause bénéficiaire. Dès lors, les documents officiels tels que certificats d’héritiers/hérédité et actes de décès de l’état civil sont nécessaires et leur établissement peut prendre jusqu’à trois mois. Dans de tels cas, nous dépendons de la collaboration des parties tierces.»

Contacté, l’avocat de la veuve dit comprendre ces nécessités administratives mais regrette le manque de considération dans une situation aussi douloureuse. «Il est légitime que l’assureur effectue les vérifications légales et contractuelles avant de verser la prestation, ne serait-ce que pour exécuter correctement le contrat et se prémunir contre d’éventuels cas de fraude», reconnaît Me Albert Habib. Il pointe cependant du doigt la rigidité voire le caractère parfois arbitraire des demandes de justificatifs. «Quand ces derniers varient autant que les personnes qui les rédigent, il faut se demander quelles informations sont réellement déterminantes pour le dossier. Se focaliser sur des intitulés comme «rapport de police» peut relever du formalisme excessif et ne fait que retarder inutilement le traitement de la demande, estime Me Habib. Cela occasionne parfois une souffrance supplémentaire à la personne bénéficiaire!»

Quant à Nathalie, elle a décidé de quitter avec son fils et sa fille leur résidence à Gimel, trop habitée de souvenirs liés à son mari. Elle caresse le projet de partir vivre ailleurs. Un nouveau départ pour surmonter l’irréparable. «Si je souhaite raconter tout cela à visage découvert, c’est pour dénoncer un système peu humain et apporter du courage à celles et ceux qui vivent peut-être une situation similaire.»

Depuis cette première interview, réalisée en janvier dernier, la compagnie a finalement versé l’argent dû à Nathalie.

Generali a refusé de nous parler de cette affaire en particulier. Son service de presse explique qu’ils sont tenus, lors d’une demande de prestations, de l’examiner soigneusement et de requérir les informations, documents et autres formalités nécessaires dans l’intérêt de la communauté de tous leurs assurés. «Lors d’un décès, nous devons effectuer des vérifications tant médicales qu’administratives, détaille le porte-parole. Selon la police d’assurance, les conditions de droit aux prestations doivent être vérifiées conformément aux Conditions Générales d’Assurance, aux Conditions Complémentaires d’Assurance, ainsi qu’à la Loi sur le Contrat d’Assurance.»

Pour évaluer les cas de décès et les couvertures complémentaires éventuellement assurées, des informations supplémentaires, telles que certificats médicaux, rapports de police, rapports d’autopsie, peuvent être requises, puisque l’étendue des prestations fournies peut augmenter en conséquence. L’obtention de ces pièces requises peut parfois prendre plusieurs semaines, voire plusieurs mois selon le cas et les autorités compétentes impliquées. «Nous devons aussi vérifier avec précision l’identité des bénéficiaires et des ayants droit conformément à la clause bénéficiaire. Dès lors, les documents officiels tels que certificats d’héritiers/hérédité et actes de décès de l’état civil sont nécessaires et leur établissement peut prendre jusqu’à trois mois. Dans de tels cas, nous dépendons de la collaboration des parties tierces.»

Contacté, l’avocat de la veuve dit comprendre ces nécessités administratives mais regrette le manque de considération dans une situation aussi douloureuse. «Il est légitime que l’assureur effectue les vérifications légales et contractuelles avant de verser la prestation, ne serait-ce que pour exécuter correctement le contrat et se prémunir contre d’éventuels cas de fraude», reconnaît Me Albert Habib. Il pointe cependant du doigt la rigidité voire le caractère parfois arbitraire des demandes de justificatifs. «Quand ces derniers varient autant que les personnes qui les rédigent, il faut se demander quelles informations sont réellement déterminantes pour le dossier. Se focaliser sur des intitulés comme «rapport de police» peut relever du formalisme excessif et ne fait que retarder inutilement le traitement de la demande, estime Me Habib. Cela occasionne parfois une souffrance supplémentaire à la personne bénéficiaire!»

Quant à Nathalie, elle a décidé de quitter avec son fils et sa fille leur résidence à Gimel, trop habitée de souvenirs liés à son mari. Elle caresse le projet de partir vivre ailleurs. Un nouveau départ pour surmonter l’irréparable. «Si je souhaite raconter tout cela à visage découvert, c’est pour dénoncer un système peu humain et apporter du courage à celles et ceux qui vivent peut-être une situation similaire.»

Comment vont vos enfants?
On évite le sujet. C’est trop douloureux. Ma fille a 15 ans, elle refuse d’en parler. Mon fils fait semblant d’être fort, mais je sais qu’il souffre.

Quel sentiment éprouvez-vous?
C’est révoltant. Nous avons été traités comme un simple dossier alors qu’on parle de la mort d’un mari, d’un père. J’ai attendu six mois, et ils pourraient même légalement attendre deux ans pour payer. Que Generali assume ses responsabilités et cesse de balader les gens dans la douleur.

Un article de L'illustré

Cet article a été publié initialement dans le n°12 de L'illustré, paru en kiosque le 20 mars 2025.

Cet article a été publié initialement dans le n°12 de L'illustré, paru en kiosque le 20 mars 2025.

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